Cameroun : Baileys, l’alcool qui peut vous envoyer en prison

Au Cameroun, mieux vaut faire attention à la boisson que l’on commande. Si une Guiness ne déclenchera que des regards approbateurs, un Baileys pourrait vous valoir une dénonciation pour homosexualité. Et vous envoyer en prison.

Un homosexuel au Cameroun. © DR

Un homosexuel au Cameroun. © DR

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Publié le 17 septembre 2014 Lecture : 2 minutes.

Au sein de la communauté homosexuelle camerounaise, il y a longtemps qu’on ne boit plus de Baileys dans n’importe quel bar. Cette liqueur à base de whisky irlandais et de crème est en effet considérée par certains Camerounais comme un signe d’homosexualité, crime puni par le code pénal d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans.

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En début de semaine dernière encore, un homme, défendu par l’avocat Michel Togue, a été reconnu coupable d’homosexualité par un tribunal camerounais. Parmi les motifs retenus pour la condamnation : la profession de l’accusé, coiffeur pour hommes, et son penchant pour le Baileys. En revanche, aucune trace de véritables preuves concernant "des relations sexuelles entre personnes du même sexe", comme le requiert pourtant l’article 347 bis du code pénal camerounais.

"Qui commanderait du Baileys, si ce n’est une fille ?"

Las, cette affaire est loin d’être une exception. "Qui commanderait du Baileys, si ce n’est une fille ?", s’est ainsi interrogé un juge dans une affaire similaire, il y a quelques mois.

C’est notamment cette même "boisson de filles", selon les propos d’un autre magistrat, qui a en partie conduit à la condamnation de Franky et Jonas en novembre 2011. Ils passeront plus d’un an en prison, avant d’être acquittés par la Cour d’appel du Centre, à Yaoundé. Ce qui fut loin de mettre un terme à leur calvaire, comme le racontait Franky, alias Naomie, à Jeune Afrique, en janvier.

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"Apartheid sexuel"

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La boisson est loin d’être le seul facteur de risque judiciaire pour les homosexuels. Mieux vaut aussi s’éloigner des métiers considérés comme "féminins", à l’instar de la coiffure, qui ont valu de nombreuses dénonciations pour homosexualité de la part de voisins, voire de membres de la famille des intéressés.

Mieux vaut également ne pas compter sur le secret médical. En dehors de quelques médecins et de quelques infirmières travaillant, à leurs risques et péril, avec des associations de défense des homosexuels, dans le traitement et la prévention du VIH notamment, le secteur de la santé n’est pas très sûr au Cameroun. Nombre de malades ou d’homosexuels, mal informés sur les "bonnes" filières, préfèrent ainsi éviter les services publics de soin. D’autant que la justice demande régulièrement à certains médecins de "vérifier" l’homosexualité de certains accusés en pratiquant des "tests anaux".

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Dans cet "apartheid sexuel", comme la nomme l’avocate camerounaise Alice Nkom, difficile de donner un nombre précis de victimes. On ne sait combien de personnes sont emprisonnées pour homosexualité, à Kondengui ou ailleurs, ni combien se cachent à Douala, Yaoundé ou Buéa. Jules, directeur de Humanity First, confiait en janvier à Jeune Afrique : "Je ne vais plus au commissariat aider les personnes arrêtées, je suis trop maniéré, j’aggraverais leur cas !" Au Cameroun, être simplement soi-même est, parfois, considéré comme un crime.

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Par Mathieu OLIVIER

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