RDC – Rwanda : trouble jeu dans le Nord-Kivu

Une fois de plus, Kigali est accusé d’aider en sous-main les rébellions de l’est de la RDC. Une thèse que les Rwandais réfutent et qui, à y regarder de plus près, n’est pas si évidente.

Soldats de l’armée régulière congolaise à Kibumba, près de la frontière rwandaise. © AFP

Soldats de l’armée régulière congolaise à Kibumba, près de la frontière rwandaise. © AFP

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 14 juin 2012 Lecture : 4 minutes.

Depuis la fin mars 2012, le général tutsi congolais Bosco Ntaganda, considéré comme un criminel de guerre par la Cour pénale internationale (CPI), ancien bras droit du « faucon noir » Laurent Nkunda (en résidence surveillée à Kigali) et mécontent de la marginalisation de ses troupes au sein de l’armée régulière, a repris le maquis à la tête de quelques centaines d’hommes. Un mois plus tard, le 3 mai, le colonel Sultani Makenga, un autre officier supérieur de l’armée congolaise, tutsi lui aussi, a également fait défection pour les mêmes raisons et lancé sa propre mutinerie : le M23.

De notoriété publique, Ntaganda et Makenga ne s’entendent pas, mais ils recrutent au sein de la même communauté et coordonnent leurs mouvements face aux troupes loyalistes de Kinshasa, les FARDC, qui ont lancé contre eux une offensive lourde. Pendant que cette guerre des collines fait rage, le contingent des Casques bleus de l’ONU (la Monusco) présent sur place reste l’arme au pied, et les ex-génocidaires rwandais des FDLR en profitent pour réoccuper leurs précédentes positions, multipliant les exactions.

  • Le Rwanda alimente-t-il cette rébellion ?
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C’est ce qu’affirment deux rapports, l’un interne à l’ONU, l’autre émanant de l’ONG Human Rights Watch (HRW), rendus publics fin mai et début juin. Le plus accusateur, celui de HRW (la Monusco s’est partiellement rétractée quelques jours plus tard) parle de plusieurs centaines d’hommes, de conseillers et même d’armement antiaérien fournis par l’armée rwandaise. S’il est évident qu’il existe à Kigali un profond courant d’empathie avec le sort des Tutsis congolais, au point que le Haut État-Major de l’armée rwandaise considère volontiers les chefs de la rébellion comme des frères d’armes, aucun des témoignages présentés par ces deux rapports n’atteste cependant de façon irréfutable de la réalité de cette aide.

Bosco Ntaganda sirotant sa bière à Kinigi au su et au vu de tous? Impensable!

D’abord, parce qu’il est très difficile de savoir qui est qui dans une région où les rwandophones sont nombreux, où l’on naît d’un côté de la frontière pour vivre de l’autre.

Ensuite, parce que certaines précisions apparaissent peu crédibles : ainsi, pour qui connaît les méthodes de travail des services de sécurité rwandais, imaginer Bosco Ntaganda, recherché par la CPI depuis six ans, siroter sa bière dans un bar de Kinigi au vu et au su des passants en compagnie d’un officier des RDF (forces de défense rwandaises), ainsi que l’affirme HRW, est pour le moins sidérant – sauf à croire que les autorités de Kigali tenaient à faire savoir au monde entier qu’elles protégeaient un criminel de guerre… tout en le démentant farouchement. Enfin, il est probable que le gouvernement de Paul Kagamé fasse, par cette mauvaise publicité qui lui est donnée, les frais des relations tendues que les ONG et la Monusco ont toujours entretenues avec lui. Plus HRW radicalise ses critiques sur le thème des droits de l’homme, et plus Kigali l’accuse d’avoir sur le Rwanda et son régime un regard partial, ethnocentré et obsédé par l’exportation du « modèle » démocratique américain.

Quant à la Monusco, dont les autorités rwandaises répètent à l’envi que ses 20 000 hommes et son milliard de dollars de budget annuel ne servent à rien – en tout cas pas à traquer les FDLR, ni à protéger les Tutsis congolais -, ses cadres se montrent volontiers acerbes à l’encontre du pays des Mille Collines. Un diplomate occidental qui l’a récemment rencontrée se disait ainsi surpris du langage tenu par Hirote Sélassié, la responsable éthiopienne du bureau de l’ONU à Goma : « Pendant tout l’entretien, elle n’a cessé de dauber sur le Rwanda. »

  • Les réfugiés congolais au Rwanda constituent-ils une menace ?
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Une menace immédiate, non, une bombe à retardement, certainement. C’est une facette méconnue de la crise : 65 000 réfugiés tutsis congolais campent non loin de la frontière, pour les quatre cinquièmes d’entre eux depuis plus de trois ans. Si l’accord Kinshasa-Kigali de mars 2009 a prévu leur rapatriement, rien ne semble avoir été fait, côté congolais et Monusco, pour le mettre en oeuvre.

65 000. C’est le nombre de réfugiés congolais au Rwanda.

Fin avril 2012, le gouverneur du Nord-Kivu s’est rendu dans les camps pour inciter les personnes déplacées à rentrer chez elles, mais il a dû faire face à un feu roulant de questions, auxquelles il n’a pas pu répondre : « Où allez-vous nous réinstaller ? », « Qui nous protégera des milices FDLR ? », « Nous considérez-vous comme aussi congolais que vous ? » D’autres réfugiés sont venus grossir les rangs depuis fin mars, une partie d’entre eux – environ 15 000 – s’installant un peu plus au nord, à l’intérieur du territoire ougandais. Tous ou presque sympathisent avec la rébellion du M23, et l’on reconnaît de bonne source à Kigali qu’il est « très difficile d’empêcher tous ceux qui le souhaitent d’aller rejoindre leurs frères et leurs cousins qui se battent au Kivu ». Si des passages en groupe de la frontière rwando-congolaise ont pu effectivement être repérés, il s’agirait donc non pas de soldats rwandais, mais de Tutsis congolais désireux d’aller prêter main-forte à la rébellion. Même s’il n’est pas exclu que quelques agents de renseignement des RDF se soient mêlés à leurs rangs.

  • Est-ce la fin de la cohabitation entre la RD Congo et le Rwanda ?
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« Il n’y a pas de solution militaire au problème du Nord-Kivu », répète-t-on à Kigali. À Kinshasa, l’opposition a toujours fait de la « rwandophilie » supposée du président Kabila un cheval de bataille, journaux et sites d’information n’hésitent pas à verser dans la xénophobie en tirant à boulets rouges sur « l’envahisseur » rwandais et en critiquant la Monusco, accusée de ne pas aider l’armée congolaise. Le gouvernement congolais, bien que soumis à de fortes pressions bellicistes, a jusqu’ici su faire preuve de retenue. « Le fil n’est pas rompu », insiste de son côté Louise Mushikiwabo, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, qui s’entretient quotidiennement au téléphone avec Raymond Tshibanda, son homologue congolais. Jusqu’à quand ?

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