Moi, Batista, immigré angolais, la France m’a jeté en prison après des tests osseux

Batista, immigré angolais, dit être né en 1996. Arrivé en France en 2012, il a bénéficié, en tant que mineur et durant deux ans, de l’aide sociale à l’enfance. Avant que l’administration ne change d’avis, sur la base de tests osseux à la fiabilité controversée, et bouleverse sa vie. Témoignage.  

Une prison française, à Marseille. © AFP

Une prison française, à Marseille. © AFP

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Publié le 17 avril 2015 Lecture : 11 minutes.

Depuis 2012, au moins huit jeunes étrangers se déclarant mineurs ont été traduits devant les tribunaux de Lyon, dans le sud de la France. Leur tort, selon le Conseil général du Rhône qui s’est porté partie civile : s’être fait passer pour des mineurs afin de bénéficier de l’aide social à l’enfance.

En France, tout mineur a le droit d’être nourri, logé et scolarisé et ne peut être expulsé. Ce qui n’est pas le cas des majeurs. Pour les différencier, l’administration se base sur des "tests osseux". Mesurant certaines parties du corps, notamment avant-bras et poignets, ceux-ci sont censés déterminer l’âge réel du patient. Ces tests ne sont pourtant pas d’une fiabilité à toute épreuve.

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Basée sur des modèles des années 1930, la méthode a été condamnée à de multiples reprises, notamment par l’Académie nationale de médecine, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, le Conseil de l’Europe, le Haut Conseil de la santé publique ou encore la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Elle  constitue pourtant bien souvent l’unique indice utilisé pour indiquer si des centaines de jeunes immigrés, venus notamment du Mali ou de la Guinée et passés par les enclaves de Ceuta et Mellila parfois, sont ou non mineurs. Certains, décrétés majeurs par ce biais, ont "simplement" été exclus de l’aide sociale à l’enfance. Ils vivent aujourd’hui dans la rue. D’autres ont été condamnés à des peines de plusieurs mois de prison, à des années d’interdiction du territoire ainsi qu’à de lourdes sanctions financières.

Jeune Afrique a rencontré l’un d’eux, qui nous a livré son témoignage. Jeune homme d’origine angolaise, Batista, son nom a été modifié, se dit aujourd’hui en sursis, deux ans après avoir fui son pays. Voici son histoire.

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Fuir l’Angola

"Je m’appelle Batista. Je suis né le 27 décembre 1996, en Angola, à Luanda. Pour moi, tout a commencé en 2010. Le 8 janvier, le bus de la délégation togolaise à la Coupe d’Afrique des nations a été attaqué par des soldats du Front de libération de l’enclave du Cabinda (Flec). Or mon père était un membre du Flec. Je ne sais pas exactement quel rôle il y avait. Il participait à des réunions, des manifestations mais il n’était pas armé et je ne l’ai jamais vu en uniforme.

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Au lendemain de l’attaque, mon père a été suspecté et la police angolaise a commencé à harceler ma famille pour savoir où il se trouvait. Les policiers sont venus plusieurs fois à notre domicile de Luanda, où je vivais avec ma mère, une commerçante, mon frère aîné et mes deux frères cadets. À chaque fois, nous leur donnions la même réponse : nous ne savions pas où était notre père. C’était vrai : nous pouvions juste dire qu’il vivait au Cabinda. Mais les visites ne s’arrêtaient pas et ma mère a été plusieurs fois menacée.

Les policiers ont attrapé ma mère, l’ont violée et sont repartis.

Une nuit, alors que nous étions à la maison, des bruits nous ont réveillés. Puis un autre, plus fort : cinq hommes masqués et armés avaient forcé la porte. Ils nous ont fait taire, nous ont demandé où était notre père. Puis ils ont attrapé ma mère, l’ont violée et sont repartis. Ma mère a dû être hospitalisée pendant quelques temps. C’est lorsqu’elle est allée mieux que nous avons décidé de fuir Luanda, via une petite embarcation par la mer, et de partir au Cabinda. Nous pensions y retrouver mon père et y être plus en sécurité.

Nous étions très inquiets car on nous disait que la police avait emprisonné et même tué beaucoup de gens là-bas depuis l’attaque du bus de la délégation togolaise. Nous avions peur : nous ne savions pas si notre père était mort ou non, jusqu’à ce que l’on apprenne qu’il avait en fait quitté le Cabinda pour une autre province de l’Angola, Lunda. Les persécutions ont tout de même continué et la police est revenue nous visiter chez ma tante, où nous avions élu domicile. Mon frère et moi étions seuls. Ma mère, ma tante et mes deux petits frères étaient partis au marché. J’ai été frappé à l’épaule, à la tête, au cou, à la main… Ils ont aussi brûlé l’avant-bras de mon frère avec un fer à repasser. Les policiers disaient que c’était pour nous "éduquer".

Ils ont brûlé l’avant-bras de mon frère avec un fer à repasser. Les policiers disaient que c’était pour nous "éduquer".

