Côte d’Ivoire – Soro : « Mon destin est formidable »

C’est le premier entretien qu’il accorde à la presse depuis son élection. Porté à la tête de l’Assemblée nationale avec un score quasi soviétique, le 12 mars, Guillaume Soro savoure. Pour l’ancien chef rebelle devenu, en à peine dix ans, numéro deux de l’État ivoirien, c’est une consécration. Et un tremplin.

Soro, à l’issue de son tout premier discours prononcé devant les députés ivoiriens, le 12 mars. © Kambou SIA

Soro, à l’issue de son tout premier discours prononcé devant les députés ivoiriens, le 12 mars. © Kambou SIA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 26 mars 2012 Lecture : 8 minutes.

«Mon destin est formidable ! » Mardi 13 mars dans l’après-midi, alors qu’il vient tout juste de passer ses pouvoirs à son successeur, Jeannot Ahoussou-Kouadio, le désormais ex-Premier ministre Guillaume Soro ne dissimule pas son plaisir, presque son vertige, lors d’une longue conversation téléphonique avec Jeune Afrique. Il est vrai qu’on ne peut pas avoir été leader de rébellion puis ministre d’État à 30 ans, chef du gouvernement à 34 ans et – depuis le 12 mars – président de l’Assemblée nationale à 39 ans, le tout dans un pays aussi richement doté que la Côte d’Ivoire en politiciens de qualité, sans en éprouver un frisson de narcissisme.

Le 8 mars, au sortir d’une entrevue avec le président Ouattara au cours de laquelle il lui a, comme convenu de longue date entre les deux hommes, remis sa démission de Premier ministre, Guillaume Soro téléphone à son mentor, son grand frère et son Pygmalion de toujours, Blaise Compaoré : « Voilà, c’est fait, lui dit-il. Je suis désormais au chômage. Il va falloir que tu m’envoies chaque mois un boeuf et un sac de riz pour nourrir toute ma famille. » Le chef de l’État burkinabè éclate de rire : il connaît, pour l’avoir coécrit, le scénario qui est en train de se dérouler entre Abidjan et Yamoussoukro.

Si j’avais accepté le deal de Gbagbo, l’Histoire aurait été différente.

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De fait, Soro ne restera que quatre jours sans emploi. Le lundi suivant, seul candidat au perchoir, il est élu avec un score quasi soviétique : 236 des 249 députés ont voté pour lui, sans tenir compte du fait que, à deux mois près, le nouvel élu de Ferkessédougou n’a pas l’âge requis (40 ans) pour le poste. « Qui peut le plus peut le moins, commente-t-il. L’article 48 de la Constitution a permis à tout le monde de se présenter à la présidentielle de 2010, sans tenir compte de la limite d’âge. Cette disposition s’applique a fortiori à l’Assemblée nationale. Quant aux treize députés qui se sont abstenus, je les remercie. L’unanimité aurait été embarrassante. »

Amères. Un plébiscite tout de même, qui propulse Guillaume Soro au deuxième rang de l’État ivoirien. Un statut enviable et qui n’a rien de symbolique : en cas de décès ou d’empêchement du président, c’est lui qui assure l’intérim. « Je mesure pleinement la confiance que me fait Alassane Ouattara. J’imagine qu’il a dû peser, soupeser et repeser cette décision », dit-il, comme pour répondre à ces quelques voix amères qui susurrent que le chef a pris un risque en choisissant un ex-rebelle ambitieux pour un poste aussi sensible. Après tout, même s’ils se connaissent depuis une quinzaine d’années et s’ils ont, depuis un an, cohabité sans heurts au pouvoir, Ouattara et Soro ne sont pas issus de la même matrice. Le second doit beaucoup plus, en termes d’apprentissage et d’accompagnement politiques, à Blaise Compaoré qu’au premier, et sa loyauté envers Laurent Gbagbo jusqu’à l’élection présidentielle a longtemps nourri, dans l’entourage de Ouattara, des soupçons de partialité. Mais tout a changé au lendemain du 28 novembre 2010 lorsque Soro, ulcéré par le comportement de Gbagbo entre les deux tours, conscient du fait que ce dernier ne lui réservait aucun avenir politique et prenant acte du résultat officiel du second tour, a basculé définitivement dans le camp du vainqueur assiégé. « Je crois que la confiance que m’accorde le président repose sur deux choses, analyse, lucide, Guillaume Soro. Le 28 novembre, après avoir confisqué le pouvoir, Gbagbo a voulu passer un deal avec moi. Si j’avais accepté, l’Histoire aurait été différente. Or j’ai refusé. Puis j’ai engagé les Forces nouvelles, mes troupes, dans la bataille. Nous avons gagné, nous avons pris Yamoussoukro puis Abidjan et j’aurais fort bien pu, dans la foulée, ramasser la mise pour moi. Or je ne l’ai pas fait. Qui d’autre Alassane Ouattara a-t-il pu tester de façon aussi précise, cruciale et déterminante ? »

