Les islamistes et la culture au Maroc : entre le sermon et le compromis

Mohammed Ennaji est historien, politologue et acteur culturel.

Publié le 28 juin 2012 Lecture : 3 minutes.

Nonobstant la volonté affichée des islamistes marocains de s’en prendre à la création et à la liberté culturelle, il n’y a rien de préjudiciable, à l’heure qu’il est, à l’actif du Parti de la justice et du développement (PJD) depuis qu’il préside le gouvernement. Les bars sont toujours ouverts, les restaurants servent de l’alcool sans s’enquérir de la confession des clients, les supermarchés en vendent plus que jamais aux musulmans, dans les petites villes comme dans les grandes. Les festivals ont lieu aux mêmes dates, les filles non voilées n’ont pas encore pris le voile. Rien n’a donc changé sous le soleil d’Allah, alors que l’on croyait les islamistes prêts à abattre, par un décret d’urgence, le moindre symbole de modernité. Ils n’en ont encore rien fait. Mais le problème n’est pas si simple.

À leur arrivée au pouvoir, la culture, dans son volet de création, était déjà au point mort. À tous les niveaux, elle sombrait dans une agonie qui n’en finissait pas. Tous les festivals – arguments de ceux qui s’illusionnent d’une vie culturelle florissante – ne sont pas le fruit d’un mûrissement créatif local. En plus de leur facticité, ils ne doivent leur existence qu’au parrainage de grands de l’État qui en tirent du bruit médiatique utile à leur position dans le sérail. Pour le reste, la production littéraire, théâtrale, musicale et cinématographique reste encore médiocre. D’aucuns n’hésitent pas à parler de régression culturelle du point de vue qualitatif, par rapport aux années 1970, alors que les universités couvrent aujourd’hui l’ensemble du territoire.

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Dans la création comme dans la contestation, on perçoit la grande faiblesse qui entache le mouvement culturel au Maroc. L’une des fragilités du Mouvement du 20 février se trouve bien là. L’absence de projet social clairement formulé par l’élite jeune est suffisamment éloquente de l’incapacité de celle-ci à imaginer un avenir, à élaborer un paradigme propice à une modernité à laquelle la société aspire pourtant. Les islamistes ne sont pas la cause de ce délabrement culturel, qui a, par ailleurs, terni un printemps marocain moins vigoureux que le tunisien et encore moins que l’égyptien. Ils en sont au contraire le produit. L’analphabétisme culturel a servi leur cause et favorisé leur ascension. C’est l’assassinat, en bonne et due forme, de l’école par les groupes dominants, dont le parti de l’Istiqlal, sous prétexte d’arabiser et de « nationaliser » l’école et la culture, qui en fut et en est l’origine. Depuis, l’école publique, devenue un quasi-ghetto pour les enfants des couches populaires, a conforté le rang des analphabètes et renforcé les effectifs de l’électorat des islamistes. C’est la destruction en règle de cette école qui a causé la faillite culturelle du Maroc.

La destruction de l’école publique a causé la faillite culturelle du Maroc.

Certes, les islamistes ont abondamment instrumentalisé le volet culturel en diabolisant les déviations laïques et « sataniques » pour engranger des voix. Paradoxalement, ils n’ont pas été plus loin à leur arrivée au pouvoir. Ils continuent toujours à souffler le chaud et le froid, à alterner la menace et le compromis chaque fois que se profile un événement qui peut donner lieu à un discours incendiaire. Mais leur action est bien dosée, ils font intervenir à tour de rôle les différents niveaux de la hiérarchie du parti, avec des tons différents ; les plus élevés se montrant tolérants et les plus proches des militants de base fustigeant la moindre initiative susceptible de laïcité et plus encore de blasphème.

Les dirigeants du parti ont bien compris la nécessité d’occuper les lieux en douceur, tout en veillant à grossir leur électorat et à mobiliser les foules à moindres frais. La tactique est simple, se maintenir à la lisière du secteur culturel et alterner le sermon et la menace, mais se garder d’intervenir brutalement ou directement pour éviter d’affronter les puissants du régime, ou de se risquer dans des directions qu’ils ne contrôlent pas. Le PJD sait maintenant l’impopularité des réformes qui l’attendent sur le terrain économique, il fait de l’espace culturel un cheval de bataille où il fait miroiter le mirage de la purification culturelle et du retour aux sources.

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Dernier ouvrage paru : Eclats de voix, un intellectuel à l’écoute de sa société (éditions La Gazette, Casablanca, 2010, 174 pages, 40 Dh)

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