États-Unis : retour sur les destins brisés de neuf Africains-Américains

Depuis le meurtre de Michael Brown, le 9 août dernier à Ferguson, les États-Unis vivent une nouvelle fois au rythme des tensions communautaires. Une situation que le pays a connue à de multiples reprises depuis l’épisode Rodney King, en 1991.

Les obsèques de Michael Brown, tué le 9 août à Ferguson. © Reuters

Les obsèques de Michael Brown, tué le 9 août à Ferguson. © Reuters

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Publié le 27 août 2014 Lecture : 7 minutes.

Rosa Parks, lors de son procès, en 1955. © AP/SIPA
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Rosa Parks : une place assise… pour rester debout

Le 1er décembre 1955, Rosa Parks refusait de céder sa place à un passager blanc, dans le bus numéro 2857 de Montgomery, en Alabama, aux États-Unis. Sans le savoir, elle allait être l’un des principaux déclencheurs d’une marche pour les droits civiques des Africains-Américains qui allait changer le visage des États-Unis. Retour, soixante ans plus tard, sur un moment d’histoire et sur ses conséquences.

Sommaire

D’un côté, une communauté noire dont les statistiques du département de la Justice américain montrent que les hommes nés en 2001 ont une chance sur trois de connaître un séjour en prison, soit trois fois plus que la moyenne nationale.

De l’autre une communauté blanche et une police surarmée, en grande partie avec des surplus de matériel militaire, en particulier depuis le 11 septembre 2001 et l’explosion des budgets de la Défense.

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Entre eux : un scénario connu de tous. Violent, parfois meurtrier, et qui a déjà pris la vie de nombreux Africains-Américains. Parmi eux, Eric Garner, Trayvon Martin, Jordan Davis, Amadou Diallo, Oscar Grant, Abner Louima, Tarika Wilson, Rodney King ou, dernier en date, Michael Brown.

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Rodney King
Abner Louima
Amadou Diallo
Tarika Wilson
Oscar Grant
Trayvon Martin
Jordan Davis
Eric Garner
Michael Brown

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Rodney King, 1991

Né à Sacramento d’un père alcoolique, Rodney King fut élevé à Pasadena, en Californie, par une mère témoin de Jéhovah. Très tôt, il eut maille à partir avec la justice. Jusqu’à cette nuit du 3 mars 1991, où, ivre, il tenta d’échapper à la police, suite à un excès de vitesse. Au terme de la poursuite, il stoppe néanmoins son véhicule. Un officier de police, Melanie Singer, pointe son arme sur lui et lui ordonne de sortir.

Quatre policiers tentent alors de le maîtriser mais King se débat et le comportement anormal du suspect fait penser aux officiers (à tort) qu’il est sous l’emprise de PCP, une drogue qui occulte la douleur et donne à celui qui est sous son influence l’impression d’avoir une force surhumaine. Le sergent Stacey Koon utilise alors un Taser, ce qui jette Rodney King au sol. Il se relève néanmoins et devant sa résistance, les officiers Laurence Powell et Timothy Wind le rouent de coups, sous l’œil d’un voisin, George Holliday, qui filme la scène.

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King sera frappé une cinquantaine de fois et recevra, à l’hôpital, vingt points de suture dont cinq à l’intérieur de la bouche, l’examen médical montrant une mâchoire fracturée et la cheville droite cassée. Il sera gardé sous les verrous pendant quatre jours, avant d’être relâché. En mars 1992, commence à Simi Valley le procès d’État de quatre des policiers impliqués, accusés d’ »usage abusif de la force ». La défense ayant récusé les Africains-américains, le jury est composé de dix Blancs, un Asiatique et un Latino. Le 29 avril, après sept jours de délibérations, les accusés seront tous les quatre acquittés. Des émeutes éclatent alors à Los Angeles. Les plus graves dans le pays depuis les années 1960. Quelque 53 personnes y perdront la vie.

Abner Louima, 1997

Le 9 août 1997, Abner Louima se trouve au « Club Rendez-Vous », une boîte de nuit populaire de New-York. Après une bagarre entre deux femmes, dans laquelle lui et plusieurs hommes interviennent, la police est appelée et une altercation éclate entre les forces de l’ordre, des clients et des passants. Dans la bagarre, l’officier Volpe semble avoir été attaqué par surprise et désigne Louima comme son agresseur. Celui-ci est- arrêté pour trouble à l’ordre public et entrave à l’action d’un fonctionnaire de police. Emmené au commissariat, il est frappé à plusieurs reprises dans la voiture puis, sur les lieux, les violences se poursuivent, allant jusqu’à un viol.