Au-dessus de la mêlée. Son avenir, Guillaume Soro le voit d’abord dans la proximité. « Président de l’Assemblée nationale, c’est une lourde responsabilité », reconnaît-il, et peu importe à ses yeux si, en l’absence du Front populaire ivoirien (FPI), aucune opposition significative n’y siège. « Ce ne sera pas une chambre d’enregistrement, ce n’est pas mon genre. Il n’y aura ni complaisance, ni chèque en blanc délivré au gouvernement, j’y veillerai. Mon successeur à la primature et moi avons travaillé ensemble pendant quatorze mois. Je l’apprécie. Mais il me connaît. »

Il est clair également que Guillaume Soro n’entend pas se désintéresser d’un dossier qu’il suivait presque heure par heure lorsqu’il était Premier ministre : la refonte de l’armée et le sort des ex-rebelles. « Je reste là, en back-office », promet-il. Le ministre délégué à la Défense, Paul Koffi Koffi, qu’il avait lui-même choisi, à qui il s’est efforcé de beaucoup déléguer et qui a été reconduit dans le nouveau gouvernement, servira de courroie de transmission. Quant aux Forces nouvelles (FN), dont il est le secrétaire général, il entend, assure-t-il, s’en retirer, le poste étant incompatible avec une présidence de l’Assemblée « au-dessus de la mêlée ».

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Reste qu’il y a de fortes chances pour que ce retrait soit avant tout formel. Le nouveau secrétaire général, qui devrait être connu dans un ou deux mois après une réunion au sommet, ce sera lui et personne d’autre qui l’aura adoubé. Un moment caressée, l’idée de transformer les FN en parti politique est écartée depuis septembre 2011, quand celui qui était encore Premier ministre a décidé de se présenter aux législatives sous l’étiquette du Rassemblement des républicains (RDR), le parti de Ouattara. Une formation dont il se sent proche mais à laquelle il n’a pas – ou pas encore – adhéré, préférant attendre de voir si l’ambitieux projet de fusion organique entre ce parti et celui d’Henri Konan Bédié, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), prend corps. Chez Soro, on l’aura noté, le mot rassemblement revient fréquemment, comme s’il voulait en faire la pierre angulaire de son destin politique.

Rester loyal envers le président, c’est le meilleur moyen de préparer mon avenir.

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Guillaume Soro avec l’ancien président Gbagbo en octobre 2008 à Katiola.

