Présidentielle nigériane : fin de partie

Le premier tour de l’élection présidentielle au Nigeria se tiendra demain. Parmi les 14 candidats, deux seulement ont des chances d’emporter la mise. L’actuel président, Goodluck Jonathan, et l’ancien chef de l’État Muhammadu Buhari, que notre envoyée spéciale a pu rencontrer.

Goodluck Jonathan et Muhammadu Buhari, le 26 mars à Abuja. © Ben Curtis/AP/SIPA

Goodluck Jonathan et Muhammadu Buhari, le 26 mars à Abuja. © Ben Curtis/AP/SIPA

Publié le 27 mars 2015 Lecture : 4 minutes.

Samedi 28 mars, le président sortant Goodluck Jonathan affrontera dans les urnes son principal adversaire, Muhammadu Buhari. Dans  cette campagne, l’idéologie est un luxe. Ce qu’espèrent les électeurs pour ce scrutin ? Du concret. À Lagos, des centaines de voitures attendent, en file indienne, de pouvoir s’approvisionner en essence, tandis que sur les trottoirs, des grappes de travailleurs patientent pendant des heures pour monter dans un bus.

Au Nigeria, premier consommateur de générateurs en Afrique, il faut composer avec les pannes d’électricité qui se succèdent. Le prix du pétrole est au plus bas, tout comme le naira par rapport au dollar… Si pour les plus riches, quel que soit l’issue du scrutin, ce sera grosso modo business as usual, la grande majorité des 68 millions d’électeurs invités à choisir, demain, leur président, espèrent un véritable changement.

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Goodluck Jonathan et Muhamadu Buhari ont donc fait de cette envie de neuf leurs slogans de campagne. Lutte contre Boko Haram, contre la corruption endémique, contre le chômage… les candidats promettent sensiblement les mêmes choses. Buhari, s’il se présente comme l’anti-Jonathan, et qu’on ne lui connaît pas de casseroles, n’en est pas moins entouré de sponsors douteux. Est-ce pour s’attirer leurs faveurs qu’il assure ne pas vouloir poursuivre en justice les politiciens soupçonnés de faits de corruption ? "Il ne veut pas revenir en arrière", explique un conseiller. "C’était la peur de certains politiciens qu’il compte désormais parmi ses soutiens."

Pourquoi avoir pris si longtemps avant d’équiper notre armée ?

Muhammadu Buhari, Candidat de l’APC

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À Jeune Afrique, le général Buhari explique qu’il ne "jettera pas l’opprobre. Il y a trop à faire dans ce pays pour revenir sur le passé." Clin d’oeil à l’ancien président Obasanjo, qui a mis en selle Jonathan et a largement participé, avant lui, à la mise en place de réseaux de corruption, avant de changer d’avis et de soutenir le candidat Buhari. Il fait partie de ces soutiens dont le Congrès progressiste (APC) aimerait pouvoir se passer : "Obasanjo se raconte une histoire. Il a ruiné le pays. Personne ne le considère comme un chef d’État, sinon lui-même", persifle un conseiller de Buhari, qui ajoute : "Si Jonathan l’emporte, lui comme le gouverneur de Lagos (soutien de l’APC) peuvent plier bagage !" En effet, le Parti démocratique du peuple (PDP, au pouvoir) ne devrait pas laisser passer les trahisons dont il a été victime.

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Optimisme dans les deux camps

Depuis février, au sein du PDP on est un peu plus optimiste. Après un gros passage à vide, les chances du président sortant de l’emporter sont finalement reparties à la hausse. Profitant du report des élections, prévues initialement le 14 février, Goodluck Jonathan a enfin trouvé le budget pour réarmer les hommes et se lancer dans un réel combat contre Boko Haram. Il a notamment investi à grands frais dans le recrutement de mercenaires sud-africains. Mais il y a perdu des électeurs : les hommes de rangs ne sont pas prêts de lui pardonner ce revirement tardif, eux qui savent que 20% du budget national est alloué à la Défense, mais qu’ils n’en récoltent que les miettes.

Sur la question sécuritaire, Buhari le taiseux se montre un peu plus prolixe. "Pourquoi avoir pris si longtemps avant d’équiper notre armée ? Cette coalition (Nigeria/Tchad/Niger/Cameroun) aurait dû être créée il y a cinq ans !", s’agace-t-il, rappelant à Jeune Afrique que lorsqu’il était à la tête de l’État,  il avait renforcé la coopération transfrontalière. "En ouvrant davantage les échanges, nous renforçons la sécurité du pays, et ouvrons la voie au développement."

Dans le camp Buhari, l’optimisme est également de mise. D’abord parce qu’il peut s’appuyer sur le mauvais bilan du président sortant, qui, au-delà de sa faiblesse face à Boko Haram, n’a pas su enrayer la montée du chômage, ni opérer des réformes dans le secteur pétrolier. Aussi parce que l’APC, créé en février 2013, a su fédérer les principaux partis d’opposition et a ratissé jusque dans les rangs du PDP. Face à cette coalition, le PDP n’emportera peut-être pas les 2/3 des États, comme ce fut le cas les seize dernières années. Peut-être un second tour devra-t-il, pour la première fois dans l’histoire du pays, être organisé…

S’il est élu, à l’issue de cette quatrième tentative, l’éternel candidat Buhari devra composer avec des intérêts personnels divergents au sein du gouvernement. Mais pour ce "new born democrat", qui a fait ses preuves lorsqu’il s’agit de se montrer ferme (il avait fait enfermer des opposants sans autre forme de procès, lorsqu’il était à la tête de l’État, de fin 1983 à 1985), ce n’est pas un problème: "Nous nous sommes mis d’accord. Mon gouvernement ne sera pas régi par des intérêts personnels. Nos partis ont gagné en expérience." S’il l’emporte, la tâche sera immense. Quatre ans de mandat n’y suffiront peut être pas. Et il n’exclut donc pas d’en briguer un second, ce que son propre parti s’est acharné à reprocher à Goodluck Jonathan.

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