Alors que les mains de Louima sont menottées derrière son dos, Volpe le sodomise avec le manche d’une ventouse, lui causant de sérieuses lésions au colon et à la vessie. Après cet acte, Volpe se balade dans le commissariat avec la ventouse couverte de déjections et de sang, indiquant qu’il avait « brisé un homme ». Justin Volpe a été condamné à trente ans de prison pour avoir enfreint les droits civiques de Louima, pour obstruction à la justice et faux témoignage. Abner Louima restera deux mois à l’hôpital.

Amadou Diallo, 1999

Amadou Diallo, né au Libéria, est l’aîné d’une famille de quatre enfants d’origine guinéenne. Il voyage beaucoup durant son enfance notamment au Togo, en Guinée, en Thaïlande et à Singapour et, en 1996, arrive aux États-Unis dans le but d’intégrer une école pour poursuivre ses études d’informatique. Il décide de monter une entreprise avec son cousin. Après avoir été livreur, il devient vendeur ambulant de chaussettes, de gants et de vidéos à Manhattan, sous une fausse identité de réfugié politique mauritanien.

Le 4 février 1999, alors qu’il est en bas de son immeuble, des policiers en civil à la recherche d’un violeur en série correspondant à son profil tentent de l’interpeller. Amadou Diallo aurait mis la main à sa poche et les policiers lui auraient tiré dessus, croyant qu’il tentait de sortir une arme. Version cependant réfutée par la famille, qui affirme que les coups de feu ont été tirés sans sommation. Il est touché par dix-neuf des quarante-et-une balles tirées. Amadou Diallo ne portait pas d’arme et n’avait pas de casier judiciaire.

Les quatre policiers plaident non-coupables à leur procès et qualifient leur acte d’ »horrible méprise ». Ils attribuent leurs tirs répétés au stress. Trois d’entre eux avaient déjà fait l’objet de plaintes pour des bavures dans l’exercice de leurs fonctions, mais avaient tous gagné leurs procès respectifs. Le 25 février 2000, les quatre policiers sont acquittés par un jury de douze membres, huit Blancs et quatre Noirs.

Tarika Wilson, 2008

Une bavure. À la recherche de son compagnon suspecté de trafic de drogue, une unité spéciale (SWAT), pourtant censée représenter l’élite des forces de l’ordre américaines, pénètre dans la maison de Tarika Wilson, dans la soirée du 4 janvier 2008. Quelques secondes plus tard, les voisins entendent des coups de feu. Tarika Wilson est abattue et son fils de 15 mois, qu’elle tenait dans les bras, est blessé. Elle n’était pas armée.

Selon la version de la police, l’un de ses membres auraient ouvert le feu sur deux chiens appartenant au couple. Un autre policier, entendant ces coups de feu, les aurait considérés comme hostile et aurait à son tour tiré, tuant Tarika Wilson et blessant son enfant. Il sera acquitté par le jury, considérant qu’il avait agi pour protéger sa vie.

Oscar Grant, 2009

C’est dans le métro d’Oakland (près de San Francisco) qu’Oscar Grant, 22 ans, garçon boucher, a été tué. Le drame a eu lieu dans les premières heures du jour de l’an 2009. Les images sont confuses, mais on voit clairement trois policiers du métro local, le BART (Bay Area Rapid Transit), face à un groupe de jeunes gens. Un jeune homme est d’abord à genoux, puis au sol. À un moment, un des policiers sort son arme de service et tire sur lui, dans le dos. Les passagers sont choqués, les portes du métro se referment.

Ces images, reprises par les télévisions, ont suscité l’émotion, la colère. et de nombreuses manifestations. Le procès, qui se tient un an plus tard à Los Angeles, pour raisons de sécurité, a été dénoncé comme une parodie de justice. Le policier a dit avoir confondu son arme avec son Taser. Condamné à deux ans de prison, il est ressorti au bout de onze mois. Ces événements dramatiques seront portés à l’écran dans le film « Fruitval station ».

