« Y’en a marre », « Balai citoyen », « Filimbi »… : l’essor des sentinelles de la démocratie

Apparu au Sénégal en 2011, « Y’en a marre » a inspiré plusieurs mouvements citoyens dans différents pays d’Afrique francophone. Du Sénégal à la RDC en passant par le Burkina Faso, tous reprennent les mêmes ingrédients avec succès.

Le rappeur Thiat, un des leaders de Y’en a marre, le 23 juillet 2011 à Dakar. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Le rappeur Thiat, un des leaders de Y’en a marre, le 23 juillet 2011 à Dakar. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 19 mars 2015 Lecture : 5 minutes.

Ils ont fait la une des médias internationaux pendant plusieurs jours. Des activistes sénégalais, de Y’en a marre, et burkinabè, du Balai citoyen, ont été arrêtés le 15 mars à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), où ils avaient été invités par leurs homologues congolais du mouvement Filimbi. Accusés d’avoir porté "atteinte à la sécurité de l’État" par les autorités congolaises, ils ont finalement été relâchés puis expulsés manu militari vers leurs pays d’origine.

Cette arrestation a rappelé à quel point certains gouvernements africains observent avec méfiance ces mouvements citoyens d’un nouveau genre, connectés et s’inspirant les uns les autres… Voici les valeurs et les modes d’actions qui font leur force.

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Des mouvements citoyens

S’ils sont résolument engagés dans des luttes politiques, Y’en a marre (Sénégal), le Balai citoyen (Burkina Faso) ou encore Filimbi (RDC) sont avant tout des mouvements citoyens. Ils ne sont pas formellement structurés comme peuvent l’être des partis ou des syndicats. Tout citoyen, qu’il soit en âge de voter ou non, peut se joindre à eux.

Aucune carte d’adhésion n’est distribuée et aucune cotisation annuelle fixe n’est demandée – ce qui n’empêche pas leurs membres de fournir ou collecter des fonds. Ainsi, au Burkina Faso, aucune inscription formelle n’est demandée par le Balai citoyen pour être "Cibal" ou "Cibelle", c’est-à-dire militant du mouvement.

Une jeunesse engagée pour la démocratie

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Il suffit d’assister à une réunion ou à une action de Y’en a marre ou du Balai citoyen pour rapidement s’en rendre compte : les activistes sont jeunes pour la plupart, allant de l’adolescence à la trentaine. "Il y a un vrai effet générationnel, analyse Séverine Awenengo Dalberto, historienne française à l’Institut des mondes africains. La grande majorité des membres de ces mouvements sont des gens jeunes ou au moins considérés comme tel, car certains, dont plusieurs leaders, ont la petite quarantaine."

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Kilifeu (c), rappeur de Keur Gui et cofondateur de Y’en a marre, lors d’une manifestation le 23 juillet 2011 à Dakar. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Des jeunes, donc, mais des jeunes politisés. Burkina, RDC, Gabon… Tous défient ouvertement, et pacifiquement, les régimes autoritaires en place dans leurs pays tout en prônant des valeurs démocratiques. "Nous sommes conscients de notre condition de ‘génération sacrifiée’, mais nous ne comptons pas nous laisser sacrifier, explique Kilifeu, rappeur du groupe Keur Gui et cofondateur de Y’en a marre. En tant que citoyens, nous avons le devoir de participer à la gestion de la chose publique et à la démocratie. C’est par nous que viendront les changements." De Dakar à Ouagadougou, tous défendent ainsi le droit de vote et encouragent régulièrement leurs compatriotes à s’inscrire sur les listes électorales.

Des têtes d’affiches célèbres

Y’en a marre et le Balai citoyen ont pour autre point commun d’être menés par des personnalités connues : les rappeurs Thiat et Kilifeu du groupe Keur Gui pour le premier, le rappeur Smockey et le reggaeman Sam’s K le Jah pour le second. Ces artistes populaires maîtrisent l’art de la parole et bénéficient de tribunes publiques régulières, dont ils profitent pour faire passer leurs messages.

"Nous nous servons de cette popularité, c’est évidemment plus facile pour attirer des gens dans nos rangs", confie, lucide, le Burkinabè Smockey. Outre ces artistes, ces mouvements sont aussi menés par des figures intellectuelles, comme le journaliste Fadel Barro pour Y’en a marre ou l’avocat Me Guy Hervé Kam pour le Balai citoyen.

Des slogans et des symboles chocs

Ingrédient central de la recette gagnante de ces mouvements citoyens : un nom qui claque, souvent en forme un slogan choc. "Y’en a marre" au Sénégal, le "Balai citoyen" au Burkina, "Ça suffit comme ça" au Gabon, "Filimbi" ("sifflet", en swahili) en RDC… Tous adoptent une dénomination imagée exprimant clairement leur défiance aux pouvoirs en place.

Le rappeur Smockey (2e à gauche) lors d’un rassemblement du Balai citoyen à Ouagadougou. © AFP

Ces différentes organisations maîtrisent parfaitement leur communication, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans l’espace public. À Dakar, les tee-shirts noirs barrés du slogan "Y’en a marre" ressurgissent régulièrement durant les manifestations, tandis qu’à Ouagadougou, le balai est devenu un symbole de la lutte victorieuse contre le régime de Blaise Compaoré. Avec leurs milliers d’abonnés, ces mouvements citoyens utilisent aussi Facebook et Twitter pour mobiliser leurs troupes et toucher le plus de jeunes possible.

Des valeurs panafricaines communes

Ces différents mouvements citoyens s’inscrivent également dans la mythologie révolutionnaire africaine. Ils se posent volontiers en héritiers de figures respectées et admirées du continent, comme Thomas Sankara ou Patrice Lumumba. Leurs meneurs se posent en défenseurs du panafricanisme, fustigeant sans ménagement l’impérialisme occidental. Voyageant aux quatre coins du continent, ils se considèrent comme des frères et estiment que l’union fera leur force.

"Un de nos objectifs est de lancer une Union africaine des peuples, qui représenterait vraiment les Africains, pas comme l’UA actuelle qui est une institution déconnectée des gens", explique Thiat, cofondateur de Y’en a marre.

Un réseau transfrontalier

Que ce soit au Sénégal, au Burkina, ou en RDC, ces mouvements citoyens ont vu le jour dans des pays au contexte politique et social troublé. Tous se renforcent mutuellement à travers des échanges, des rencontres, ou encore des ateliers. Apparu en 2011 au Sénégal contre un nouveau mandat d’Abdoulaye Wade, Y’en a marre a largement servi de déclencheur au niveau continental. Leur popularité médiatique leur a permis de se faire connaître, de voyager, et de mettre en place ce que l’historienne Séverine Awenengo Dalberto qualifie "d’entreprenariat politique et citoyen", c’est-à-dire un soutien et un transfert de compétences aux activistes d’autres pays africains.

"Il y a une vraie dynamique qui est en train de se mettre en place, explique Kilifeu. Nos mouvements sont connectés : on se rencontre, on partage, on discute sur les meilleures façons de se mobiliser et de s’ériger en sentinelles face à nos dirigeants." Les leaders de ces différents mouvements s’invitent les uns les autres, se retrouvant un jour à Dakar, un autre à Ouagadougou, un troisième à Kinshasa. Et leur influence ne cesse de s’étendre dans les pays qui s’apprêtent à vivre des élections présidentielles dans les mois à venir : une délégation du Balai citoyen était récemment au Niger et une de Y’en a marre doit prochainement se déplacer au Burundi. 

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Benjamin Roger
 

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