Égypte : une révolution en perdition

Au jour du 4e anniversaire de la révolution, l’Égypte est plus que jamais déchirée entre une passion pour son nouveau dirigeant Abdel Fattah al-Sissi et la peur de voir la révolution mourir en même temps que les fragiles libertés acquises après le 25 janvier 2011.

La place Tahrir au Caire, le 8 février 2011. © AFP

La place Tahrir au Caire, le 8 février 2011. © AFP

Publié le 25 janvier 2015 Lecture : 3 minutes.

 Mis à jour le 26/01 à 9h10.

   

  • Al-Sissi, sauveur de la nation
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Manifestation pro-Sissi, avant l’élection de 2014. © AFP

Aux terrasses de café, dans les taxis du centre-ville, ils sont devenus plus rares, mais les "Al-Sissi, very good man", scandés à tout va pendant la campagne présidentielle sont toujours là, 9 mois après le plébiscite de l’ex-maréchal, officiellement élu avec 97% des voix. Abdel Fattah al-Sissi est présenté dans les médias comme le sauveur de la nation, le militaire séduisant, le bon croyant et le président bâtisseur d’une Égypte plus forte.

Depuis la destitution du président islamiste Mohamed Morsi en juin 2013, l’ancien chef des renseignements a indéniablement su gagner le cœur des Égyptiens. Pas un jour sans que la presse ne fasse le décompte des terroristes tués dans le Sinaï, pas une semaine non plus sans louanges du "deuxième Canal de Suez" qu’il s’apprête à rendre opérationnel en un an quand les experts demandaient au moins 36 mois. Si al-Sissi a profité de cet état de grâce pour prendre des mesures peu populaires, comme la réduction du déficit budgétaire ayant entrainé l’augmentation de plus de 50% des prix de l’énergie l’été dernier et baissé les subventions pour la culture du coton il y a peu.

  • Le muselage des voix dissonantes


Tirs sur des manifestants de gauche près de la place Tahrir, le 24 janvier 2015. © Reuters

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"C’est une vitrine", lâche Mohamed, militant du mouvement du 6 avril. Aujourd’hui, difficile de savoir où se place vraiment l’opinion publique tant la liberté d’expression s’est réduite comme peau de chagrin. "Il n’y a rien qui montre que les autorités ont envie de s’orienter vers la démocratie. La parole n’est libre que pour les partisans d’Al-Sissi", affirme Mohamed Zaree, responsable du CIHR, une ONG dans le collimateur du régime.

La mort de la manifestante et blogueuse Shaïma al-Sabbagh, samedi soir près de la place Tahrir, montre à nouveau la pression qui pèse sur les leaders de la révolution, même si on ne sait pas encore précisément l’origine des balles qui l’ont fauchée lors d’une petite manifestation d’un mouvement de gauche. Dimanche, ce sont 11 personnes qui ont été tuées et 30 blessées, alors que manifestants et policiers s’affrontaient en marge de rassemblements, notamment au Caire.

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>> À lire : Triste anniversaire de la révolution en Égypte : 11 morts et un enterrement

En l’absence de Parlement, les décrets se multiplient et les organisations de défense des droits de l’Homme pointent un recul des libertés publiques par rapport aux acquis de 2011.

Après la répression des islamistes, le pouvoir s’attaque désormais aux militants de gauche, aux opposants laïques, aux étudiants, aux homosexuels, aux ONG, aux artistes… Un type de régime, tout droit sorti des vestiges de l’ère Moubarak, qui règle ses comptes avec ceux qui avaient pavé la voie au soulèvement de 2011, aujourd’hui mécontents du tournant politique que prend le pays

  • Des arrestations en masse


Procès de Mohamed Badie, leader des Frères musulmans, le 7 juin 2014. © AFP

Depuis juillet 2013, on ignore le nombre réel de personnes arrêtées. "Les chiffres varient entre 16 000 et 40 000 détenus en un an, selon les sources, mais on a tendance à placer notre curseur sur la statistique haute", explique Francè Salinié d’Amnesty International. Mais Youssef el-Chazli, spécialiste des mouvements révolutionnaires met en garde : "La répression est effectivement importante, mais cela est lié au fait que la coercition passe par l’appareil sécuritaire de l’État, donc plus facilement chiffrable, là où les gouvernements précédents usaient allègrement d’outils répressifs plus insidieux.é

  • La pression de la rue


Manifestation à l’université du Caire, en novembre 2013. © AFP

Renforcé par la situation sécuritaire critique avec la multiplication des attaques terroristes, Al-Sissi s’appuie sur une population fatiguée par quatre ans de troubles. "Les gens ne sont plus avec nous, ils nous prennent pour des anarchistes qui veulent juste tout désorganiser", affirme Mahmoud Hassan, militant révolutionnaire. "Ils ont le sentiment de n’avoir rien gagné avec la révolution, et ils nous en tiennent pour responsables."

Pas tout à fait résignés, les militants encore debouts brandissent la Révolution française comme référence.  "Ça prendra le temps qu’il faudra, mais l’Égypte se soulèvera encore et une nouvelle révolution viendra terminer la précédente.

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