Santé : le manque de toilettes en Afrique, une « pandémie » orpheline ?

Nous sommes environ 7 milliards sur la planète. Quelque 6 milliards d’entre nous ont un téléphone portable, mais seulement 4,5 milliards d’être humains disposent de toilettes. Une situation dont plus de 2 000 enfants meurent chaque jour, en particulier en Afrique. Sans que les pouvoirs publics ne prennent vraiment le problème à bras-le-corps.

1,8 milliards de personnes consommeraient de l’eau contaminée dans le monde. © Coalition Eau.

1,8 milliards de personnes consommeraient de l’eau contaminée dans le monde. © Coalition Eau.

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 18 novembre 2014 Lecture : 6 minutes.

On le sait trop peu : sur notre continent, et en particulier en Afrique subsaharienne, il est plus courant de posséder un téléphone portable qu’un accès à des toilettes garantissant une bonne sécurité hygiénique. Au Soudan du Sud ou au Niger, plus des trois-quarts de la population ne disposent même pas de la moindre installation et défèquent tout simplement à l’air libre.

À l’occasion de la journée mondiale des toilettes, qui se tient chaque année le 19 novembre, Jeune Afrique fait le point sur la situation du continent. Où un enfant aurait, selon l’Unicef, environ 500 fois plus de chances de mourir de diarrhée qu’un de ses camarades nés en Europe ou aux États-Unis.

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Pourquoi le manque de toilettes tue ?
L’Afrique répond-elle au défi de l’assainissement ?
L’Afrique est-elle vraiment le mauvais élève de la planète en terme d’assainissement ?
Quels pays progressent ? Stagnent ? Régressent ?

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Pourquoi le manque de toilettes tue ?

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Dans le monde en 2014, quelque 2,5 milliards de personnes sont privées de toilettes, selon le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé et de l’Unicef. Un fait qui passe encore relativement inaperçu tant le sujet prête à sourire. Il n’y a pas pourtant pas de quoi.

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En l’absence d’accès aux toilettes et de dispositifs d’évacuation efficaces (vers une fosse septique étanche, une fosse ventilée ou encore via un système de compost), un tiers de la population mondiale se rabat vers un "système D" dangeureux : seaux, sacs plastiques, vulgaires trous, installations partagées ou publiques, latrines peu ou pas isolées ou tout simplement défécation à l’air libre…

Autant de système qui aboutissent à la création de stocks de déchets non-évacués, devenant rapidement des réservoirs de microbes, à la portée de tous et des sources de contamination pour les cours d’eau environnant. On estime que 375 000 tonnes de matières fécales sont directement déposées chaque jour dans la nature.

On estime que 375 000 tonnes de matières fécales sont directement déposées chaque jour dans la nature.

Or, le manque d’accès à l’assainissement est un des facteurs les plus aggravants de la propagation des maladies dites hydriques. Un gramme de matière fécale humaine peut abriter jusqu’à cent œufs de parasites, 10 000 virus (comme l’hépatite ou la polio) ou encore jusqu’à un million de bactéries, responsables de la dysenterie, du choléra  ou de la diarrhée. Cette dernière provoquerait chaque année près de 760 000 décès d’enfants de moins de cinq ans, soit plus de 2 000 par jour, selon l’OMS. En comparaison, Ebola a fait environ 5 000 morts comptabilisés en 2014.

L’Afrique répond-elle au défi de l’assainissement ?

Le combat est loin d’être gagné. Si l’accès à l’assainissement figurait au nombre des objectifs du millénaire pour le développement (OMD, "réduire de moitié la part de population privée d’un accès à l’assainissement"), le continent est loin d’en avoir fait une priorité. Le nombre de personnes déféquant à l’air libre a augmenté depuis 1990 dans 26 pays du continent, analyse le collectif d’ONG Coalition Eau, atteignant, pour les seuls cinq premiers pays en la matière, plus de 110 millions de personnes.

Trente-deux gouvernements africains ont pourtant signé, en février 2008, la déclaration d’eThekwini, en Afrique du Sud. Celle-ci reconnaît l’importance de l’assainissement et engage les États signataires sur l’objectif d’y consacrer 0,5% de leur PIB national. Or, pour beaucoup, et bien que les données ne soient pas partout accessibles, le compte n’y est pas ou les résultats sont en trompe-l’œil. "Ils prennent des engagements mais il n’y a pas d’effets sur le terrain", regrette Jean Bosco Bazié, directeur général burkinabè de l’ONG Eau vive. "La société civile n’est pas encore assez forte et un politique préférera toujours construire un échangeur, comme à Ouagadougou, plutôt que de mettre des fonds pour des milliers de toilettes, qui bénéficieraient à des millions de personnes", explique encore Jean Bosco Bazié. "C’est un peu comme si le manque de toilettes et d’accès à l’assainissement était une maladie orpheline".

L’absence de toilettes coûterait 1,5 % de PIB par an aux pays du Sud.