Nous avons soigné nos blessures. Mon frère a été hospitalisé un mois et nous sommes restés quelques temps séparés. C’est pendant ces quelques mois que nous avons finalement décidé de quitter l’Angola. Un jour, le 14 mai 2012, ma mère, qui habitait chez une cousine, est venue nous chercher, mon frère et moi. Nous sommes montés dans des voitures. J’étais dans la première avec mon frère, elle dans la seconde. L’idée était de passer la frontière avec le Congo-Brazzaville et de nous diriger vers Pointe-Noire.

La première voiture, la mienne, est passée sans problème. La seconde a été arrêtée. Mon frère et moi voulions retourner chercher ma mère, qui avait été sortie de force du véhicule, mais notre chauffeur a accéléré. Je ne l’ai plus revue. On m’a dit ensuite qu’elle avait été tuée avec son accompagnateur, que les policiers auraient pris pour mon père.

Nous avons continué notre route vers Brazzaville où notre chauffeur nous a confiés à un ami. Mon frère a quitté le pays une semaine plus tard. Quelques jours après, je partais à mon tour vers la France.

L’arrivée en France

Je n’ai pas choisi ce pays particulièrement. On aurait pu m’amener n’importe où, au Portugal ou ailleurs. Je suis arrivé en France le 28 mai 2012. Une fois à Lyon, je ne connaissais personne. Je ne parlais pas français. Je suis resté dans un restaurant pendant toute une nuit sans comprendre. C’est une personne qui connaissait le portugais, que j’ai arrêtée alors qu’elle faisait son jogging, qui m’a amené jusqu’au forum des réfugiés, où des personnes se sont intéressées à moi. Ils m’ont demandé d’où je venais, comment j’étais arrivé en France, etc…

Je n’ai pas choisi la France. On aurait pu m’amener n’importe où.

Comme j’étais mineur, ils m’ont envoyé dans un foyer à Villefranche, à côté de Lyon, où j’ai rencontré les éducateurs et les associations qui allaient s’occuper de moi. J’ai pu prendre des cours de français qui m’ont permis d’intégrer une école. Certains éducateurs voulaient me mettre au lycée mais, comme j’apprenais encore la langue, j’ai fini par entrer en troisième, au collège. Je suis allé au lycée l’année suivante et j’ai commencé un contrat d’apprentissage en chaudronnerie. À l’époque, je vivais en colocation avec un autre jeune, mes frais étaient pris en charge par le Conseil général du Rhône et tout le monde connaissait ma situation, notamment mes professeurs.

Les tests osseux

Puis, un jour, en septembre 2014, alors que j’étais en classe, une surveillante du lycée est venue me prévenir que je devais me rendre à un rendez-vous, à 15 heures, avec mon responsable légal. C’est là que j’ai appris que j’étais convoqué à la police aux frontières, à Lyon, le lendemain, le 16 septembre 2014. Une éducatrice m’y a accompagné mais les policiers lui ont dit de rentrer chez elle et qu’ils allaient rester avec moi.

Ils m’ont emmené dans un hôpital pour faire des tests. Je ne savais pas du tout à quoi cela servait. Là, un médecin m’a dit de me déshabiller, a pris des photos et a mesuré plusieurs parties de mon corps. Les bras, les épaules, les poignets, la mâchoire, etc… Je ne comprenais pas ce qu’il faisait. Il n’a rien expliqué. Cela a peut-être duré vingt minutes.

Les agents m’ont dit qu’un spécialiste avait conclu que j’avais entre 26 et 35 ans, alors que je déclarais en avoir 18.

Nous sommes retournés dans les locaux de la police aux frontières. C’est là que les agents m’ont dit qu’un spécialiste avait conclu que j’avais entre 26 et 35 ans, alors que je déclarais en avoir 18. Ils m’ont mis la pression pendant deux jours pour que j’avoue être majeur. Je ne comprenais pas. Il me disait qu’il pouvait me garder encore longtemps, qu’ils allaient appeler l’ambassade d’Angola, que l’acte de naissance que je leur avais présenté était faux parce qu’il n’était pas imprimé en "offset". J’ai fini par craquer. Je leur ai dit que j’étais né en 1992, au lieu de 1996. C’était la date de naissance de mon grand frère. J’avais peur. J’ai pensé ça allait mettre en danger mon père s’ils contactaient l’Angola. Je suis revenu sur mes aveux plus tard, lorsque j’ai compris, en prison. Mais c’était trop tard. Ils cherchaient à ce que je fasse des aveux.


Acte de naissance de Batista, qui déclare être né le 27 décembre 1996 (cliquez pour agrandir)

Les policiers m’ont emmené chez le Procureur, qui m’a dit que j’allais directement au tribunal, en comparution immédiate. J’avais un avocat commis d’office. Encore une fois, je ne comprenais pas ce qui arrivait, pourquoi on me disait que j’avais escroqué l’État français et le Conseil général, que je m’étais fait passer pour un mineur, que j’avais des dents de sagesse… J’étais seul, je ne connaissais personne. J’ai été condamné à deux mois de prison et à 180 000 euros d’amende. On m’a emmené directement en détention.

La prison

J’y suis resté deux mois, avec des criminels, des personnes qui avaient volé, qui avaient vendu de la drogue… Moi, je n’ai jamais rien volé.

