Karim Wade à son procès : « Profession banquier et actuellement prisonnier politique »

Le procès de Karim Wade et de ses présumés complices devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) s’est ouvert jeudi matin à Dakar dans une ambiance électrique.

Karim Wade lors de son entrée dans le box du tribunal de Dakar, le 31 juillet 2014. © DR

Karim Wade lors de son entrée dans le box du tribunal de Dakar, le 31 juillet 2014. © DR

Publié le 31 juillet 2014 Lecture : 5 minutes.

On l’avait aperçu pour la dernière fois le 15 avril 2013, sortant de la résidence familiale du Point E, à Dakar, le visage grave, escorté par une poignée de gendarmes en civil. Quinze mois plus tard, jeudi 31 juillet, le voilà qui réapparaît dans le box des prévenus de la salle n°4 du palais de justice de Dakar, encadré par une copieuse escorte du GIGN en tenue d’intervention, pour certains encagoulés. Vêtu d’un caftan et d’une écharpe d’un blanc immaculé, Karim Wade provoque dès son apparition l’explosion de la salle d’audience, que plus de 1 500 personnes ont commencé à investir dès 8 h du matin. La clameur fait trembler les murs, tant ses supporteurs, jusque-là paisibles, semblent avoir envahi le moindre recoin de cette vaste salle d’audience assortie d’un balcon. Debout, électrisés, tous l’acclament et l’applaudissent, entonnant divers slogans : "Libérez Karim !" ; "Karim président !"…

Depuis son box, Karim Wade, debout, le visage enjoué et les bras tendus vers le ciel, fait le "V" de la victoire. Accusé par une Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) dont il conteste de longue date la compétence à le juger, l’ancien ministre savoure l’accueil que lui réservent ses supporteurs, lesquels avaient annoncé que ce procès ne serait pas celui de Karim Wade mais celui de la CREI, cette juridiction d’exception qui, selon plusieurs ONG, fait litière des droits de la défense.

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"Karim président !"

Peu après, la cour, présidée par Henri Grégoire Diop, fait son apparition et déclare l’audience ouverte. Quand il appelle pour la première fois Karim Wade à la barre, une partie du public se met à scander : "Karim président !" Le magistrat suspend une première fois l’audience, et la cour se retire. Lorsqu’elle revient, Henri Grégoire Diop avertit qu’il ne tolérera aucun débordement dans le public, lequel observe désormais le silence. À la barre, Karim Wade décline son état-civil. Quand le président lui demande quelle est sa profession, le fils de l’ancien chef de l’État répond du tac au tac: "Banquier et actuellement prisonnier politique."Le ton est donné.

Les cheveux gris, le visage livide, affaissé sur un fauteuil roulant, le bras relié à une double perfusion, Bibo Bourgi n’est pas à son aise.

Vient le tour d’Ibrahim Aboukhalil (alias Bibo Bourgi) de se présenter à la barre. Me Guedel Ndiaye, l’un des avocats de cet homme d’affaires sénégalais, français et libanais considéré comme le principal homme de paille de Karim Wade, s’avance alors vers le président pour lui présenter un certificat médical attestant que l’état de santé de son client ne lui permet pas de comparaître. Le président de la cour est d’ailleurs bien placé pour le savoir puisque deux jours plus tôt, les avocats de Bibo Bourgi plaidaient devant lui dans le cadre d’une requête visant à lui permettre de se rendre en France pour y recevoir d’urgence des soins médicaux. Souffrant d’une grave pathologie cardiaque, récemment aggravée par des complications rénales et par une maladie nosocomiale contractée à Dakar fin juin, Bibo Bourgi serait, selon ses avocats, "en danger de mort".

Mais le président Diop n’en a cure. À ses yeux, si Hosni Moubarak a comparu à son procès allongé sur un lit, pourquoi Bibo Bourgi ne pourrait-il se présenter devant la CREI ? Il délivre donc un mandat d’amener avant de suspendre à nouveau l’audience. Trente minutes plus tard, une spectatrice du procès reçoit un SMS de l’épouse de Bibo Bourgi confirmant que les forces de l’ordre se trouvent à la clinique du Cap, où elles le contraignent à les suivre.

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Lorsque l’audience reprend après une longue interruption, le public découvre enfin le visage de cet homme d’affaires qui cultive à ce point la discrétion qu’aucune photo de lui n’a jamais été publiée dans la presse. Les cheveux gris, le visage livide, affaissé sur un fauteuil roulant, le bras relié à une double perfusion, l’homme n’est manifestement pas à son aise dans une salle d’audience. Soutenu par deux infirmiers, il viendra tout de même à la barre y confirmer son identité avant de retourner s’asseoir, avant que la cour ne l’autorise, une quarantaine de minutes plus tard, à regagner la clinique du cap. Au lendemain de cette première audience, Bibo Bourgi doit être examiné par deux médecins experts mandatés par la CREI pour établir si son état de santé est compatible avec sa présence au procès et si un risque pèse sur sa vie s’il ne reçoit pas en France rapidement les soins qu’il revendique.

Passes d’armes procédurales

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Entre-temps, une jeune homme assis dans le public a provoqué un incident en accourant vers les magistrats comme s’il avait l’intention de les agresser. Rapidement ceinturé par l’imposant service d’ordre, le jeune métis a tout de même eu le temps de hurler : "Magistrats de la CREI, corrompus!" "Macky, corrompu !" Ambiance.

Entrecoupé de fréquentes suspensions, l’audience s’est poursuivie par l’appel des témoins, dont le nombre impressionnant laisse entrevoir que le procès est parti pour durer. Le président lui-même le confirme: "Tous les témoins demandés seront entendus. Le procès durera le temps qu’il faudra, nous sommes prêts à tout endurer."

Puis commencent les passes d’armes procédurales entre les avocats de la défense et le pool d’avocats de l’État du Sénégal. Les seconds font valoir qu’en vertu des textes qui régissent la profession d’avocat au Sénégal, plusieurs conseils de Karim Wade ou de l’un de ses co-prévenus, en tant qu’anciens ministres d’Abdoulaye Wade (Me El Hadj Amadou Sall, ancien garde des Sceaux; Me Souleymane Ndéné Ndiaye, ancien premier ministre; Me Madické Niang, ancien ministre des Affaires étrangères) ou de Macky Sall (Alioune Badara Cissé, ancien ministre des Affaires étrangères), ne sauraient participer à une procédure contre l’État et doivent se retirer. Les premiers leur renverront la balle en rétorquant que l’État du Sénégal n’est pas légitime à se constituer partie civile dans cette affaire.

Peu à peu, les esprits s’échauffent. À 14h, un avocat de Bibo Bourgi et l’un de ses confrères chargé des intérêts de l’État du Sénégal manquent d’en venir aux mains à la barre. Une énième fois, le président Diop, qui est apparu en partie dépassé par ce procès sensible, décrète une nouvelle suspension. L’audience devait se poursuivre à 16 h GMT par l’examen des nullités de procédure et des demandes de report du procès présentées par la défense.

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Mehdi Ba, à Dakar

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