Exclusif : Pourquoi le tribunal d’Abidjan a lourdement condamné Ecobank

Jeune Afrique révèle le contenu de la décision du tribunal de commerce d’Abidjan ayant mené à la condamnation du groupe Ecobank, du sud-africain PIC et de Daniel Matjila à payer 7,5 milliards de FCFA à Thierry Tanoh, ancien directeur général du groupe panafricain.

Pourfendeur de Thierry Tanoh, Daniel Matjila (à droite) est le principal visé par la condamnation. © JA

Pourfendeur de Thierry Tanoh, Daniel Matjila (à droite) est le principal visé par la condamnation. © JA

Publié le 22 janvier 2015 Lecture : 7 minutes.

On sait désormais tout sur les motifs de la condamnation infligée le 15 janvier par le Tribunal de commerce d’Abidjan à Ecobank, à son actionnaire sud-africain PIC et au représentant de ce dernier dans le conseil d’administration du groupe bancaire panafricain, Daniel Matjila. Un homme dont le nom revient constamment dans les 47 pages de la décision du Tribunal, dont Jeune Afrique a obtenu une copie.

Cliquez sur l'imageC’est bien une lettre assassine de Daniel Matjila adressée aux administrateurs du groupe bancaire, le 1er mars 2014, qui est à l’origine du courroux (et de la plainte) de Thierry Tanoh. Dans ce texte, largement cité dans la décision du tribunal, le Sud-Africain accuse l’Ivoirien de « manque d’aptitude au plan technique et moral pour diriger une institution comme Ecobank qui exige la confiance et le respect, le sens élevé de l’éthique et de la morale, l’excellence, le professionnalisme ainsi que l’expertise technique dans le secteur bancaire », d’avoir « jeté le discrédit sur le nom de la Banque ainsi que le Conseil », d’avoir « mis en place de nouveaux systèmes et valeurs en permettant aux politiciens de s’ingèrer dans les affaires de la banque afin de demeurer à son poste de Président Directeur Général du groupe », d’avoir « délibérèment semé la division au sein du Conseil d’Administration, des actionnaires, du personnel, et des responsables chargés de la règlementation », d »avoir « manqué de respect envers le Conseil et des responsables chargés de la règlementation en ce qu’il a de façon constante agi sans leur avis », d’avoir « contribué à la baisse du moral du personnel, provoquant ainsi la peur chez eux, en les amenant à vivre constamment en victimes craignant de poser des actes à l’encontre des désirs du Président Directeur Général du groupe », d’avoir « continué d’utiliser les ressources d’Ecobank (financière et autres) à des fins personnelles ».

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Etudiant une à une les accusations de Daniel Matjila, le tribunal a estimé que ce dernier avait été incapable d’apporter la preuve de ses allégations.

« Thierry Tanoh a fait preuve d’incompétence, d’immaturité, de manque d’expérience de gestion aux plans technique et humain. Il manque de sérieux et de posture pour exercer les fonctions de Président Directeur Général d’Ecobank réputé pour être une institution internationale de renom », concluait Daniel Matjila dans ce courrier, rédigé une dizaine de jours avant l’éviction de Thierry Tanoh de son poste.

Incapable d’apporter des preuves

Une partie de cette lettre sera reprise par le Financial Times et Bloomberg.

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Voitures de luxe et jet

Le Tribunal a également considéré que les « achats non autorisés de véhicules de luxe », dénoncés par Daniel Matjila, ont été dûment autorisés par le Président du conseil d’administration (de l’époque) d’Ecobank. L’administrateur d’Ecobank aurait également mis en cause des factures de 2,42 milliards de F CFA pour l’utilisation du jet de la banque « à des fins personnelles, sinon étrangères aux fonctions de directeur général ». Prétendant même, selon le tribunal, que Thierry Tanoh aurait utilisé cet avion « pour aller jouer au tennis ». « Ce qu’il a été bien en peine de justifier par la suite tant devant le juge rapporteur que devant le tribunal », poursuit le jugement.

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Etudiant une à une les accusations de Daniel Matjila, le tribunal a estimé que ce dernier avait été incapable d’apporter la preuve de ses allégations (lire les encadrés à ce sujet), rappelant au passage la riche carrière professionnelle de Thierry Tanoh, notamment à la Société financière internationale (IFC, Groupe Banque mondiale). « Le tribunal considère que Mr Matjila Daniel à qui il incombait d’apporter la preuve des faits à l’origine des qualificatifs qu’il a attribués à Monsieur Tanoh Thierry n’a pu le faire. Ces qualificatifs portant atteinte à l’honneur et à la considération, c’est à juste titre que Monsieur Tanoh Thierry lui reproche une faute délictuelle à  son égard », écrit le tribunal.

La Présidence de la République n’est pas une banque prestigieuse de dimension internationale où le destine normalement la renommée que Thiery Tanoh s’est patiemment bâtie.

