Mali : Bamako encore sous le choc du coup d’État

Arrivés au pouvoir sans l’avoir vraiment prévu, les militaires maliens n’ont convaincu ni la communauté internationale ni les habitants de la capitale, inquiets des conséquences de la guerre.

Originaires du Nord, des centaines de Maliens ont proposé de prendre les armes contre les rebelles. © AFP

Originaires du Nord, des centaines de Maliens ont proposé de prendre les armes contre les rebelles. © AFP

Publié le 12 avril 2012 Lecture : 6 minutes.

Groggy. Sonné. Bamako ne se remet pas de ces trois semaines qui ont tout changé. De ce coup d’État qui a brutalement stoppé deux décennies de démocratie malienne. De cette rébellion touarègue qui, deux mois après avoir pris les armes, a proclamé l’indépendance de l’Azawad, le 6 avril. De cette poussée des islamistes, qui tiennent, depuis plusieurs jours, Tombouctou, grande ville du Nord. Au sud, l’amertume est énorme.

De la junte qui a renversé le président Amadou Toumani Touré (ATT), les habitants de Bamako n’attendent pas grand-chose. « Quand je pense que c’est parce qu’il n’arrivait pas à gérer la situation dans le Nord qu’ATT a été chassé du pouvoir », soupire Hawa Haïdara, du Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la république, ce regroupement de partis politiques et d’associations qui s’oppose aux militaires. « Mais les putschistes vont-ils démissionner devant leur échec ? » Comme beaucoup, Hawa Haïdara est amère. « Non seulement on a fait un bond en arrière, mais nous avons perdu les deux tiers de notre pays. »

A Kati, où la junte a établi son QG, le flot des visiteurs et courtisans est incessant.

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Car le constat d’échec est patent. Le putsch du 21 mars, ajouté à la désorganisation de l’armée et à la totale confusion qui, début avril, régnait encore à la tête de l’État, a bien fait le lit des rebelles et des islamistes. Quelques jours seulement leur ont suffi pour prendre les villes de Gao, Kidal et Tombouctou, sans que jamais les militaires ne parviennent à les en empêcher – ni ne le tentent vraiment. Si elle n’était pas aussi tragique, la situation serait risible.

Au camp Soundiata Keïta de Kati, on accuse le coup. C’est dans cette ville de garnison, située à une quinzaine de kilomètres de Bamako, que le capitaine Amadou Haya Sanogo, propulsé à la tête du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE), a pris ses quartiers, dans le bâtiment décati de deux étages qui servait de poste de commandement de la IIIe région militaire. C’est là qu’il essaie, tant bien que mal, de diriger le pays – mais plus pour longtemps, promet-il.

Entre le coup d’éclat du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), les négociations avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et une classe politique qui leur est dans l’ensemble plutôt hostile, les militaires ont bien du mal à décider de la marche à suivre. « La junte navigue à vue, grince un homme d’affaires installé à Bamako. Confrontée à l’exercice du pouvoir, elle a fini par se rendre compte que gouverner le Mali n’est pas une mince affaire. »

Allégeance

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Dur de se consacrer à la gestion de la crise quand, tout au long de la journée, le poste de commandement grouille de visiteurs. « Les journées commencent dès 6 heures du matin et se terminent souvent après 3 heures », affirme l’adjudant Mady Oulé Dembélé, qui fait office de chef de cabinet du capitaine Sanogo. C’est un défilé incessant de pick-up, de berlines et de motocyclettes qui déversent leurs flots de visiteurs. Hommes politiques, syndicalistes, leaders d’opinion convoqués par le capitaine « pour consultation », militaires venus prêter allégeance ou courtisans venus assurer leurs prébendes… Kati ne désemplit pas.

Pour accéder au saint des saints, il faut montrer patte blanche. D’abord à un commis scrupuleux qui consigne d’une main de calligraphe nom, prénom et coordonnées téléphoniques dans son registre. Puis on doit subir une fouille méticuleuse. Pour, en haut de l’étroit escalier en métal, prendre place sur l’un des divans en cuir qui a connu des jours meilleurs. Et, face au capitaine, il faut être bref. Le temps est compté. 

