Burkina Faso : l’affaire Thomas Sankara, chronique d’un déni de justice

Alors que l’enquête vient d’être relancée par la justice militaire du Burkina, retour sur dix-huit années de blocages judiciaires autour de l’assassinat de Thomas Sankara.

Thomas Sankara, ex-président du Burkina Faso, a été assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou. © AFP

Thomas Sankara, ex-président du Burkina Faso, a été assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou. © AFP

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Publié le 16 avril 2015 Lecture : 5 minutes.

Après un long déni de justice sous le régime de Blaise Compaoré, l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987, est sur le point d’être relancée au Burkina Faso. En mars 2015, le gouvernement de transition a saisi le procureur du tribunal militaire et pris un décret autorisant l’exhumation du corps présumé de l’ancien président. Pour la première fois, un juge d’instruction, François Yaméogo, a été nommé et est chargé d’enquêter sur ce dossier. Le 9 avril, il a fait placer la tombe supposée de Thomas Sankara sous scellé et s’apprête à mener ses premières auditions.

Ces récentes avancées contrastent avec dix-huit longues années de combat judiciaire mené par la famille de Sankara et ses défenseurs. Depuis 1997, date de la première plainte auprès de la justice burkinabè, ils n’ont cessé de se heurter à un mur, aujourd’hui fissuré depuis la chute de "Blaise".

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1997 – La première plainte contre X pour assassinat

Le 29 septembre 1997, juste avant le dixième anniversaire de la mort de Thomas Sankara et la fin du délai de prescription, sa veuve, Mariam, et ses deux fils, Philippe Relwendé et Auguste Wendyam, se constituent partie civile dans une plainte contre X pour assassinat au tribunal de grande instance de Ouagadougou.

La famille porte également plainte pour faux en écriture administrative, le certificat de décès de l’ex-président révolutionnaire portant en effet la mention "mort de mort naturelle".

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2001 – Impossible de saisir la justice militaire

Après cinq années de péripéties judiciaires, ponctuées de renvois devant différentes juridictions, la Cour suprême, dans un arrêt en date du 19 juin 2001, déclare irrecevable le pourvoi du dossier en cassation.

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Le lendemain de cette décision, le 20 juin 2001, les avocats de la famille Sankara mènent plusieurs requêtes pour tenter de saisir la justice militaire, vu que les juridictions civiles se sont déclarées incompétentes. Elles restent toutes sans suite. Ils écrivent notamment une lettre au ministre de la Défense pour lui demander de saisir le procureur du tribunal militaire.  Leur demande ne sera jamais entendue, le ministre de l’époque n’était autre que… Blaise Compaoré en personne.

2002 – Saisine du Comité des droits de l’homme de l’ONU

Constatant que leur plainte contre X pour assassinat n’aboutissait pas, la partie civile dépose, le 8 octobre 2002, une plainte contre X pour enlèvement et séquestration de Thomas Sankara. Mais le dossier reste totalement bloqué au Burkina Faso. Les défenseurs de la famille ont donc recours aux procédures juridiques internationales. La "Campagne internationale justice pour Sankara" (CIJS), un collectif juridique composé d’une quinzaine d’avocats canadiens, européens et africains, dépose plainte contre l’État burkinabè le 13 octobre 2002 devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies pour violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Burkina en 1999.

Thomas Sankara à Tenkodogo, le 2 octobre 1987. © Archives Jeune Afrique

2006 – Le Comité des droits de l’homme de l’ONU donne raison à la famille Sankara

Après avoir jugé recevable la plainte de la CIJS en mars 2004, le Comité des droits de l’homme de l’ONU donne raison aux plaignants le 5 avril 2006. Il demande à l’État burkinabé "d’élucider l’assassinat de Thomas Sankara; de fournir à la famille les moyens d’une justice impartiale; de rectifier son certificat de décès; de prouver le lieu de son enterrement; de compenser la famille pour le traumatisme subi; d’éviter que pareille tragédie ne se reproduise; et de divulguer publiquement la décision du comité", précisant que le régime Compaoré "dispose de 90 jours pour s’exécuter".

2008 – … avant de revenir sur sa décision

Le 21 avril 2008, à la surprise des plaignants, le Comité des droits de l’homme des Nations unies clos le dossier Sankara.  Dans son communiqué, il déclare qu’"il considère le recours de l’État partie comme satisfaisant aux fins du suivi de ses constatations et n’a pas l’intention d’examiner cette question plus en avant au titre de la procédure de suivi." En clair : le comité onusien estime que l’État burkinabè a répondu à ses demandes et que l’affaire est close.

2009 – Lancement de la campagne "Justice pour Thomas Sankara, Justice pour l’Afrique

Le 21 décembre 2009, à l’occasion du soixantième anniversaire de la naissance de Thomas Sankara, le collectif international "Justice pour Thomas Sankara, Justice pour l’Afrique", soutenu par de nombreuses ONG, lance une pétition en ligne disponible en cinq langues demandant l’ouverture d’une enquête indépendante et l’ouverture des archives, notamment en France. Elle reçoit le soutien de nombreuses personnalités et artistes africains (Alain Mabanckou, Tiken Jah Fakoly, Balufu Bakupa-Kanyinda…) et européens, mais aussi d’associations et de partis politiques.

2011 – Des députés burkinabè demandent une enquête parlementaire en France

Le 26 avril 2011, douze députés burkinabè écrivent à leurs homologues français pour solliciter la "création d’une commission d’enquête parlementaire dans le cadre de l’assassinat du Président Thomas Sankara". Cette demande d’enquête parlementaire n’a jamais été acceptée par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française.

Thomas Sankara (g), le chef de l’État burkinabé, et Blaise Compaoré (d), ministre d’État, le 4 août 1987 à Bobo Dioulasso. © Manouche/Archives Jeune Afrique

2012 – Classement de la plainte contre X pour séquestration

Près de dix ans après le dépôt de la plainte contre X pour séquestration et enlèvement de Thomas Sankara, la cour burkinabè de cassation déclare le 28 juin 2012 que cette procédure est irrecevable. La plainte pour séquestration est définitivement classée et la famille de l’ancien président subit un nouveau revers judiciaire.

2014 – La justice civile se déclare incompétente sur la demande d’expertise ADN

Le 30 avril 2014, le tribunal de grande instance de Ouagadougou se déclare incompétent sur la demande d’exhumation du corps supposé de Thomas Sankara pour procéder à des expertises ADN. La famille de l’ex-président avait demandé à ce qu’on ouvre la tombe où il est censé être enterré, au cimetière de Dagnoën, dans l’est de la capitale burkinabè, pour qu’on identifie la dépouille.

2015 – Un décret autorise l’exhumation du corps supposé de Thomas Sankara

Le 4 mars 2015, un décret du gouvernement de transition "permet aux ayants-droit de feu Thomas Isidore Noël Sankara, président du Faso du 4 août 1983 au 15 octobre 1987, d’ouvrir la tombe supposée contenir son corps et de faire procéder à toute expertise nécessaire à l’identification". Ce texte, annoncé à plusieurs reprises par les autorités de transition et attendu par la famille, permet formellement l’exhumation du corps reposant dans sa tombe supposée au cimetière de Dagnoën. 

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