Niger : de si précieux services de renseignement

Consacré aux services de renseignement (SR) du Niger, ce billet de Laurent Touchard* présente quels sont leurs organismes, leur rôle, les défis auxquels ils aujourd’hui confrontés, alors que le pays est considéré comme susceptible d’être fragilisé par de nombreux dangers.

Un militaire nigérien. © AFP

Un militaire nigérien. © AFP

Publié le 1 août 2014 Lecture : 7 minutes.

*Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l’histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l’université Johns-Hopkins, aux États-Unis.

Le Niger dispose donc de plusieurs SR, à commencer par l’organisme de renseignement stratégique du pays. Son nom est clairement hérité de celui de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) française et de son "ancêtre", le SDECE (Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage) : Direction Générale de la Documentation et de la Sécurité Extérieure (DGDSE) ! Depuis un décret du 18 mai 2011, elle dépend directement de la présidence de la République.

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>> Lire le précédent billet : Les défis de la politique de défense du Niger

Outre la DGDSE, le Niger dispose d’autres services de renseignements (SR) directs ou indirects. Tout aussi discrète, l’on peut ainsi citer la Direction du Renseignement Intérieur (DRI) qui dépend de la Direction générale de la Police Nationale (DGPN), elle-même sous l’autorité du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique. Dans le cadre de la Stratégie de Développement et de Sécurité (SDS) mise en œuvre par la Primature a été lancée la modernisation de la DRI. La DGPN comprend aussi la police judiciaire, susceptible de collecter du renseignement dans le cadre d’instructions préparatoires. Elle dispose également d’outils scientifiques, fort précieux pour lutter contre le terrobanditisme : le Service Central de l’Identité judiciaire et le Laboratoire de Police Technique et Scientifique. A l’instar de la DRI, tout deux ont été modernisés.

Citons encore la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières du Niger (CENTIF) du ministère des Finances, créée en 2004. Son rôle est crucial : elle combat le blanchiment d’argent et donc, toutes les activités illégales liées au terrorisme (trafics de drogue, d’armes…). S’ajoutent enfin les services des douanes.

Coopération en Afrique et dans le monde

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Conscients qu’ils affrontent un adversaire aux multiples visages, les responsables des SR nigériens savent toute la valeur de la coopération internationale. De fait, à l’instar de leurs homologues sahéliens, ils adhèrent à  l’Unité de Fusion et de Liaison (UFL), plate-forme de discussions et d’échanges de renseignements installée à Alger. Celle-ci a été critiquée lors de la crise malienne pour ne pas avoir suffisamment joué son rôle. Par ailleurs, dans le cadre de l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité (APSA) et plus précisément, du "processus de Nouakchott", ils appartiennent au Comité des Services de Renseignements et de Sécurité Africains (CISSA) qui se réunit fréquemment.  Trois rencontres ont ainsi eu lieu en 2013 : le 18 avril, à Bamako et, du 20 au 21 juin, à Abidjan, du 10 au 11 septembre, à N’djamena. Toujours en 2013, Niger et Tchad signent un accord en matière de renseignement. Le premier séminaire du CISSA de l’année 2014 se tient à Niamey le 19 février. En outre, la DGDSE ne reste pas à l’écart de l’exercice régional Flintlock 2014 qui se tient au Niger du 19 février au 9 mars 2014.

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Durant ces conférences, il est question des échanges en temps réel et sécurisés d’informations, de la mise en place de patrouilles conjointes aux frontières (lorsque celles-ci n’existent pas déjà, comme avec le Nigeria)… La coopération a aussi cours avec des services étrangers comme la CIA américaine et, bien entendu, la DGSE française (que concerne aussi l’opération Barkhane). Il s’agit là de partenaires d’autant plus privilégiés que les deux pays cités (Etats-Unis et France) disposent – comme nous l’avons vu précédemment, de moyens de renseignements militaires sur le sol nigériens (avions ISR et drones ISR/ISTAR sur la Base Aérienne 101 de Niamey), désormais composantes du dispositif de l’opération Barkhane.

Avant la chute de Kadhafi, la DGDSE entretenait des liens étroits avec les SR libyens. Proximité qui amène Tripoli a suspecter Niamey d’aider les ex-partisans du défunt dictateur libyen. De fait, la bonne entente avec les organismes spécialisés libyens n’est plus de mise durant les mois qui suivent l’après-Kadhafi, le chaos actuel ne facilitant pas une normalisation de ces liens.

Surveillance des islamistes radicaux, développement et entretien des réseaux de contacts au sein des communauté constituent leur quotidien.

Une guerre de l’ombre

En raison d’une position géographique qui place le Niger au centre de trois zones de crise (sud de la Libye, Mali, nord du Nigeria), l’activité de ses SR s’est accrue au cours des quatre dernières années. À l’extérieur, ils ont l’oeil sur le sud de la Libye, mais aussi sur les activités nomades du nord-Mali. Surveillance renforcée des mosquées tandis que le territoire est a priori interdit aux prêcheurs pakistanais, surveillance des islamistes radicaux, développement et entretien des réseaux de contacts au sein des communauté nomades du nord constituent leur quotidien à l’intérieur des frontières… C’est justement grâce aux réseaux qu’ils s’impliquent dans la libération des cinq employés français d’Areva retenus en otage depuis le 16 septembre 2010 par des jihadistes. La DGDSE joue alors la carte de ses contacts, informe tant que faire se peut le pouvoir à la tête duquel se trouve désormais Salou Djibo, militaire qui a renversé le président Tandja.

