Halida Boughriet : France-Algérie, sous le voile

D’origine algérienne, cette artiste trentenaire s’interroge sur les rapports entre l’Hexagone et son ancienne colonie.

Halida Boughriet (Algérie-France), photographe, vidéaste, créatrice d’art contemporain.  A l’Institut des cultures d’Islam (Paris), le 14 novembre 2012. © Vincent Fournier/J.A.

Halida Boughriet (Algérie-France), photographe, vidéaste, créatrice d’art contemporain. A l’Institut des cultures d’Islam (Paris), le 14 novembre 2012. © Vincent Fournier/J.A.

Publié le 26 décembre 2012 Lecture : 4 minutes.

Elles sont allongées de côté, sous une fenêtre par laquelle entre la lumière du jour. Vêtues de robes aux couleurs chatoyantes, ces veuves de la guerre d’Algérie ont été photographiées dans l’ouest du pays, entre 2009 et 2010. Aujourd’hui, Halida Boughriet présente un échantillon de son travail, Mémoire dans l’oubli, à l’Institut des cultures d’Islam (ICI) de Paris (France). C’est là qu’elle nous reçoit, autour d’un thé. « Tous ceux qui ont participé à la guerre d’Algérie disparaîtront bientôt. J’ai eu envie d’évoquer ces femmes dont on a très peu parlé, alors qu’elles ont souffert en élevant seules leurs enfants ou en travaillant dur après que leur mari a été tué, explique la photographe. Aujourd’hui, elles n’ont pas grand-chose, mais elles restent dignes. » Ses modèles rappellent ceux de peintres orientalistes comme Eugène Delacroix et Dominique Ingres. Une influence que ne nie pas l’artiste, diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris et qui a enseigné l’histoire de l’art pendant six ans dans un lycée professionnel de Bobigny (banlieue parisienne).

Exposées au musée d’Art moderne et contemporain d’Alger en septembre 2010, les photographies ont été présentées lors de l’exposition « Le Corps découvert » à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris. Si elle n’en montre ici qu’une partie, c’est parce qu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’événement qu’organise l’ICI, « 50 ans de réflexion », sur les relations entre la France et son ancienne colonie. On y trouve, face aux veuves, son installation Territoire hybride qui associe des images de halls d’immeubles algérois conçus pour les colons français et des halls d’HLM de la région parisienne construits pour les immigrés maghrébins. « Ces deux modes d’architecture sont abandonnés et il n’y a aucune envie de les préserver, c’est étrange », affirme la jeune femme, qui soutient ne pas porter « le regard d’une Algérienne sur l’Algérie d’aujourd’hui ». Elle est plutôt « une fille d’ici ».

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Vacances en Algérie

Halida Boughriet est née à Lens (nord de la France) il y a trente-deux ans. Ouvrier, le père a toujours poussé ses filles à faire des études. Lors de sa dernière année aux Beaux-Arts, Halida obtient le 1er prix jeune créateur LVMH (2004) pour sa photographie Attente du verdict, puis part terminer sa formation à la School of Visual Arts de New York. Si elle a passé bon nombre de ses vacances d’été sous le soleil algérien, ce n’est qu’à partir de ses 21 ans qu’elle y effectue des séjours plus réguliers et commence à questionner ses parents sur la guerre et leur arrivée en France. En juin 2009, elle choisit de s’installer à Jijel (nord de l’Algérie) et vit pendant quelques mois dans la résidence d’artistes Les Aftis. C’est durant cette période qu’elle réalise, avec des écrivains algériens, des slameurs et des poètes, son diptyque Maux des mots, la photo d’un homme et d’une femme, allongés dans l’eau avec un texte imprimé dans le dos. Il évoque la culpabilité, le poids du passé. Après avoir exposé l’oeuvre en octobre 2010, le musée d’Art contemporain du Val-de-Marne, le MAC/VAL, à Vitry-sur-Seine (banlieue sud de Paris), l’a intégrée dans ses collections permanentes. À quel prix ? On n’en saura pas plus…

Profondément croyante, l’artiste s’est aussi interrogée sur le voile comme signe extérieur de la foi.

Depuis, la figure féminine occupe une place de choix dans le travail de Boughriet. En mars dernier, le conseil général du Val-de-Marne lui a demandé de réaliser une affiche pour la Journée de la femme : de dos, le modèle libère sa chevelure avec laquelle l’artiste a écrit le mot « femme » en arabe : « El Maraa ». En 2010, avec la vidéo Les Illuminés, entrée dans les collections du Centre Georges-Pompidou, elle se glisse dans la peau d’une musulmane en burqa. Filmant de l’intérieur, elle se tient debout, statique, sur un tapis roulant dans le long couloir du métro de la gare Montparnasse. « Tout le monde se retournait pour me regarder, raconte-t-elle, amusée. Je n’ai pas voulu prendre parti avec cette vidéo, seulement m’interroger. J’évoque l’idée d’un corps étranger dans une masse, c’est un peu la problématique de l’immigration. »

Voile

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Profondément croyante, l’artiste s’est aussi interrogée sur le voile comme signe extérieur de la foi, interdit dans l’espace public français depuis 2011. Son diptyque Dévoilez-vous !, qui trône à l’entrée de l’ICI, reprend une affiche de propagande éditée par le 5e bureau d’action psychologique de l’armée française incitant les femmes algériennes à ôter leur voile. « On véhiculait l’idée selon laquelle la femme arabe devait être « libérée ». Sans vouloir rentrer dans une polémique, je veux montrer comment les politiques conçoivent et s’accaparent encore la religion. »

En février, elle présentera sa vidéo Action (2003) lors de l’exposition collective « Le Flâneur » au musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis (banlieue nord de Paris). Des passants y effleurent, saisissent ou repoussent la main de l’artiste, illustrant les relations difficiles entre des personnages qui se lient et se délient sans jamais s’être écoutés.

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