Plaisanterie. L’avenir immédiat, c’est aussi une urgence : lever au plus vite l’hypothèque de la Cour pénale internationale (CPI), qui a déjà attrapé Laurent Gbagbo dans ses filets et dont les enquêtes rétrospectives s’étendent désormais jusqu’à septembre 2002, date de l’entrée en rébellion d’un certain Guillaume Soro. À la question « Vous sentez-vous menacé ? », le nouveau président de l’Assemblée nationale répond d’abord sur le ton de la plaisanterie : « Si j’en crois certains, il faudrait incarcérer tous les Ivoiriens, du plus grand au plus petit d’entre eux. Croyez-vous que la prison de Scheveningen contienne assez de cellules VIP ? » Puis, il se ravise, redevient sérieux. La CPI, il le sait, a sa propre logique, ses propres mécanismes, sur lesquels nul n’a de prise, et – signe qu’il ne prend pas l’affaire à la légère – Guillaume Soro a fait plancher sa propre équipe de juristes sur « son » dossier. « Je n’ai été ni convoqué ni entendu par la CPI parce qu’il n’y a rien me concernant, dit-il. Je suis serein. C’est Gbagbo qui, en refusant le verdict des urnes, est le seul responsable des événements de 2011. Les FN ne sont entrées dans la guerre que pour y mettre un terme. Ni l’origine ni le niveau des crimes commis ne sont donc comparables. Si certains comzones sont poursuivis par la Cour, ils devront en répondre, mais cela s’arrêtera là. La CPI va juger Jean-Pierre Bemba ; elle n’a pas, que je sache, mis en cause Joseph Kabila. » Et la réouverture éventuelle d’une enquête sur les crimes commis par les rebelles à Bouaké en octobre 2002 et à Korhogo en juin 2004 ? « Des jugements ont été prononcés, des sanctions sont tombées contre les responsables. Je vois mal la Cour remettre cela en question », répond Soro. Serein peut-être mais aussi préoccupé, l’ancien chef de guerre sait que, dans la pire des hypothèses, Alassane Ouattara ne le lâchera pas. On le sent pourtant désireux d’être au plus vite soulagé de ce qui apparaît comme une sourde menace, histoire qu’elle ne vienne pas s’immiscer en travers de son destin.

Car tout Abidjan, toute la Côte d’Ivoire en est persuadée : l’Assemblée nationale n’est, pour Soro, qu’une étape sur les marches du Palais. Lui, bien sûr, ne se découvre pas. « Mon seul objectif est de préparer la réélection d’Alassane Ouattara en 2015 », explique-t-il, avant d’ajouter : « Je pense que si je reste loyal, dans le sillon du président, comme j’en ai bien l’intention, c’est le meilleur moyen pour moi de préparer mon avenir. Après tout, il arrive que l’on rencontre sa destinée par le chemin que l’on emprunte pour l’éviter. »

Dépucelage politique. Sur ce point, Guillaume Soro, dont le dépucelage politique est ancien, endosse les habits d’un enfant de choeur, qui ne lui siéent guère. Nul n’ignore en effet qu’il ne fera rien pour éviter ce chemin qui mène au pouvoir suprême, qu’il y pense en se rasant, qu’il s’y prépare, et que cette ambition, naturelle chez un homme aussi jeune, aussi brillant et avec un tel parcours, n’a rien d’illégitime. Mais sur ce point aussi Guillaume Soro dit vrai : la réussite dans cette entreprise passe par sa fidélité à Alassane Ouattara. Si, comme on l’imagine et sauf aléas de la vie, ce dernier se retire en 2020 une fois ses deux mandats constitutionnels achevés, Soro aura de vraies chances de lui succéder, à une condition : que Ouattara l’ait auparavant décidé, en mettant son influence et son parti à son service. Guillaume Soro aura alors 48 ans. Sa ferme de Ferkessédougou, qui compte déjà cent têtes de boeuf, sera d’une taille respectable, et beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts de la lagune Ébrié. En attendant, lui qui n’a pratiquement pas pris de congés depuis cinq ans attend avec impatience le mois de juin pour faire un break. En guise de devoirs de vacances, il suivra, c’est promis, des cours intensifs de remise à niveau dans la langue de Shakespeare. Maîtrisard en anglais, il n’a guère eu le temps en effet, ces dernières années, de le pratiquer. Mister Soro, qui en douterait, voit loin… 

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François Soudan et Baudelaire Mieu, à Abidjan

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