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Sourire aimable, voix grave et posée… Amadou Haya Sanogo tente de faire bonne figure. Pourtant, il piaffe d’impatience, pressé de « repousser les rebelles aux confins du désert », de « remettre le Mali sur la voie du développement », de « lutter contre la corruption ». Le chantier est vaste, mais ne lui fait pas peur, assure-t-il : « Le peuple malien compte sur moi, je n’ai pas le droit de le décevoir. » Un mélange de populisme à la Dadis Camara et d’exaltation sankariste. « Plus Dadis que Sankara », ironise un politicien. Mais le chef de la junte se dit insensible aux critiques. Après tout, ce coup d’État, c’est aussi contre tous ces hommes politiques qu’il l’a fait, contre ces chefs de parti qui, par leur silence ou leur complaisance, se sont rendus complices du naufrage malien.

Pour l’heure, le capitaine Sanogo donne des ordres aux troupes sur le terrain et passe d’innombrables coups de fil à des ambassadeurs de « pays amis ». Qui exactement ? Les proches de Sanogo entretiennent le mystère, tout comme ils feignent d’ignorer les rumeurs qui, jour après jour, annoncent le départ imminent du chef de la junte. Dans la cour, un homme de troupe présente fièrement un fusil-mitrailleur dont il assure qu’il a été « offert par les amis chinois », au cours de la première semaine d’avril. Mais ce n’est pas suffisant. Il faudrait plus, beaucoup plus. Des chars de combat, des véhicules de transport de troupes, des roquettes et pourquoi pas un ou deux hélicoptères de combat Mi-24 ? Quant à la mobilisation des fonds, c’est un autre problème. Les ressources du Trésor malien sont loin d’être inépuisables et l’embargo de la Cedeao a contraint la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à geler les fonds octroyés au Mali.

Le 6 avril, la majorité des 35 000 fonctionnaires n’avait toujours pas perçu son salaire. Effrayés par l’éventualité d’une hausse des prix, les habitants de la capitale anticipent : les files s’allongent devant les stations-service et les denrées de première nécessité sont prises d’assaut sur les marchés. Dans les banques, où les retraits ont été plafonnés à 500 000 F CFA (762 euros), l’attente se compte en heures. « Notre économie dépend tellement de l’extérieur qu’un embargo prolongé lui serait fatal », prévient Babalaye Dao, secrétaire général du Conseil national des chargeurs maliens, qui regroupe des importateurs, des exportateurs et des transitaires. « Les ports d’Abidjan et de Dakar sont vitaux pour le Mali. C’est par là que transite tout ce dont nous avons besoin, des denrées alimentaires au matériel de construction. » Environ 2 millions de tonnes de marchandises entrent chaque année via ces ports. « Nous pourrions nous tourner vers la Mauritanie [qui ne fait pas partie de la Cedeao, NDLR], mais cela demanderait une organisation différente. »

Panique économique

Dans le monde des affaires, c’est presque la panique. « En dix jours, nous avons perdu 70 millions d’euros », lâche l’industriel Aliou Diallo. Cotées à Francfort, les actions de son entreprise minière, Wassoulor, sont passées de 12,5 à 9 euros en dix jours. « On est parvenus à limiter la casse, ajoute-t-il. Mais si ça continue comme ça… C’est la double peine pour les Maliens. Ils n’ont rien demandé, ils ne sont pas coupables, mais ils subissent de plein fouet les conséquences des mauvais choix des politiques. »

Des politiques que les Maliens considèrent tous comme comptables du bilan d’ATT. « Tous ceux qui sont là ont profité, d’une façon ou d’une autre, du système qui nous a menés à l’impasse », explique l’un d’eux. Lui veut croire que le coup d’État, décrié ou salué, permettra de remettre les choses à plat. « Ce sera l’occasion de crever l’abcès, espère un homme d’affaires arabe. Il y a eu trop de douleurs, trop d’incompréhensions entre les différentes communautés au Mali. Elles ont souvent été instrumentalisées à des fins politiciennes. Ne pas en parler, ne pas régler tous les contentieux une bonne fois pour toutes nous ramènera au même point dans vingt ans. »

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Malika Groga-Bada, envoyée spéciale

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