Afrique du Sud : faut-il détruire les statues de l’apartheid ?

Les actes de vandalisme contre des statues d’anciens dirigeants blancs se multiplient en Afrique du Sud. Un phénomène qui vise le passé colonial et raciste du pays, mais qui remet aussi en question l’héritage de Nelson Mandela, d’une façon non dénuée d’arrières-pensées politiques. Explications.

La statue de l’ancien dirigeant afrikaner Paul Kruger, à Pretoria, le 6 avril 2015. © AFP

La statue de l’ancien dirigeant afrikaner Paul Kruger, à Pretoria, le 6 avril 2015. © AFP

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 7 avril 2015 Lecture : 3 minutes.

Au nom de la réconciliation nationale chère à Nelson Mandela, qui ne voulait pas braquer les Blancs, personne n’y avait encore vraiment touché. Madiba désormais mort et enterré, certains Sud-Africains n’hésitent plus à s’attaquer aux monuments vestiges de l’apartheid, symboles d’une histoire douloureuse qui a d’autant plus de mal à passer que d’âpres inégalités économiques perdurent alors que l’African National Congress (ANC) est au pouvoir depuis 20 ans.

Premier acte : des étudiants (blancs et noirs) de la prestigieuse université du Cap ont récemment exigé que la statue du magnat des mines et homme politique britannique Cecil Rhodes (1853-1902), qui trône à l’entrée du campus, soit déboulonnée. Même scénario dans une université de Durban (est), où la statue du roi d’Angleterre George V (1865-1936), le grand-père de la reine Elizabeth II, a été visée.

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"Nous n’avons reçu aucune demande (…) d’enlèvement de statue, nulle part dans le pays", a déclaré lundi le porte-parole du ministère de la Culture, Sandile Memela, rappelant qu’il existe une procédure en la matière, qui prévoit notamment une consultation publique. Au cours des années, quelques musées ont fermé, certains monuments ont été envahis par les ronces, mais fort peu de têtes sont tombées.

Attaques ciblées

Deuxième acte : sur fond de débats animés dans les médias, certains troublions ont depuis peu décidé de se passer d’autorisation officielle. Notamment le jeune tribun Julius Malema, leader des Combattants pour la liberté économique (EFF), qui a appelé à plusieurs reprises ces derniers jours à faire tomber les statues des anciens dirigeants blancs du pays, anglais ou afrikaners.

Des militants de ce parti radical – le troisième du pays avec plus de 6% des voix aux élections de 2014 – ont déjà mis le feu jeudi à un vieux monument aux morts britannique de la guerre des Boers (1899-1902) à Uitenhage (sud). Et dimanche soir, le piédestal de la statue de l’ancien dirigeant afrikaner Paul Kruger (1825-1902) a été maculé de peinture verte sur la place centrale de Pretoria après qu’un responsable local du mouvement de Julius Malema avait appelé samedi à abattre tous les monuments représentant "la suprématie blanche" de Pretoria.

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Cette dernière intervention au cœur de la capitale n’a pas été revendiquée, mais la serveuse d’un café voisin a montré à l’AFP des photos montrant à l’œuvre un groupe habillé tout en rouge comme les militants des EFF. Le porte-parole national du parti, Mbuyiseni Ndlozi, a de son côté désigné lundi la prochaine victime : la statue, dans le centre du Cap, du Hollandais Jan van Riebeeck, le premier colonisateur du pays qui a fondé la ville le 6 avril 1652.

"C’est choquant et décevant que des gens en arrivent à ce genre de comportement", a commenté Sandile Memela au ministère de la Culture. "Nous condamnons toute forme de violence et la destruction de biens publics pour exprimer ses griefs ou son mécontentement."

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L’ANC sur la défensive

"Nous ne pouvons pas effacer notre histoire et notre patrimoine. (…) Ce que nous devrions faire, au lieu de détruire des monuments, c’est d’avoir une discussion constructive sur les races et la transformation" de l’Afrique du Sud post-apartheid, a relevé sur la radio 702 Phumzile van Damme, la porte-parole de l’Alliance démocratique, le principal parti de l’opposition pour qui votent la plupart des Blancs.

L’ANC s’est dit ouvert à la discussion sur le sort des statues visées, mais insiste pour rester dans un cadre légal. Le parti dominant est resté plutôt discret en ce long week-end de Pâques, mais le maire (ANC) de Pretoria, Kgosientso Ramokgopa, a suggéré de mettre les statues à l’abri dans un musée. La police va surveiller plus étroitement les monuments de la capitale en attendant, selon la porte-parole du maire.

"Si les statues afrikaners ne sont plus les bienvenues, les Afrikaners le sont-ils ?", a interrogé le lobby afrikaner AfriForum, qui a lancé une pétition pour que les statues soient laissées en place, et protégées. "Les mesures les plus fermes (doivent) être prises d’urgence contre les vandales", a-t-il exigé. En attendant, la polémique enfle dans la Nation Arc-en-Ciel. La statue de Mandela devra-t-elle un jour trôner seule dans les jardins de la présidence à Pretoria, sans le monument érigé à la mémoire de Louis Botha, Premier ministre de 1910 à 1919 ?

(Avec AFP)
 

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