Je suis resté deux mois en prison, avec des criminels, qui avaient volé, vendu de la drogue.

Un jour, j’ai reçu la visite de mon avocat. Il m’a amené une copie du rapport du médecin, qu’il avait obtenu à la police aux frontières. Il m’a dit qu’il y avait plusieurs âges indiqués dans le document, selon les parties du corps mesurées. L’un disait 26 ans, un autre davantage, encore un autre mentionnait 18 ans… C’est toujours comme ça. Il y a apparemment toujours un écart entre les mesures du poignet et de l’épaule par exemple. Ces tests osseux ne sont pas fiables.

J’étais isolé. Je ne savais pas même pas que je pouvais faire appel. Je ne faisais pas confiance à mon avocat. J’étais perdu. J’ai fini par recevoir la visite d’une personne de la Cimade (Comité inter mouvements auprès des évacués, NDLR) et nous avons décidé de faire appel. Le tribunal était rempli de soutiens, rassemblés par les associations. Nous étions le 12 novembre 2014. Il y avait des camarades de classe, des professeurs, des éducateurs. Mais la Cour a tout de même confirmé ma peine. Sur la base des tests osseux, elle a conclu que j’avais effectivement commis une escroquerie mais a annulé l’interdiction de territoire dont j’avais fait l’objet au premier jugement. En quelque sorte, j’étais coupable mais j’avais le droit de rester en France. Je n’ai pas compris ce jugement. J’ai donc fini ma peine de prison, qui s’achevait le 19 novembre 2014.

Plus rien n’est comme avant

Quand je suis sorti, j’ai été accueilli chez une personne qui m’avait donné des cours de français à mon arrivée en France. Nous avons tout mis en oeuvre pour que je puisse retourner au lycée, ce qui était difficile parce que j’étais officiellement en situation irrégulière, tant que la demande d’asile que j’avais déposée n’aurait pas été entièrement examinée.

J’ai pu retourner au lycée même si je suis en situation irrégulière.

J’ai pu reprendre les cours le 21 novembre 2014 et poursuivre mon apprentissage en chaudronnerie. J’ai même effectué un stage en entreprise du 26 novembre au 19 décembre 2014. Tout allait bien et je travaillais à ma demande d’asile, pour laquelle j’étais convoquée à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) le 8 janvier 2015. Mais, le 29 décembre, après une démarche effectuée à la préfecture, un proche apprend que je suis l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), ce dont je n’aurais confirmation officielle qu’un mois plus tard.

Pire, le 1er janvier 2015, alors que je revenais de Saint-Étienne, où j’avais passé la nouvelle année avec un ami, j’ai été arrêté peu après la descente du train, à la gare de Lyon Part-Dieu, et des policiers m’ont demandé mes papiers. Je leur ai expliqué que j’étais demandeur d’asile, que j’étais convoqué à l’Ofpra quelques jours plus tard. Je leur ai même montré ma carte de sécurité sociale, que j’avais obtenue avec le lycée. Mais ils n’ont rien voulu rien savoir. Ils m’ont emmené violemment et se sont énervés contre des amis qui demandaient des explications. J’ai été frappé et menotté alors que mes proches étaient repoussés avec des gaz lacrymogènes.

Au poste de police, les policiers se sont alors rendu compte que je faisais l’objet d’une OQTF, ce dont je n’avais moi-même pas encore la confirmation. J’ai été placé en garde à vue, puis finalement libéré avec une convocation au Tribunal de grande instance (TGI) le 28 mai 2015 pour répondre de mes actes de "résistance violente". Aujourd’hui, j’attends de passer devant le juge.

Je suis une victime de la politique française.

J’ai finalement eu, le 14 janvier 2015, la confirmation auprès de la préfecture de l’existence de mon OQTF et j’ai déposé un recours à ce sujet. La décision doit être rendue le 8 mai. Si elle est annulée, je pourrais sans doute demander un titre de séjour. Quant à ma demande d’asile, elle a été rejetée, après mon audience du 8 janvier, par l’Ofpra, qui a trouvé que mon récit manquait de précisions. Mon sort est donc entre les mains de la Cour nationale du droit d’asile, pour laquelle je suis en train de préparer mes documents.

Je ne sais pas ce qui va arriver. En six mois, depuis septembre 2014, tout a basculé. Quand je me remémore ces tests osseux que j’ai subis, je me souviens juste que je ne savais pas ce qui m’arrivait. Je comprends aujourd’hui que je suis, comme les autres jeunes dans mon cas, et nous sommes nombreux, une victime de la politique française. J’ai fui mon pays parce que j’étais en danger. Je n’ai pas de nouvelles de mon père. Je vais au lycée, j’ai appris le français, je travaille en stage dans une entreprise. Pourtant, aujourd’hui, alors que j’ai fait tout ça, on ne veut pas de moi. Je suis en sursis. Les autorités savent où je suis hébergé et je peux être expulsé à tout moment, quelles que soient les procédures en cours. Il vaut mieux que j’évite les lieux publics pour échapper aux contrôles de police. Pour le moment, la France ne me permet pas vraiment d’avoir une vie."

 

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