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C’est dans ce contexte qu’est choisi un ex-insurgé touareg, Mohammed Akotey. Son rôle ? Servir d’intermédiaire entre ceux qui détiennent les otages et les autorités compétentes. Ses atouts pour cette difficile mission ? Neveu de Mano Dayak, une des figures de la rébellion touarègue, Akotey contribue aux accords de Ouagadougou en 1995. Accords qui permettent alors l’assoupissement progressif de l’insurrection nomade débutée en 1990. Natif de la communauté des Ifoghas, il ne manque pas de relations, aussi bien au nord du Niger qu’au nord du Mali. En 2007, il obtient le portefeuille de ministre de l’Environnement et de la lutte contre la désertification, avant d’être nommé en 2009 à la tête du conseil d’administration d’Imouraren SA, la nouvelle mine d’uranium que projette d’exploiter Areva. Il apparaît donc comme le négociateur idéal.

Malheureusement, le manque de concertation avec le Mali conduit à l’intervention d’autres plénipotentiaires. Dans les rangs de ceux-ci figure Iyad Ag Ghali, futur chef d’Ansar Eddine. Mohammed Akotey reste toutefois à la barre des négociations menées par le Niger. Il reste même lorsque est limogé Seyni Chekaraou, Directeur général de la DGDSE le 17 octobre 2010, même après les élections libres qui voient Mahamadou Issoufou accéder à la plus haute fonction de l’Etat. Une constance qui a probablement contribué à la libération des otages français. Et si l’on mentionne plus volontiers la DGSE française dans ce succès, la DGDSE est oubliée. En témoignent les décorations reçues par le général Lawel Chekou Koré, actuel DG du SR nigérien (Grand Croix de l’Ordre National du Niger), ainsi qu’au moins deux autres personnels de l’organisme. Quant à Mohammed Akotey, il est récompensé du titre de Commandeur de l’Ordre National du Niger…

Du "boulot" qui ne manque pas

Malgré des moyens limités (notamment dans le domaine informatique), les services de renseignement nigériens s’efforcent d’avoir toujours un coup d’avance sur les ennemis de l’État. Ils le prouvent par exemple lorsqu’ils font échec à une tentative d’enlèvement prévue à Niamey en août 2012. Le 7 du même mois, Cédric Labo Ngoyi Bungenda, Franco-Congolais volontaire pour le Jihad au Mali est arrêté à Niamey. Les SR le prouvent aussi lorsque est démantelé un réseau de trafic d’armes en septembre 2013. Selon toute vraisemblance, celui-ci impliquait des membres des FDS ; ces derniers auraient revendu des armes saisies ! Ils le prouvent encore avec l’arrestation, fin novembre 2013, de Beidari Mouloud. L’homme est suspecté d’avoir effectué des repérages à Niamey au profit d’Alhassane Ould Mohamed (alias Chebani), qui, lui, s’est évadé de la prison de la capitale en juin. Repérages probablement destinés à la préparation d’un attentat dans la capitale…  Quant à Chebani, il sera finalement arrêté à son tour, peu de temps après. Des éléments français du Commandement des Opérations Spéciales (COS) l’ "alpaguent" entre Gao et Kidal, au Mali. Le travail en amont des SR nigériens s’est révélé déterminant pour le repérer et faciliter sa capture.

En dépit de cette indéniable efficacité, l’ennemi se faufile parfois à travers les mailles du filet, avec des conséquences catastrophiques.

En dépit de cette indéniable efficacité, l’ennemi se faufile parfois à travers les mailles du filet, avec des conséquences catastrophiques. Ainsi les jihadistes parviennent-ils à organiser l’opération terroriste contre la caserne de la 224ème Compagnie Saharienne Motorisée à Agadez, et contre les installations d’extraction de l’uranium à Arlit, passant à l’action le 23 mai 2013. A Agadez, les FDS rapidement épaulées par des forces spéciales françaises viennent à bout des terroristes. Mais, l’affrontement a été violent et sanglant. Trente-cinq personnes, dont 10 terroristes périssent.

Ces résultats dans l’ensemble satisfaisants (voire excellents), le travail en "bonne intelligence" avec les services étrangers ne doivent pas masquer un autre défi et pas le moindre : celui du respect de la démocratie pour lutter contre les périls qui la menacent. Bon an mal an, les services se sont pliés aux exigences de la VIIème République, respectant la partition de cette démocratie, jouant celle du programme global de "Renaissance" initié par le président Mahamadou Issoufou. Si la corruption au sein des SR reste un problème, des progrès paraissent néanmoins avoir été accomplis. Cependant, les récentes atteintes à la liberté d’expression, à l’image de l’arrestation de journalistes le 11 février 2014, laissent supposer que les véritables ennemis ne sont plus les seuls à être épiés. Dérive qui implique un gaspillage de ressources humaines et matérielles pourtant limitées ; situation qui profite au bout du compte au terrobanditisme.

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>> Retrouver tous les articles du blog défense de Laurent Touchard sur J.A.

>> Pour en savoir plus : consulter le blog "CONOPS" de Laurent Touchard

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