Ce dernier estime par ailleurs que la nomination de Mr Tanoh comme secrétaire général adjoint à la Présidence ivoirienne n’efface pas « l’humiliation que la lettre litigieuse lui inflige à la face de la communauté financière internationale et de toutes les personnes qui ont vu et lu les articles contenant les faits incriminés ;  la Présidence de la République n’étant pas une banque prestigieuse de dimension internationale où le destine normalement la renommée qu’il s’est patiemment bâtie. » 

Sur certains points, notamment l’inaptitude « professionnelle et morale à exercer sa profession de banquier », le tribunal révèle que Daniel Matjila « ne conteste paradoxalement pas ses performances à la Société financière internationale », l’ancien employeur de Mr Tanoh, et « a même déclaré devant le juge rapporteur lors de son audition avoir du respect pour Monsieur Tanoh »…

« PIC n’aurait pas investi »

L’un des points les plus plus disputés dans la décision du Tribunal est l’accusation d’incompétence portée par Daniel Matjila à l’encontre de Thierry Tanoh. Le Sud-Africain, dans une lettre du 12 décembre 2014, reproche à l’Ivoirien de ne pas avoir « été capable en tant que directeur général de mesurer la gravité de la crise créée au sein de la société ETI suite au courrier du 08 avril 2013 de la Banque Centrale du Nigeria dénonçant la légitimité de l’ancien Président du conseil d’administration Monsieur Kolapo Lawson à présider ce conseil », « d’être à l’origine de pratique de mauvaise gouvernance de la société ETI », « d’avoir manqué de respect envers le conseil d’administration et l’autorité de régulation en licenciant la directrice des Finances et des Risques Madame Do Rego, malgré l’opposition de ceux-ci ».

Le Tribunal reconnaît que Daniel Matjila apporte des « pièces » mais estime qu’elles ne justifient pas l’accusation d’incompétence. Incompétence infirmée selo la justice ivoirienne par le fait que Thierry Tanoh a été « choisi pour diriger le groupe ETI parmi bien d’autres candidats desquels il était le meilleur, et que les défendeurs ne contestent pas l’augmentation de la valeur des actions de la société ETI obtenue sous sa direction ».

En revanche, le tribunal retient certains arguments de l’ancien directeur général, qui estime que c’est pour avoir « mis lui-même en exergue les problèmes de mauvaise gouvernance au sein du groupe ETI que son éviction a été orchestrée ». Selon le tribunal, Daniel Matjila aurait admis qu’un rapport du cabinet Ernst & Young, « que le conseil d’administration du groupe ETI a refusé de communiquer au tribunal », a « a révélé des graves problèmes de gouvernance au sein de ce groupe ; et que Monsieur Matjila Daniel a déclaré et confirmé que si la société PIC qu’il représente au sein du groupe ETI l’avait su, elle n’aurait pas investi dans le capital de ce groupe ». 

Fuites

Pour sa défense, Daniel Matjila a mis en avant la liberté de parole et d’expression de tout administrateur. Un argument rejeté : « Le tribunal rappelle que l’exercice du mandat confié à un administrateur n’est pas un îlot dépourvu de règles juridiques et que le statut d’administrateur d’une société commerciale ne confère à leur titulaire ni immunité ni privilège. S’il est vrai que les administrateurs bénéficient de cette liberté de parole et d’écrit, l’exercice de cette liberté doit néanmoins être conforme à l’obligation générale de prudence imposée à toutes personnes ».

Il semble que la fuite de la lettre de Mr Daniel Matjila dans le Financial Times et Bloomberg ait été considéré comme une circonstance aggravante, en portant « gravement atteinte à la réputation » de Thierry Tanoh. Mr Matjila a contesté être à l’origine de ces publications. Selon le tribunal, Ecobank a prétendu à mots couverts que Mr Tanoh lui-même était à l’origine de cette publication, notant que « les fuites dans le Financial Times ayant débuté avec l’arrivée de Monsieur TANOH Thierry à la tête de la société ». Toutefois, note le tribunal, une précision contenue dans un article de Bloomberg, au sujet de laquelle Mr Matjila n’a pu apporter de preuves contraires, précisait clairement l’auteur de la fuite : « M. Matjila a transmis le courrier à Bloomberg après un entretien téléphonique aujourd’hui ». 

Selon un article de Bloomberg, c’est bien « M. Matjila (qui) a transmis le courrier à Bloomberg après un entretien téléphonique « .

Solidaires

Le tribunal a estimé que le courrier diffamatoire de Mr Matjila engageait la responsabilité solidaire de la société PIC, qu’il représente au conseil d’administration d’Ecobank, ainsi que celle du groupe bancaire. Ecobank « ne s’est désolidarisée des propos tenus par Mr Matjila Daniel ; bien au contraire elle a durant tout le procès tant dans ses déclarations orales qu’écrites, tenté de justifier ces propos ainsi que le droit qu’à son auteur de les tenir, et même précisé n’avoir aucun intérêt particulier à réprouver ces propos où à les empêcher », a précisé le tribunal. 

Outre la condamnation solidaire à 7,5 milliards de F CFA à titre de dommages et intérêts (deux fois moins que la somme demandée par Thierry Tanoh), le tribunal a également « ordonné la publication de la présente décision dans tous les organes de presse et site internet ayant reçu ou fait état de la correspondance du 1er mars 2014 aux frais des défendeurs sous astreinte comminatoire de 200 millions de F CFA par jour de retard à compter de la signification de la présente décision ».

Le groupe Ecobank et PIC ont tous deux annoncé depuis le 15 janvier leur intention de faire appel de ce jugement. Ils devraient à nouveau mettre en cause la compétence du tribunal d’Abidjan, un point également rejeté dans la décision du 15 janvier.

Baudelaire Mieu, à Abidjan, et Frédéric Maury

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