Trayvon Martin, 2012

Trayvon Martin, jeune Afro-américain de 17 ans, marche seul sous la pluie dans le quartier privé, où vit son père, à Sanford, en Floride, le 26 février 2012. Georges Zimmerman coordonne quant à lui les veilleurs volontaires chargés de la surveillance du voisinage. Très vite, il repère ce jeune homme, qui, selon lui, se comporte étrangement. Le veilleur décide d’appeler la police locale, puis contre l’avis des forces de l’ordre, sort de sa voiture et se lance à la poursuite de Martin, qui s’enfuit.

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Zimmerman et Martin finissent par se retrouver face à face. Une altercation violente s’en suit et, lorsque les policiers arrivent sur les lieux, Zimmerman est au sol, le nez sérieusement amoché, des marques de lacérations à l’arrière du crâne. Le corps de Martin gît à l’endroit de l’altercation, mortellement touché à la poitrine par une balle tirée par Zimmerman. Le jeune homme de 17 ans, parti acheter des bonbons, ne rentrera jamais chez lui.

Très rapidement, les médias américains se sont pris de passion pour cette affaire qui rappelle celle de la mort du jeune Oscar Grant. Le procès de Zimmerman débuta le 10 juin 2013, à Sanford. Le 13 juillet, le jury, composé de six femmes, déclare Zimmerman non coupable de toutes les charges retenues contre lui, après 16 heures de délibérations.

Jordan Davis, 2012

Vendredi 23 novembre 2012, Jordan Davis se trouve dans une voiture avec trois amis, dans le nord de la Floride, quand un homme de 45 ans, Michael Dunn, leur demande de baisser le volume de la musique qu’ils écoutaient, avant de finir par tirer huit ou neuf fois sur leur voiture, tuant Jordan Davis, 17 ans.

Michael Dunn a ensuite passé la nuit à l’hôtel, avec sa compagne, avant d’être interpellé le lendemain à son domicile. Il avait été repéré grâce au numéro d’immatriculation de sa voiture. Son avocate a assuré que son client s’était senti menacé et avait agi « comme n’importe quel possesseur d’arme à feu responsable l’aurait fait dans de telles circonstances ». Le 15 février 2014, un jury de Floride a reconnu Dunn coupable, notamment de meurtre au second degré. Il risque jusqu’à 75 ans de prison.

Eric Garner, 2014

La police voulait interpeller Eric Garner, un quadragénaire de Staten Island, père de six enfants, pour vente illégale de cigarettes. Le suspect de 43 ans a semble-t-il tenté de s’opposer à son arrestation, mais a été maîtrisé par plusieurs policiers. L’un des agents a alors utilisé une prise bloquant les voies respiratoires, une technique pourtant interdite au sein de la police new-yorkaise. Sur des images de l’interpellation, qui circulent sur internet, on peut entendre Eric Garner dire qu’il ne peut plus respirer.

Alors qu’une ambulance arrive, le suspect ne réagit plus. Il décède peu après. Selon la police new-yorkaise (NYPD), Eric Garner aurait succombé à une crise cardiaque, mais une enquête a été ouverte à la demande du maire de New-York, Bill de Blasio.

Michael Brown, 2014

Michael Brown, 18 ans, a été tué le 9 août 2014 à Ferguson. Un témoin, Dorian Johnson, a raconté à la station de télévision locale KMOV qu’il marchait dans la rue quand un agent de police s’en est pris à Michael Brown et a dégainé son arme. Le policier a tiré sur l’adolescent, qui s’est alors « retourné et a mis les mains en l’air », mais le policier a continué à tirer, selon Dorian Johnson.

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Le chef de la police du comté de Saint Louis, Jon Belmar, a présenté une version sensiblement différente. D’après lui, Michael Brown a été tué après avoir agressé un policier et tenté de lui dérober son arme. La plus grande inquiétude des protestataires concerne l’enquête, qu’ils craignent partiale. Elle sera confiée à l’autorité supérieure, la police du comté de St-Louis, et non aux instances municipales. Selon l’autopsie des légistes embauchés par la famille de la victime, le jeune homme aurait reçu au moins six balles, quatre dans le bras droit et deux dans la tête.

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Par Mathieu OLIVIER

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