Comment la diaspora influence l’opinion politique africaine grâce aux médias en ligne

Publié le 18 mai 2015 Lecture : 4 minutes.

RFI, Jeune Afrique, Le Point Afrique, (ex-) Slate Afrique, Le Monde Afrique, Afrik.com, etc. En Afrique francophone, les médias panafricains les plus sérieux et les plus influents sont… basés en France. Le continent compte pourtant une myriade de plateformes informatives, mais rares sont celles qui ne sont pas soupçonnées (à tort ou à raison) de militantisme politique à peine dissimulé. Autre biais : lorsqu’il s’agit du débat politique, la majorité des contenus vraiment visibles sont très souvent produits par la diaspora, ultra-productive, surtout lorsque le web reste pour des exilés ou leurs descendants le seul moyen de rester en contact avec leur pays d’origine.

C’est d’autant plus vrai que, sur le web, même les médias africains dont la ligne éditoriale se veut dégagée de toute dimension partisane pèchent sur un autre plan, logistique cette fois. Parfois bricolés avec les moyens du bord et le concours de graphistes et de journalistes improvisés, adossés à des régies publicitaires bancales, quand elles ne sont pas inexistantes, ils souffrent d’un manque de financement criant et sont, de facto, d’une facture éditoriale et esthétique pouvant laisser à désirer.

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Si ce dernier paramètre est insuffisant à détourner le lectorat africain des sites d’information locaux traitant de sujets régionaux (culture, sport, faits divers, etc), puisque ces sites constituent la seule offre en la matière, il finit en revanche d’orienter en masse ce lectorat vers la presse en ligne "occidentale".

Les membres de la diaspora africaine jouent un rôle important dans la formation de cette information politique sur l’Afrique provenant d’ailleurs. Qu’ils écrivent au sein de webmédias généralistes comportant des rubriques "Afrique" et implantés de longue date dans leur pays d’accueil, ou de webmédias créés par leurs soins. En 2010, le philosophe, historien et chercheur Souley Hassane estimait ainsi à plus de deux mille aux États-Unis et environ cinq cents en Europe ces médias "diasporiques". Il y a fort à parier que, cinq ans plus tard, l’offre se soit encore largement étoffée.

Plusieurs logiques sous-tendent le lancement de ces sites. Qu’il s’agisse de s’adresser aux autres membres de la diaspora, de viser une communauté plus large, composée de non-Africains, ou de cibler la communauté restée au pays. Étienne Damome, chercheur en sciences de l’information et de la communication, suggère dans les colonnes de CAIRN Info que cette dernière hypothèse vise à "produire sur [cette communauté restée au pays] une action directe". Avant d’ajouter : "L’effet miroir impose une remise en question de soi, une critique et en même temps un besoin d’adoption de comportements nouveaux, d’évolution sur le plan économique, culturel et social".

Damome souligne également que "c’est sur le  plan politique" que la diaspora est la plus influente. Conscients du rapport incestueux qui unit de nombreux médias africains et les différentes formations politiques locales, les Africains ont en effet massivement recours à la presse en ligne occidentale, qu’ils jugent souvent plus fiable, pour se forger une opinion politique. Si les prises de position politiques des membres de la diaspora ne sont par définition pas exemptes d’une dimension militante (d’autant qu’on compte parmi les migrants un certain nombre d’exilés politiques), le fait qu’elles apparaissent sur des médias dits "sérieux", non financés par telle ou telle formation politique, leur confère une autorité naturelle que peinent à acquérir les contributions hébergées sur des médias 100% africains.

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Seul bémol toutefois, et de taille : la déconnexion de certains membres de la diaspora avec la réalité du terrain de leurs pays d’origine. Déconnexion géographique et culturelle. Autrement dit, ceux qui sont les plus légitimes à s’exprimer sur la vie politique africaine sont les Africains eux-mêmes, et non pas des migrants qui n’ont parfois plus remis le pied dans leur pays d’origine depuis des années.

Ce constat pose la question de la mise en relation entre ceux dont la prise de parole est la plus légitime et les sites les plus légitimes. Pour y procéder, il existe deux options : que l’Afrique se dote à son tour de médias plus indépendants, ce qui ne manquera pas d’arriver mais, on le sait, devrait prendre un peu de temps. On ne fonde pas un réseau de groupes de presse de qualité en un tournemain. Ou, plus immédiatement, que les Africains témoignent in situ de leur réalité politique dans les colonnes des médias basés en Occident.

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Ces témoignages, qu’ils proviennent d’acteurs du pouvoir en place ou de l’opposition, auraient pour mérite d’extraire des voix politiques du corpus idéologique où elles trouvent généralement leur place en Afrique, pour les insérer sur des plateformes polyphoniques, jugées "recevables" par le plus grand nombre. Leur écho s’en verrait décuplé. C’est valable pour les membres de l’opposition, qui peinent à trouver de la visibilité sur place, comme pour ceux de la majorité, dont les interventions sont souvent déconsidérées par les observateurs pour le simple fait qu’elles sont relayées par des organes de presse officiels, ou proches du pouvoir. Les contributions de résidents africains à de grands médias occidentaux existent déjà, elles ont cependant intérêt à se multiplier pour la meilleure compréhension des réalités de plus en plus complexes du continent.

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* Matthieu Creux est un spécialiste de l’influence et de la mobilisation politique sur Internet. Comme conseiller ministériel ou comme consultant Internet, il a participé à toutes les élections françaises depuis 2006. Il est également intervenu auprès de nombreux clients internationaux en Afrique ou en Europe, toujours sur des problématiques d’activisme ou de contre-activisme en ligne. Il est l’auteur de l’essai La Dictature des minorités, à paraître.

* Pierre Achach dirige depuis une vingtaine d’années de nombreuses sociétés en Afrique dans le domaine des matières premières (mines, pétrole et bois). En France et aux Etats-Unis, il a également développé des activités dans le domaine du marketing digital. Il a notamment fondé le groupe Geary LSF. L’impact du marketing politique digital sur l’évolution des démocraties africaines fait partie des sujets sur lesquels il travaille actuellement.

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