Guinée : les élections communales d’abord

Vincent Foucher est analyste principal pour l’Afrique de l’Ouest à l’International Crisis Group (ICG).

File de vote lors des législatives de septembre 2013, à Conakry, en Guinée. © Youssouf Bah/AP/Sipa

File de vote lors des législatives de septembre 2013, à Conakry, en Guinée. © Youssouf Bah/AP/Sipa

Publié le 14 avril 2015 Lecture : 5 minutes.

La Guinée n’en a peut-être pas fini avec son histoire de violence électorale. La tension monte autour de la date des élections présidentielle (octobre 2015) et communales (premier trimestre 2016). L’opposition se dit préoccupée par les risques de fraude. Comme les incidents survenus lors de sa tentative de manifestation à Conakry, le 13 avril (un mort et de nombreux blessés), l’ont montré, l’opposition est capable de mobiliser. Elle en est capable malgré ou peut-être à cause des lourdes pertes subies lors de la dernière phase de controverse électorale, en 2012-2013, au cours de laquelle plus de 50 personnes, essentiellement des partisans de l’opposition, avaient trouvé la mort. Le pays doit échapper à la spirale entre répression et mobilisation.

Pour permettre un dialogue global sur le système électoral, la première chose à faire est de reprogrammer les élections communales pour cette année, avant le scrutin présidentiel. Ensuite, les acteurs internationaux, et en particulier le bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest (Unowa) et l’Union européenne (UE), doivent travailler ensemble dans le soutien au dialogue et dans la mise en œuvre de ses résultats.

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En Guinée, à la différence d’autres pays africains qui souffrent de processus électoraux controversés, le problème n’est pas que le président sortant veut retarder le scrutin, ou bien s’essayer à un mandat supplémentaire en violation de la Constitution. L’opposition conteste l’ordre dans lequel les deux scrutins sont organisés car elle est convaincue que les autorités locales, dont le mandat officiel a pris fin en 2010, sont sous le contrôle du président de la République.

Les élus locaux, dont certains, dans des circonscriptions peuplées où l’opposition a du poids, ont été remplacés par des administrateurs désignés par le pouvoir exécutif, sont supposés avoir été impliqués lors des élections législatives de 2013 dans une série de manipulations électorales visant à décourager le vote dans les zones favorables à l’opposition et à le renforcer dans celles qui soutiennent le pouvoir. L’opposition craint que cela ne se reproduise lors de la présidentielle et compte sur des élections communales préalables pour rétablir un peu d’équité.

>> À lire : Pouvoir – opposition guinéenne, les cinq pommes de discorde

Avant d’accepter de participer aux législatives de 2013, l’opposition avait insisté sur le fait que les élections communales devaient avoir lieu avant le scrutin présidentiel, dès le début de l’année 2014. Cette disposition était inscrite dans l’annexe de l’accord qui avait résulté du dialogue politique de 2013, mais le pouvoir n’avait pas signé cette annexe et conteste aujourd’hui la validité de cet engagement.

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Les partisans du pouvoir se déclarent hostiles à l’inversion du calendrier électoral (et à un éventuel retard de la présidentielle), arguant que l’opposition pourrait proclamer une situation de vacance institutionnelle. Certains opposants ont d’ailleurs déjà menacé de le faire. Mais la Guinée a connu tellement de situations d’exception – les législatives et les communales ont connu des délais de trois et cinq ans respectivement. Un délai ne provoquerait pas une crise de régime. Dans des discussions informelles, certains responsables de l’opposition s’affirment prêts à accepter un report raisonnable de l’élection présidentielle si cela devait s’avérer nécessaire pour organiser les communales en premier.

Pourquoi risquer une crise pour une modification de quelques mois du calendrier électoral ?

Le débat, cependant, dépasse de beaucoup la seule question du calendrier. L’opposition met en cause depuis longtemps de nombreux aspects du processus, entre autres le fichier et le découpage électoral, la composition et le fonctionnement de la commission électorale et de la Cour constitutionnelle, les conditions du vote de la diaspora, la neutralité des préfets et des gouverneurs. Même le récent recensement de la population est contesté : l’opposition affirme que le pouvoir a gonflé les résultats dans les zones qui lui sont favorables afin de se préparer à justifier une augmentation de son électorat.

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Les missions d’observation électorale les plus fiables (en particulier celles de l’UE) ont souligné une longue série de problèmes dans l’organisation des élections en 2010 et en 2013. En 2013, par exemple, le nombre d’électeurs âgés de tout juste dix-huit ans était particulièrement élevé dans certaines zones fidèles au pouvoir, tout comme la participation et le nombre de bureaux de vote ; dans ces zones, il y a eu très peu de voix ou de bureaux annulés pour des raisons de procédure. À l’inverse, en Guinée forestière, une région très disputée, les résultats de plus de 180 bureaux de vote ont été annulés sans explication.

Les affirmations de l’opposition sont peut-être fausses ou exagérées, en totalité ou en partie. Quand bien même, pourquoi risquer une crise pour une modification de quelques mois du calendrier électoral ? Comme Crisis Group l’écrivait en décembre dernier, un consensus sur les préparatifs électoraux est la meilleure manière d’éviter une éventuelle escalade à partir d’incidents locaux, alimentée par des alignements politiques qui fonctionnent en bonne part selon des clivages ethniques.

Un consensus serait d’autant plus précieux que les rumeurs et les soupçons se nourrissent déjà d’autres éléments, y compris de l’épidémie d’Ebola et d’une poignée d’assassinats ou de tentatives d’assassinat contre des responsables politiques et administratifs. Le porte-parole de l’opposition, Aboubacar Sylla, affirme ainsi qu’on lui a tiré dessus le 4 avril. Le président Alpha Condé a réussi à garder le contrôle sur les forces de défense et de sécurité, mais des troubles prolongés pourraient mettre en cause cet appréciable succès et, plus largement, contribuer à détériorer les relations entre les différentes communautés du pays.

Le pouvoir a lancé un appel au dialogue, le 26 mars. L’opposition a répondu que deux phases de dialogue avaient déjà eu lieu en 2013 et en 2014, et que les autorités n’avaient qu’à mettre en œuvre les conclusions atteintes alors. Il revient au pouvoir de faire le premier pas et de commencer à rétablir la confiance en demandant à la commission électorale de repenser le calendrier et de prévoir l’organisation des élections communales avant la présidentielle (avec un intervalle raisonnable entre les deux, entre trois et six mois). Ceci devrait être la première étape d’un dialogue couvrant les autres questions électorales en attentes. L’opposition devra alors s’engager dans le dialogue et produire une évaluation détaillée et réaliste des étapes qu’elle considère comme indispensables.

Dans tout ceci, l’engagement international est essentiel. En 2013, les observateurs électoraux européens avaient passé plusieurs nuits devant un centre de compilation des résultats à Conakry pour garantir la probité des résultats. Ceci indique bien à quel point la situation électorale est tendue, et à quel point la présence internationale est décisive. Le président Condé avait d’abord exclu toute implication internationale pour les scrutins à venir, mais il a changé de position : les autorités ont sollicité l’UE pour une mission d’observation et les Nations unies doivent envoyer ce mois-ci une mission pour évaluer les préparatifs électoraux. La nouvelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie s’est rendue à Conakry dernièrement. Ces interventions sont bienvenues. Les partenaires internationaux vont cependant devoir construire un mécanisme de coordination solide afin d’éviter que les acteurs guinéens jouent les uns contre les autres.

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