Corsafrique : à Tasso, dans la vallée des croupiers

C’est à Tasso, en Corse-du-Sud, que Michel Tomi recrutait les employés de ses casinos. En sens inverse, il a aussi importé un peu d’Afrique sur l’île, au grand dam des nationalistes.

L’homme d’affaires corse Michel Tomi, le 18 mars 2001 © Olivier Laban Mattei/AFP

L’homme d’affaires corse Michel Tomi, le 18 mars 2001 © Olivier Laban Mattei/AFP

Publié le 15 mai 2015 Lecture : 3 minutes.

Tasso, patelin du bout du monde comme il en existe tant en Corse. Les cimes, au loin, sont encore blanches de neige, mais les cerisiers sont déjà en fleur en cette fin d’avril. Il fait bon. Il n’y a pourtant pas âme qui vive dans le village, le plus haut perché de la vallée du Taravo, cette rivière aux eaux aussi limpides qu’est obscure la réputation du plus célèbre des fils du "pays", Michel Tomi.

"Tomi ? On ne le voit plus ici", glisse une des rares habitantes. Son frère, Jean, est pourtant maire de Tasso depuis 1965. La plupart des maisons présentent le même aspect : pierres grises, portes closes et volets tirés. "Il n’y a plus grand monde, poursuit la sexagénaire. Les habitants viennent y passer le week-end ou les vacances. Ils vivent à Ajaccio ou sur le continent [en France]."

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Les gens d’ici ont la réputation, ailleurs en Corse, d’être "tous des fous". Ils sont censés, aussi, prospérer dans les jeux – ne dit-on pas de la région qu’il s’agit de "la vallée des croupiers" ? Ce fut longtemps une réalité : pendant des années, Tomi a recruté les employés de ses casinos dans "sa" vallée. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. "C’est fini tout ça, souffle le patron d’une station-service, plus bas dans la vallée. Ils ne sont plus nombreux à partir en Afrique."

Les traces de la Corsafrique sont invisibles à l’oeil nu. Ici, pas de maison bling-bling ni même de voiture rutilante. "C’est plus subtil que cela, explique un avocat proche des milieux nationalistes. Les quelques Corses d’Afrique qui amassent des millions ne vont pas construire des immeubles de cinq étages dans leur village. Ils ne vont pas non plus acheter des sociétés en leur nom. Ils usent de prête-noms pour recycler leur argent."

>> À lire aussi : Michel Tomi en garde à vue, la justice française enquête sur ses liens avec IBK

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Le temps où Michel Tomi et Robert Feliciaggi ont importé un peu d’Afrique en Corse semble révolu. C’était dans les années 1990. À l’époque, Tomi et surtout Feliciaggi veulent jouer un rôle sur leur île. Le premier pousse les résidents corses du Gabon à s’inscrire sur les listes électorales (en 1998, à Tasso, un inscrit sur cinq vit au Gabon…).

Le second devient une figure de la scène politique insulaire. En 1994, Feliciaggi est élu maire de Pila-Canale puis, en 1996, représentant à l’assemblée de Corse. Il préside également le Gazélec, l’un des deux clubs de football d’Ajaccio. Et il est connu, alors, pour être un proche du parrain de la Corse-du-Sud, Jean-Jé Colonna.

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À cette époque, l’influence des Corsafricains sur l’île de Beauté est devenue telle que certains leaders du mouvement nationaliste ont vu leur main dans le scandale le plus retentissant de ces dernières décennies : le meurtre du préfet Claude Érignac, à Ajaccio, le 6 février 1998 – au motif qu’il se serait opposé à certains de leurs projets. François Santoni, une figure du nationalisme corse, les avait désignés (sans jamais citer de nom) avant son assassinat, en 2001.

Depuis des années, il dénonçait une "opération de grande envergure visant à s’emparer de la Corse" menée par des hommes évoluant "dans le monde des affaires et du pétrole à Paris, en Corse, en Afrique ou ailleurs". La justice, qui n’a jamais pu déterminer l’identité des commanditaires de ce crime, n’a pas suivi cette piste, en dépit de la proximité de Feliciaggi avec Jean-Jé Colonna et de celle de Tomi avec Richard Casanova, une figure de la Brise de mer, la bande qui avait la main sur la Haute-Corse. l

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