Braconnage : quand les GI s’en mêlent

Depuis quelques jours, l’ONG américaine Vetpaw fait le buzz sur internet. Parce que les photos de l’une de ses dernières recrues, ancienne mannequin pour l’industrie de l’armement, font fureur. Et parce que ses méthodes musclées de lutte contre le braconnage en Afrique de l’Est posent quelques questions.

L’ancienne G.I. Kenissa Johnson pose en armes. © Kenissa Johnson/Facebook

L’ancienne G.I. Kenissa Johnson pose en armes. © Kenissa Johnson/Facebook

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 15 avril 2015 Lecture : 4 minutes.

Connaissez-vous Kinessa Johnson ?

Yeux bleus de félin, queue de cheval soigneusement remontée au sommet du crâne ou cheveux négligemment relâchés, physique musclé… Ici, elle gonfle ses biceps, vêtue d’une tenue militaire, arborant au passage un corps tatoué ; là, elle pose en petite tenue, dans une position langoureuse, munitions étalées sur elle… Elle, c’est Kinessa Johnson, une Américaine devenue en quelques jours un véritable phénomène sur la Toile.

Elle fait partie de Vetpaw (Veterans empowered to protect african wildlife), une ONG de défense des espèces africaines en voie de disparition qui opère actuellement en Tanzanie. Vétérane de l’US Army, où elle était mécanicienne et instructrice de tir (elle a servi quatre ans en Afghanistan), elle s’est d’abord reconvertie en mannequin pour l’industrie de l’armement – d’où les nombreuses photos de mode “militaire” qui circulent sur le web. Aujourd’hui, elle s’exprime en tant que formatrice de rangers féminins engagées dans la lutte contre le braconnage de l’ivoire – sa troisième carrière. Pour beaucoup d’acteurs du terrain, ce buzz a au moins le mérite de mettre en lumière le braconnage et le trafic d’ivoire.

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Qui est vraiment Vetpaw ?

Le site de l’ONG fondée par Ryan Tate, un ancien Marine, est assez explicite. En résumé : l’organisation entend offrir un débouché aux anciens soldats “post-11-septembre”, souhaite améliorer la perception des GI’s (souvent considérés comme des “flingueurs”, selon les termes du fondateur de l’ONG), tout en luttant contre le braconnage et en servant un objectif diplomatique (“resserrer les liens entre les États-Unis et l’Afrique de l’Est”). Les membres de Vetpaw interviennent en collaboration avec les gardes forestiers, les parcs régionaux et les organismes gouvernementaux. La protection des éléphants de l’air de conservation de Ngorongoro, en Tanzanie, est actuellement leur principal théâtre d’opérations.

>> Lire aussi : l’éléphant d’Afrique menacé de disparition par le braconnage

Les militaires revendiquent une approche “musclée” du problème, souhaitent moderniser la lutte contre le braconnage, tout en développant des outils de sensibilisation auprès des villageois (comment tenir à distance les animaux, sans les tuer, ou encore offrir aux braconniers des revenus alternatifs, à travers notamment l’agriculture). Parmi les partenaires de l’ONG, on retrouve l’Université de Floride ou encore l’ONG Ivory for Elephant (lobby) ; et parmi ses sponsors : Kryptec (textiles de combat), Irridium (communication, renseignement), Survivol Armor (balistique)… un mélange des genres associé à une communication à l’Américaine (relativement agressive) qui fait jaser.

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L’intervention de Vetpaw est-elle légale ?

Rien d’illégal dans le fonctionnement et l’intervention de cette ONG qui ne s’apparente pas à des milices privées qui combattent, bien souvent, en marge du droit international. Ainsi que l’explique Céline Cissler-Bienvenu, directice France et Afrique de l’Ouest de l’International fund for animal welfare (Ifaw), “cet organisme collabore avec les autorités des parcs, en concertation avec les États”, comme n’importe quelle autre ONG humanitaire, en somme. Si la formation et l’aide militaire sur le terrain se fait habituellement dans un cadre de coopération d’État à État, “depuis trois ans environ, des organismes du type de Vetpaw apparaissent”, poursuit Céline Cissler-Bienvenu. C’est le cas, par exemple, de l’Association d’appui à la protection de la biosphère (APB), basée en France et qui vient d’être mandatée par la direction des parcs nationaux du Malawi. “L’important, dit-elle, est que les États restent impliqués et que ces organisations ne se substituent pas aux autorités du pays.” Mais surtout que, une fois l’ONG partie, les rangers poursuivent la lutte, mieux préparés et plus efficaces.

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Lire aussi : En Afrique du Sud, on apprend la lutte contre le braconnage à la mitraillette

Vetpaw est-elle éthique ?

L’arrivée dans le secteur de la protection animale de soldats surentraînés et décomplexés (des “Rambo”…) pourrait interroger sur les réelles motivations (les ONG américaines sont souvent pointées du doigt pour avoir tendance à mélanger business, diplomatie, prosélytisme et humanitaire…), et sur le comportement des troupes sur le terrain, dans un contexte où quatre mercenaires de la célèbre firme américaine de sécurité Blackwater viennent d’être lourdement condamnés pour le meurtre de 14 civils irakiens.

“À un moment où le braconnage s’est industrialisé, où les gardes munis de fusils hors d’âge font face à des milices entraînées, armes de guerre au poing et technologies militaires embarquées – comme du matériel de vision nocturne -, le recours à ces ONG peut être pertinent”, estime encore la responsable de l’Ifaw. C’est une guerre dans laquelle de nombreux rangers ont perdu la vie. Au Kenya, par exemple, le gouvernement a même dû changer sa législation face à l’hécatombe de ses rangers : ces derniers peuvent désormais tirer à vue, sans sommation ni palabres préalables – quelques minutes de perdues qui ont bien souvent coûté des vies.

“Vetpaw leur apprend d’abord à se protéger et à améliorer leur collecte d’informations ainsi que leur utilisation”, poursuit Céline Cissler-Bienvenu. Ce que défend d’ailleurs Ryan Tate : “Nous pensons que nos compétences militaires peuvent servir à sauver des vies – humaines et animales.”

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