Mode : la vague « nappy » déferle en Afrique

Depuis le début des années 2000, la diaspora vante les bienfaits d’être « nappy ». Et en Afrique francophone, certaines adeptes multiplient les initiatives pour se libérer du conformisme capillaire. Même si la mode des cheveux naturels ne fait pas encore l’unanimité sur le continent.

La communauté ‘nappy’ organise des rencontres régulières à Abidjan et à Yaoundé. © AFP

La communauté ‘nappy’ organise des rencontres régulières à Abidjan et à Yaoundé. © AFP

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Publié le 6 novembre 2014 Lecture : 5 minutes.

Elles se nomment les "Nappys de Babi" – "Nappy" pour la contraction de "naturelle"  et "happy" et Babi comme le surnom qu’elles donnent à leur ville, Abidjan. En février dernier, elles étaient plusieurs dizaines de jeunes femmes aux cheveux crépus, frisés ou bouclés à se réunir dans le quartier Cocody pour discuter de leurs secrets capillaires. Depuis, le mouvement a pris de l’ampleur : la "communauté de crépues" d’Abidjan, telle que la décrit sa créatrice Mariam Diaby, compte désormais 8 000 membres.

Mais au fait, d’où vient la tendance "nappy" ? Elle est apparue au début des années 2000 dans la diaspora. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, les femmes d’origine africaine ont peu à peu troqué les accessoires de défrisage pour des coupes naturelles.

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Avec les réseaux sociaux, les femmes du continent ont suivi le pas et investissent en masse le terrain virtuel, à coups de photographies de leurs dernières trouvailles capillaires et de conseils distillés en 140 signes sur Twitter. "Internet est le principal canal de diffusion de cette "mode", par l’intermédiaire des blogs et des vidéos sur Youtube", explique la blogueuse togolaise Manouchka, créatrice de la page "Frisettes et compagnie".

À bas le diktat du défrisage

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Pour les ambassadrices du mouvement “nappy”, dépasser le terrain virtuel pour s’imposer dans les rues des capitales est un défi. "La mode des cheveux lisses à l’européenne est ancrée dans les habitudes”, regrette Mariam Diaby. Au Cameroun, la mode du cheveu naturel n’en est qu’à ses balbutiements. "Le diktat du défrisage est encore la norme, raconte Elise Nyemb, créatrice du blog Les bidouilles d’une nappy et organisatrice des rencontres “So natural… so me” à Yaoundé. Une femme qui porte un tissage avec les mèches brésiliennes est plus valorisée que celle portant ses cheveux crépus que l’on traite de villageoise ou peu évoluée."

D’après une étude de l’American Journal of Epidemiology, la composition de certains produits défrisants augmente drastiquement "l’apparition de fibromes utérins, de pubertés précoces et de problèmes urinaires".

À Dakar, à Abidjan, à Lomé, nombreux sont les proches ou les inconnus qui dévisagent encore les "nappy", qui s’étonnent de leur coupe afro ou qui, dans les réunions de famille, leur lancent l’agaçante ritournelle : "pourquoi ne t’es-tu pas coiffée aujourd’hui?" "Le défrisage continue à apparaître aux femmes noires comme la panacée au crépu d’un cheveu qu’elles ont conceptualisé depuis près de deux siècles en termes de cheveu difficile à coiffer et inesthétique", explique la sociologue martiniquaise Juliette Smeralda, auteure de l’essai Peau noire, cheveu crépu : histoire d’une aliénation. Synonyme de déclassement social, le cheveu naturel a du mal à s’imposer. "C’est un acte militant d’aller à l’encontre des standards établis de la beauté caucasienne", relève Elise Nyemb.

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>> Lire aussi : Juliette Smeralda : "le modèle de beauté qu’on "vend" aux femmes du continent n’est pas africain"

Une question identitaire et aussi sanitaire

Mais la promotion de la beauté naturelle ne relève pas forcément de l’affirmation identitaire. Pour la Togolaise Manouchka, le passage au naturel était avant tout une question de santé. Rajouts, perruques, lissages abîment les cheveux et les traitements capillaires, souvent à base de produits chimiques nocifs, comme de la soude, peuvent être dangereux pour la santé. "On vend de plus en plus de crèmes défrisantes à petits prix dont on ignore pratiquement tout de la composition. Elles sont bien souvent mal utilisées et à long terme, on ne sait pas vraiment quelles en sont les conséquences sur notre santé", explique Manouchka. D’après une étude de l’American Journal of Epidemiology, la composition de certains produits défrisants augmente drastiquement "l’apparition de fibromes utérins, de pubertés précoces et de problèmes urinaires".

"Chacune d’entre nous a ses raisons d’être ‘nappy’, résume l’Ivoirienne Mariam Diaby. Certaines revendiquent leur africanité, d’autres ont eu des problèmes de santé et ont besoin d’apprendre à gérer leurs cheveux crépus, d’autres enfin le font parce que c’est tendance…" Pour s’affranchir des standards de beauté dominants, les ambassadrices de la beauté naturelle se mobilisent… mais elle se réunissent surtout pour partager leurs conseils. Avant d’être un combat, être "nappy", c’est surtout "le partage d’une passion", selon la Togolaise Manouchka. Dommage que "ces rendez-vous entre ‘nappy’ touchent avant tout les élites", regrette Elise Nyemb. Un défi de plus pour les libérées de l’épi.

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Emeline Wuilbercq

Les conseils des "nappy"

Manouchka de Frisettes et Compagnie : "Je recommande en général beaucoup de patience, car il faut pouvoir réserver un peu de son temps personnel pour prendre convenablement soin de sa chevelure et la rendre belle. Il faut également choisir les bons produits, car il existe des produits pour tout type de cheveux naturels (crépus, frisés et bouclés) et tous les produits ne conviennent pas systématiquement à tout le monde."

Daniella, créatrice de la page Facebook Nappy Style From Togo : "Il faut avoir une alimentation saine, boire beaucoup d’eau et utiliser des produits naturels d’Afrique, surtout des beurres, des huiles et des poudres de plantes du miel. Il est impératif d’adopter une routine de soin à faire chaque semaine ou une fois par mois minimum."

0, 0);">Clarisse, fondatrice de la "Natural Hair Academy" à Paris : "Hydrater ses cheveux est fondamental pour conserver la souplesse et éviter la casse. Hydrater ses cheveux signifie apporter de l’eau dans un premier temps avec un produit hydratant dont l’eau est l’un des 5 premiers ingrédients. Ensuite il faut empêcher cette eau de s’évaporer en scellant l’hydratation avec un corps plus gras (une huile ou un beurre). Démêler ses cheveux en douceur section par section avec un peigne à dents larges ou une brosse. Commencer de la pointe et remonter à la racine. Laisser parler sa créativité pour se sentir bien et belle et trouver des coiffures qui nous conviennent. Le cheveu naturel offre une multitude de possibilités de coiffures en dehors de l’afro. Il ne faut surtout pas hésiter à les tester !"

Mariam, fondatrice du mouvement "Nappys de Babi" à Abidjan : "PATIENCE. C’est avec la patience que l’on prend le temps de connaître le cheveu crépu, de l’apprivoiser, de se l’approprier et finalement de le laisser pousser en toute sérénité."

Élise Nyemb, créatrice de "So natural … so me" à Yaoundé : "J’encourage les ‘nappy’ à utiliser des produits locaux tels que du beurre de karité, de l’huile de palmiste, d’avocat ou encore du savon noir."

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