Chine : Pékin sur le gril soudanais

Le deux Soudan causent bien du souci à la Chine. Il faut rassurer l’opinion publique, qui s’inquiète des enlèvements d’expatriés. Tout en ménageant Djouba et Khartoum. En jeu ? Le pétrole.

Pékin a des intérêts dans presque tous les domaines de l’économie soudanaise. © AFP

Pékin a des intérêts dans presque tous les domaines de l’économie soudanaise. © AFP

Publié le 15 mars 2012 Lecture : 4 minutes.

En apprenant que sa fille quittait la Chine pour aller travailler au Soudan du Sud, la mère de Lu Zhifang a été horrifiée. Elle a même essayé de l’empêcher d’obtenir un passeport. Ses craintes se sont rapidement concrétisées, avec l’enlèvement fin janvier de 29 travailleurs chinois par des combattants proches de l’ancienne rébellion sud-soudanaise.

« Mes parents sont vraiment inquiets. Je dois les appeler tous les jours pour leur dire que je vais bien », explique Lu Zhifang. Pour la gérante du restaurant La Perle orientale, la vie à Djouba est pourtant tout sauf dangereuse. « C’est un miracle, s’enthousiasme-t-elle. Avant, je ne connaissais l’Afrique et les Africains que par la télévision. Le Soudan du Sud est une perle. »

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Avec ses lanternes rouges qui tranchent sur les rues poussiéreuses de Djouba, le centre commercial est l’un des nombreux négoces asiatiques apparus dans la capitale : les Chinois dominent l’industrie pétrolière du pays, mais ils ont aussi des intérêts dans l’hôtellerie, la restauration, les télécommunications et la construction… – des intérêts qui sont aujourd’hui mis à rude épreuve.

Depuis les enlèvements de janvier, l’opinion publique chinoise s’inquiète de plus en plus pour la sécurité des travailleurs expatriés. Plus grave encore, Pékin se retrouve au beau milieu des querelles qui opposent son allié de longue date, le Soudan, à son nouveau partenaire économique, le Soudan du Sud. Ces tensions menacent les rapports économiques et diplomatiques qu’entretient l’empire du Milieu et avec Khartoum, et avec Djouba.

Courtisane

« Les vieux souvenirs ont la peau dure », note Henry Odwar, président de la commission du Parlement sud-soudanais en charge de l’énergie et des mines. « Tout le monde sait que les Chinois ont aidé les Arabes à nous tuer », ajoute-t-il, en référence aux armes qui ont été et qui continueraient à être vendues par la Chine à Khartoum.

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Depuis les accords de paix de 2005 qui ont ouvert la voix à l’indépendance du Sud, la Chine s’est pourtant attachée à courtiser la toute jeune nation. En jeu : le pétrole, produit pour les trois quarts au Sud, mais exporté via le Nord par le biais d’infrastructures construites par les Chinois. Des consortiums dirigés par des entreprises chinoises sont chargés d’une grande partie de la production de brut du Soudan du Sud et, en 2011, de nouveaux contrats ont été signés. Aujourd’hui cependant, les intérêts de Pékin sont menacés. En cause ? La décision prise en janvier par les autorités sud-soudanaises d’interrompre la production de pétrole, à la suite d’un désaccord avec Khartoum au sujet des frais de transit.

Cet incident met en lumière le rôle diplomatique que joue la Chine dans la région. Elle importe près de 5 % de son pétrole des deux Soudans. Le Sud espère donc que l’arrêt de la production obligera Pékin à convaincre Khartoum de baisser ses frais de transit. « Au lieu d’attendre que ça passe, Pékin devrait faire pression sur ses amis de Khartoum. Cette responsabilité incombe aux Chinois », estime Henry Odwar. « Les Soudanais du Sud sont fâchés de voir que les Chinois n’en font pas plus », confirme un diplomate occidental en poste à Pékin, qui souligne que la Chine est le plus influent des alliés du Nord.

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Tout cela met aussi à l’épreuve la politique chinoise de non-ingérence dans les affaires internes de ses partenaires économiques. Daniel Large, chercheur au Centre afro-asiatique de l’École des études orientales et africaines (Soas), à Londres, estime d’ailleurs que cette politique est plus « une doctrine d’intention qu’une politique appliquée ». « Le problème de la Chine, c’est que le Soudan et le Soudan du Sud essaient de la manipuler pour leurs propres intérêts, conclut-il. La marge de manoeuvre de Pékin est très réduite. » En décembre, la Chine a délégué un médiateur pour participer aux négociations entre les deux pays. Elle est même allée jusqu’à envoyer des forces de maintien de la paix au Soudan du Sud. Une première.

Dilemme

Pékin a aussi tenté d’amadouer Djouba. Le président, Salva Kiir, plusieurs membres du gouvernement et du parti au pouvoir, ainsi que des fonctionnaires de second rang ont été invités à se rendre en Chine. « Les deux voisins ne peuvent assurer leur développement commun qu’à travers une coexistence pacifique, qui peut mener à la paix et à la stabilité régionale », a rappelé Liu Weimin, porte-parole du ministre chinois des Affaires étrangères. Mais ces efforts n’ont pas permis à Pékin, qui s’est retrouvé en position de faiblesse par rapport au Soudan du Sud et à ses 8,3 millions d’habitants, de s’assurer du maintien de la production de pétrole. « C’est révélateur du dilemme dans lequel la Chine se trouve, déclare Elias Nyamlell Wakoson, adjoint au ministre des Affaires étrangères à Djouba. Mais c’est leur problème, pas le nôtre. » Le pétrole représente pourtant 98 % des revenus du Soudan du Sud, et pour survivre, il aura du mal à se passer des prêts massifs que la Chine pourrait lui accorder.

Pendant ce temps, les principaux problèmes des Chinois installés à Djouba restent l’ennui et le climat. « Il fait vraiment trop chaud », se plaint Dong Hongmei, qui répugne à sortir de l’hôtel Beijing de Djouba, où elle travaille en tant que réceptionniste. Elle a quitté son pays pour rejoindre son mari, qui travaillait comme chef pâtissier dans le restaurant de l’hôtel, avant qu’il ne soit détruit par le feu. Le bâtiment était en préfabriqué ; il sera reconstruit en briques. Car malgré les difficultés, les Chinois n’ont aucune intention de quitter le Soudan du Sud. 

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Katrina Manson. Financial Times et Jeune Afrique 2012

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