Tchad : notre culture n’a pas de prix

Issa Serge Coelo est cinéaste.

Publié le 27 mars 2012 Lecture : 3 minutes.

Tchad : après la tempête, s’ouvrir au monde
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Tchad : après la tempête, s’ouvrir au monde

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Elle est l’essence même de la vie d’après-guerre. En nous invitant à nous écouter les uns les autres, la culture nous ouvre la voie de la pacification. Alors que nous sommes encore sous la menace de l’instabilité politique, avec les événements libyens par exemple, il est nécessaire de poursuivre nos efforts afin de lui redonner toute sa valeur.

Les Tchadiens n’ont longtemps pas eu conscience du rôle de leurs artistes dans la reconstruction de la nation. Cela a changé avec le décès du grand musicien Talino Manu, en 2009, qui les a beaucoup touchés. Le gouvernement lui-même nous prête davantage d’attention. Cette année, il nous a alloué un budget honorable de 4 milliards de F CFA [6,1 millions d’euros, NDLR], mais cette somme devra augmenter tant la demande de la population est forte.

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Les Tchadiens ont faim. La réouverture de la salle de cinéma Le Normandie, à N’Djamena, dont je suis l’administrateur, a permis de leur redonner un peu de nourriture intellectuelle. Mon rêve de cinéaste est devenu réel. Sans offre culturelle sérieuse, N’Djamena était invivable, et nous étions honteux de parcourir le monde et de découvrir des salles de bonne qualité dans toutes les capitales, et même dans les petites villes. La nôtre est désormais la plus performante de toute l’Afrique francophone au niveau de l’image et du son comme de l’assise, et ce grâce à l’État. C’est un signal fort, qui a coïncidé avec la remise du Prix du jury du Festival de Cannes au cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun, en 2010.

Alors que celui-ci oeuvre, avec l’aide de l’État, à la construction d’une école de cinéma qui ouvrira prochainement ses portes à N’Djamena, je planche de mon côté sur la création d’un fonds pour soutenir la production cinématographique. Nous aimerions qu’il soit alimenté par une partie de la redevance audiovisuelle, désormais ponctionnée sur les abonnements téléphoniques. Ainsi, avec le triptyque école de cinéma, aide à la production et salle de cinéma, nous n’aurons plus qu’à nous mettre au travail.

Quand il va à l’étranger, un Tchadien peut être fier d’être reconnu par sa djellaba, ses scarifications, sa gastronomie ou sa langue.

Cette émulation culturelle est un miracle, car le Tchad a peu de moyens. En moins de dix ans d’exploitation pétrolifère, nous avons fait plus que nos voisins qui ont plusieurs années d’avance. Que ce soit dans les domaines de l’audiovisuel, de la musique ou des arts plastiques, notre pays émerge. Nous avons davantage de séries, de films, de musiciens et même de concerts ou d’expositions ! Mais les artistes manquent encore de bons outils de travail. Ceux-ci arrivent petit à petit avec l’augmentation du niveau de vie. Les gens s’achètent désormais des petites caméras pour réaliser des films ou des vidéoclips.

Il faut maintenant construire des salles de spectacle de qualité, afin de programmer davantage de concerts, d’accueillir plus de vedettes et d’organiser des rencontres autour des arts ou de la science. Je rêve d’en construire une à Biltine, où je suis né, et à Abéché, où j’ai vu mon premier film. Nous devons également renforcer les échanges culturels avec les autres pays, afin de nous enrichir et de nous améliorer. Au niveau de l’artisanat, les Tchadiens ont par exemple beaucoup à apprendre des Burkinabè ou des Maliens, qui réalisent un très beau travail avec le cuir, le bronze ou le coton.

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Nos artistes peuvent et veulent porter haut l’image de notre Tchad. Aujourd’hui, quand il va à l’étranger, un Tchadien peut être fier d’être reconnu par sa djellaba, ses scarifications, sa gastronomie ou sa langue. Cette exception culturelle d’un peuple n’a pas de prix. Nous, les artistes, ne devons cesser de l’expliquer à nos dirigeants afin qu’ils répondent à nos attentes.

C’est pourquoi je place tout mon espoir d’abord en nous-mêmes, car c’est par notre travail que nous consoliderons nos acquis ; ensuite, c’est par notre union que les solutions émergeront. Nous ne sommes pas là uniquement pour chanter de belles paroles ou danser sur des rythmes folkloriques, mais aussi pour élever le débat, éveiller les consciences, façonner une identité. Notre pays est fragile et si, demain, tout est à nouveau détruit, que nous restera-t-il ? Notre culture. 

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