Tchad – Koulsy Lamko : « Mon pays, un terreau d’immenses beautés et d’indicibles violences »

En exil depuis 1983, l’écrivain, poète et dramaturge se dit toujours « habité » par le Tchad. Depuis le Mexique où il vit, il se bat aujourd’hui pour faire entendre les voix de la diaspora noire.

Koulsy Lamko, écrivain tchadien exilé au Mexique. © DR

Koulsy Lamko, écrivain tchadien exilé au Mexique. © DR

Publié le 12 avril 2012 Lecture : 6 minutes.

Nomade dans l’âme, Koulsy Lamko raconte l’errance : la sienne, mais aussi celle des femmes et hommes croisés lors de ses périples par-delà les frontières et les océans. Lui-même a quitté son pays natal, le Tchad, en 1983, fuyant la guerre civile. Il a ensuite vécu au Burkina Faso, au Rwanda, au Togo, en Côte d’Ivoire, en France, aux Pays-Bas… avant de poser sa valise il y a neuf ans au Mexique, devenu son pays d’adoption. Écrivain prolifique et grave, Lamko a publié des pièces de théâtre, des romans, de la poésie, tout en enseignant les arts dramatiques. Son dernier roman, paru en 2011, a pour titre Les Racines du yucca (éd. Philippe Rey). Son action se déroule dans un village du Yucatán, avec pour protagonistes des rescapés de la guerre du Guatemala. Le narrateur est un écrivain africain exilé qui raconte « [son] pays de merde [qu’il] adore ».

Jeune Afrique : Votre roman Les Racines du yucca est-il autobiographique

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Koulsy Lamko : Non, quand bien même on peut y déceler des pans de ma vie et de ma pensée. Moi aussi, mon pays d’origine m’habite, même si je n’y habite pas.

Et cette incroyable allergie au papier dont souffre votre narrateur ?

Une amie journaliste considérait que c’était une trouvaille géniale de romancier. Quelle ne fut pas sa déception quand elle apprit que j’étais moi-même allergique au papier ! Vieux jeu, j’écris mes textes au crayon avant de les porter sur le clavier. Le papier est une matière vivante qui peut être agressive. Il l’est à mon égard et je n’y peux rien. Je porte des gants pour lire et écrire. Mais je suis tout aussi allergique aux fleurs, au tabac, au froid, au miel et à la cruelle volonté de puissance de ceux qui écrasent du talon les plus faibles d’entre nous. Notre corps, unité dans sa multiplicité et mémoire redoutable, sait bien marquer les désaccords profonds qui nous traversent. Il y a des maladies dont on ne guérit que contre soi-même. Je voudrais ne jamais guérir d’être attentif au désaccord.

Cette allergie ne cache-t-elle pas un mal-vivre existentiel ?

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Mais non ! J’ai toujours su ce que je devais faire de mon existence, et cela très tôt dans ma vie… Depuis que mon professeur d’histoire de quatrième m’a raconté la traite des Noirs par les Arabes et les Européens. Le reste a consisté à vivre une veillée d’armes et le sera tant que, comme l’écrivait Aimé Césaire, « l’ocelot est dans le buisson, le rôdeur à nos portes, le chasseur d’hommes à l’affût, avec son fusil, son filet, sa muselière ». Quant au symbole de l’allergie au papier, j’en laisse le soin de l’interprétation au lecteur…

Les Racines du yucca, c’est aussi un récit très littéraire. Il y est question de romans à écrire, d’ateliers d’écriture, de journal de guerre… Diriez-vous que l’écriture est le véritable thème de ce roman ?

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Les Racines du yucca sont le deuxième volume d’une trilogie sur la guerre, le premier étant Sahr, Champs de folie, paru en 2010, et le dernier Daar Foor !, à paraître bientôt. Pêle-mêle, j’y aborde l’écriture, la langue de l’écrivain, le génocide des Mayas du Guatemala, la guerre et sa cruauté universelle dès lors qu’il s’agit d’intérêts du néolibéralisme aveugle, l’exil dans les camps de réfugiés, les insuffisances du leadership politique. La sophistication des guerres, qui détruisent d’immenses territoires physiques et sociétaux et désagrègent l’humanité en nous, m’interroge sur la pertinence, la nécessité du dire de l’écrivain, qui sait merveilleusement justifier son confort dans sa tour d’ivoire.

