Au Maroc, le combat d’une mère célibataire contre l’exclusion

« Je me bats pour mon fils malgré les regards et les jugements impitoyables », lance avec détermination Khadija, une mère célibataire de 27 ans, dans un rare témoignage sur le combat quotidien contre l’exclusion que mènent chaque année des milliers de Marocaines.

Khadija, une mère célibataire de 27 ans, lors d’une interview à Casablanca le 30 juin 2014. © Fadel Senna

Khadija, une mère célibataire de 27 ans, lors d’une interview à Casablanca le 30 juin 2014. © Fadel Senna

Publié le 15 août 2014 Lecture : 3 minutes.

Du siège de l’association "Solidarité féminine", à Casablanca, la capitale économique, Khadija semble connaître chaque recoin. Pour cause: elle y a vécu avec son fils, âgé aujourd’hui de six ans, pendant plus d’une année.

"J’ai rencontré le père biologique dans ma région d’Agadir. Lui habitait à Casablanca", confie à l’AFP la jeune femme. "Ce que nous avions appris à l’école sur la sexualité était limité. J’étais encore trop jeune, j’avais à peine 20 ans, j’étais sans expérience", enchaîne-t-elle.

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Khadija se retrouve enceinte, dans un pays où les relations sexuelles hors mariage sont officiellement proscrites.
Elle affirme en avoir informé "le père biologique", comme elle le nomme. "Mais il m’a répondu ‘moi je ne t’ai rien fait’ et a disparu. Je me suis retrouvée seule".

Selon une étude publiée en 2011 par l’association de défense des femmes Insaf et l’ONU, dans le cas de grossesses hors-mariage, plus de 7 futurs pères sur 10 sont informés, mais la plupart refusent de reconnaître l’enfant.

D’après ce même rapport, près de 30.000 accouchements de mères célibataires sont recensés chaque année. Ces mères "sont amenées à vivre l’exclusion, le rejet, la discrimination voire l’exploitation", est-il souligné.

Pour éviter ces situations dramatiques, certaines ont recours à l’avortement, pourtant interdit par la loi, qui prévoit des peines d’un à cinq ans d’emprisonnement.

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Entre 600 et 800 avortements clandestins seraient ainsi pratiqués chaque jour dans le royaume, selon l’Association de lutte contre l’avortement clandestin (Amlac).

"Bouée de sauvetage"

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En apprenant sa grossesse, Khadija décide pour sa part de garder l’enfant mais de quitter son village afin d’accoucher à Casablanca, où elle pense pouvoir "se fondre" parmi les cinq millions d’habitants de cette mégapole "où les gens sont trop occupés" pour prêter attention à son cas.

"Je suis arrivée en fin de journée dans une gare routière sinistre", se rappelle-t-elle. "C’est une amie qui m’a informée de l’existence de ‘Solidarité féminine’. Ce fut ma bouée de sauvetage".

Aïcha Chenna, fondatrice de l’ONG et figure emblématique du combat pour les mères célibataires, prend place dans la grande salle qui lui sert parfois de bureau.

"Khadija a eu le courage d’assumer ce qui lui est arrivé", déclare-t-elle. "Plus de 150 enfants naissent hors mariage chaque jour au Maroc. C’est énorme!", poursuit celle que la presse locale a surnommée "Mère courage".

"Il faut que l’Etat reconnaisse ce phénomène", souligne encore Mme Chenna, critiquant la "politique de l’autruche" des autorités.

Sollicité par l’AFP, le ministère de la Femme et de la Famille n’a pas donné suite.

"Énormément à faire"

D’après Aïcha Chenna, la société marocaine a un peu évolué. "A l’époque où j’ai commencé à militer, dans les années 1970, il n’était pas question de prononcer les mots +mères célibataires+". Ce que confirme la directrice de l’Insaf, Houda El Bourahi en relevant qu’on "parle plus de la mère célibataire qu’il y a 10 ou 20 ans".

"Mais il reste encore énormément à faire", s’exclament les deux militantes.

Après l’accouchement, Khadija dit avoir retrouvé le père biologique, qui "a fini par reconnaître son fils… avant de disparaître à nouveau dans la nature".

Elle travaille aujourd’hui dans un salon de coiffure de Casablanca, parvenant –souvent difficilement– à subvenir seule à leurs besoins.

"Je me bats tous les jours pour mon enfant", répète la jeune femme. Comme au moment de l’inscription à l’école, ou pour trouver un logement décent.

"Les quartiers populaires sont moins chers mais les gens vous jugent souvent plus facilement. (…) Je veux que mon fils ne se sente pas différent", avance-t-elle.

En tant que mère célibataire, "les situations blessantes, on les vit presque chaque jour", lâche Khadija. "Je refuse que mon fils les vive à son tour".

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