Au Bénin, 0,79% du PIB serait mobilisé, tout comme au Burkina Faso. Le Maroc se contente quant à lui de 0,37% et Madagascar plafonne à 0,13%. Si l’on considère qu’une bonne partie de ces budgets est assignée au problème, réel, de l’eau potable et non à celui de l’accès à l’assainissement et aux toilettes, le constat est implacable. Du côté des bailleurs de fonds, le site terraeco.net estime que, pour six euros investis dans les puits, forages et robinets, on en trouvera seulement quatre pour les toilettes.

260 MILLIARDS. C’est en dollars, et par an, la perte dûe à l’absence de toilettes pour les pays du Sud.

Les calculs de la Banque mondiale indiquent également qu’un dollar investi dans des toilettes en rapporte directement cinq en économie de soins de santé à la famille qui les a construites, et le double à l’économie nationale. Selon l’ONU, quelque 272 millions de jours de classe sont manqués par des enfants dans le monde en raison de maladies liées à cette problématique. L’absence de toilettes coûterait enfin 1,5 % de PIB par an aux pays du Sud. Soit 260 milliards de dollars. "Les États continuent de considérer que cela relève de la sphère privée et de l’intime", conclut Kristel Malegue, coordinatrice de Coalition Eau.

L’Afrique est-elle vraiment le mauvais élève de la planète en terme d’assainissement ?

Oui et non. Au nord du Sahara, la situation est plutôt satisfaisante. Quelque 91% de la population ont accès à un système d’assainissement amélioré, soit davantage que l’Amérique latine (82%), l’Asie ou encore la moyenne mondiale (64%). "Mais, même au Maroc, on a été frappé par les problèmes rencontrés en zone rurale notamment", explique Rachid Lalhou, président de Secours islamique France." "Les jeunes filles ne vont pas à l’école parce qu’elles n’ont pas de toilettes", ajoute-t-il.

Mais, c’est avant tout au niveau de l’Afrique subsaharienne que les progrès à réaliser restent considérables. Seuls 30% des Subsahariens disposent d’un assainissement amélioré. Un quart de la population du sous-continent y défèquent toujours à l’air libre, contre 14% pour le monde entier. La situation en Asie du Sud, tirée vers le bas par les résultats de l’Inde, est toutefois plus grave encore, avec pas moins de 38% de défécation à l’air libre.

Sur les 69 pays qui ne rempliront pas l’objectif du millénaire sur le développement correspondant à l’assainissement, 37 sont situés en Afrique subsaharienne. Sur 32 États du sous-continent ayant répondu au questionnaire mis en place par l’ONU, seuls dix ont déclaré qu’ils disposaient d’au moins 50% des fonds nécessaires à la réalisation de l’objectif. Pour les autres, la dépendance aux aides au développement est encore presque totale.

Quels pays progressent ? Stagnent ? Régressent ?

L’Afrique subsaharienne continue d’avoir les plus bas des taux de couverture en structures d’assainissement puisque seuls 30% de la population y ont accès. D’importants progrès ont toutefois eu lieu dans des pays comme l’Ouganda, le Rwanda, l’Angola ou l’Éthiopie. Addis Abeba a en effet adopté en 2005 un "plan d’accès universel" afin d’atteindre les cibles des OMD.

L’Éthiopie est passée de 92% en 1990 à 37% de personnes déféquant à l’air libre en 2012

Réactualisé en 2011, celui-ci met l’accent sur la coopération entre les différents ministères concernés et la société civile. Résultat : l’Éthiopie est passée de 92% en 1990 à 37% de personnes déféquant à l’air libre en 2012, soit une réduction de 55 points. Le Rwanda a de son côté mis en place un dispositif en 2010. Son objectif : fournir 85% de la population en eau et 65% en assainissement d’ici 2015, avec une couverture totale d’ici 2020. Date qui a été avancée à 2017 dans une actualisation de son programme en 2012. La défécation à l’air libre a quasiment disparu du territoire rwandais (2,99%).

À l’inverse, le Nigeria a enregistré la plus grande augmentation du nombre de personnes qui défèquent à l’air libre : de 23 millions en 1990 à 39 millions en 2012. Selon l’ONU, il fait partie, comme Madagascar, le Niger, la Centrafrique, le Soudan du Sud, la Mauritanie, le Kenya ou la Côte d’Ivoire, des États où moins de 50% des écoles disposent d’un système d’assainissement amélioré.

"De nombreux États d’Afrique subsaharienne sont incapables de faire suivre leur niveau d’investissement avec l’explosion de la population", explique encore Jean Bosco Bazié. D’où un constat qui n’incite guère à l’optimisme : si 9 personnes sur 10 déféquant à l’air libre vivent aujourd’hui en zone rurale, le nombre de personnes dans le même cas ne cesse d’augmenter dans les périphéries urbaines.

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Par Mathieu OLIVIER

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