Il s’agit de déconstruire la chape de préjugés et de mythes qui emmurent le Nègre.

Vous vous êtes souvent défini comme un poète engagé. En quoi consiste cet engagement ?

Je ne suis pas un donneur de leçons, surtout pas à ceux des nôtres qui croient en une littérature-monde qui les diluerait au mieux dans la nébuleuse vaporeuse. Mais mon sentiment est que, quand on est nègre et qu’on se rend compte de l’exploitation éhontée dont la terre-mère est l’objet, des injustices notoires, des ostracismes multiples, du mépris violent que vivent les Nègres tous les jours, dans les souks, les queues d’attente des bureaux d’emploi et des aéroports où l’on est d’emblée suspect, quelle que soit notre géographie éclatée, il y a une indécence à jouer au Nègre garde-chiourme du paquebot fou. Peut-être pourrait-on juste crier pour refuser d’être complice de l’assassinat permanent dont on est l’objet.

Vous êtes l’auteur d’une oeuvre très riche qui embrasse différents genres : théâtre, poésies, romans, nouvelles, contes… Y a-t-il une forme avec laquelle vous vous sentez plus en phase ?

Pour moi, il s’agit d’une seule parole multiple, d’un seul discours obsédant et obsédé qui se décline dans différents genres d’expression et canaux de partage, et cela selon le public cible. Je n’ai pas de préférence.

Comment êtes-vous venu à l’écriture ?

En 1974. J’avais 15 ans. Un acte de révolte ! C’est un poème rendu à la professeure à l’endroit d’un devoir de rédaction. Elle l’a affiché au babillard du collège dans le couloir de passage, parce qu’elle le trouvait magnifique. J’en fus fier.

Comment se prépare-t-on quand on est jeune garçon au Tchad, aspirant peut-être déjà à devenir écrivain ?

Mon pays est un riche creuset de moult cultures, un terreau d’immenses beautés et également d’indicibles violences. Je suis émerveillé par le talent et le courage des jeunes qui inventent, se débrouillent pour exister en tant que créateurs dans un domaine déserté par un simulacre d’État, démissionnaire.

Dans quelles circonstances avez-vous quitté votre pays ?

En 1983, après m’être vu fermer les portes de l’Université du Tchad pendant cinq ans par une stupide guerre civile infiniment destructrice.

Avant de venir au Mexique et de vous y installer, vous êtes passé par le Burkina Faso, le Rwanda, la France, les Pays-Bas… Dans lequel de ces pays auriez-vous aimé vivre ?

Vous avez oublié au passage le Togo et la Côte d’Ivoire. Mes amis de la côte Atlantique en prendraient la mouche. J’ai toujours été bien accueilli pendant mon errance. L’exil, enfer ou royaume, se décline au gré de la force d’adaptation. Le Burkina Faso demeure ma terre d’adoption privilégiée, parce qu’il a forgé ma conscience politique et artistique.

À Mexico, vous dirigez depuis 2009 la Casa R. Hankili África. Qu’est-ce ?

C’est un centre culturel de résidences ponctuelles d’écrivains en refuge et d’artistes africains et de la diaspora noire, un espace d’accueil et de promotion de cultures africaines, un pan d’Afrique implanté au pays des Aztèques et des Mayas. C’est aussi un avant-poste dans les luttes multiformes que nous menons pour exister pleinement dans la conscience des autres, en tant qu’humanité, histoire et cultures. Il s’agit, par nos conférences dans les universités, nos activités artistiques, nos publications, nos rencontres avec les communautés mexicaines, de déconstruire la chape de préjugés négatifs et de mythes qui emmurent le Nègre.

Qui avez-vous reçu en résidence à Hankili África ?

L’écrivain et chercheur malien Fodé Sidibé, le musicien et griot malien Abdoulaye Diarra, l’écrivain et essayiste rwandais Vénuste Kayimahé, le jeune peintre haïtien Frenal Mezilas, l’artiste visuel mexicain Balthazar Castellano, l’essayiste camerounais Bertrand Teyou et le chorégraphe et musicien tchadien Razolo Guedoum Djimbaye, qui anime actuellement des ateliers dans la région où vivent les afrodescendants. Nous attendons un musicien mozambicain et une romancière brésilienne. 

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Propos recueillis par Tirthankar Chanda

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