Sénégal : carton rouge pour la gouvernance Wade

Dans le rapport annuel qu’elle vient de transmettre à Macky Sall, l’Inspection générale d’État (IGE) dresse un tableau sans concession de la dilapidation du patrimoine de l’État sous la présidence d’Abdoulaye Wade.

Abdoulaye Wade à Dakar, le 26 avril. © Youri Lenquette pour J.A.

Abdoulaye Wade à Dakar, le 26 avril. © Youri Lenquette pour J.A.

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Publié le 31 juillet 2014 Lecture : 4 minutes.

Alors que s’est ouvert, jeudi 31 juillet, le procès tant attendu de Karim Wade devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), le clan Wade se retrouve habillé pour l’hivernage. Dans un rapport de 147 pages remis le 25 juillet au président Macky Sall et rendu public cinq jours plus tard, l’Inspection générale d’État (IGE) – notamment chargée de la "prévention et de la lutte contre le gaspillage, les abus, la fraude et la corruption" et de "l’amélioration de la qualité des services publics" – offre un aperçu édifiant des pratiques en vigueur sous le double mandat d’Abdoulaye Wade (2000-2012) en matière de gestion des deniers publics et du patrimoine foncier de l’État.

Officiellement, le rapport annuel de l’IGE, une "institution supérieure de contrôle de l’ordre administratif "placée sous l’autorité directe et exclusive du président de la République, devait porter sur la période allant d’août 2013 à juillet 2014. Mais la seconde partie de son rapport, qui détaille longuement les dysfonctionnements constatés dans la "gouvernance économique et financière" de l’État et de ses divers démembrements, revient longuement sur les dossiers controversés de l’ère Wade. Un tableau édifiant.

Wade au cœur du système

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La litanie des manquements constatés par les inspecteurs généraux d’État à travers une poignée d’affaires donne en effet le tournis : violations du Code des obligations de l’administration et du Code des marchés publics, absence d’appel à la concurrence, absence de protection des intérêts de l’État, violations manifestes de la loi, non-perception de recettes fiscales, enrichissement sans cause de particuliers, négligences dans le suivi des dossiers, copieuses surfacturations, dilapidation des ressources foncières, recours abusifs aux décrets d’avance…

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Au cœur du système dénoncé par l’IGE, l’ancien président Abdoulaye Wade. Mais au fil des dossiers controversés évoqués dans le rapport, sa progéniture, elle aussi, se retrouve épinglée sans forcément être nommée. Comme sa fille Sindiély, déléguée générale adjointe du Festival mondial des arts nègres (Fesman), tenu en décembre 2010 à Dakar : un gouffre financier dont la gestion opaque conduit l’IGE à soupçonner "de fortes présomptions de fraude, de corruption et de blanchiment d’argent". Mais aussi son fils Karim, ex-président du conseil de surveillance de l’Agence nationale de l’Organisation de la Conférence islamique (Anoci), épinglé pour un usage débridé de la carte de crédit mise à sa disposition (275 millions de FCFA en deux ans) et pour diverses anomalies dans les grands travaux entrepris à l’occasion du sommet de l’OCI tenu à Dakar en mars 2008.

Concernant le grand œuvre du président Wade, le Monument de la Renaissance africaine, qui surplombe Dakar depuis l’une des collines des Mammelles, l’IGE pointe divers manquements, allant de l’absence d’appel à concurrence au conflit d’intérêts en passant par la dilapidation du patrimoine foncier de l’État. À Bambilor, où l’État a racheté les terrains du général Chevance Bertin au motif de sécuriser des villages, les inspecteurs dénoncent un scandale foncier au détriment, là encore, des finances publiques et au profit de particuliers qui auraient, à l’inverse, tiré leurs arachides du feu. Les licences d’exploitation des mines et minerais sont également pointées, ainsi que les dysfonctionnements dans le secteur de l’électricité. Sans parler de la surfacturation "exorbitant[e]" de la Maison du Sénégal à New York ou de l’allocation dispendieuse des ressources de l’État dans le cadre du projet Sécuriport… Les cadres du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition) sollicités par Jeune Afrique le 30 juillet pour livrer une réaction étaient injoignables et n’ont pas retourné nos appels.

Quelles suites judiciaires ?

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Outre les violations multiples des lois et textes en vigueur, les révélations de l’IGE révèlent une dispersion inquiétante du patrimoine (financier et foncier) du Sénégal par ceux-là même qui étaient chargés de le préserver et de le faire fructifier. Reste à savoir au bénéfice de qui. Pour l’heure, le président Macky Sall n’a pas indiqué quelles suites il entendait donner au rapport. Mais au-delà de la "coïncidence" qui a vu l’IGE rendre public ce document sulfureux quelques jours avant l’ouverture du procès de Karim Wade – ce qui sera forcément interprété par les partisans de l’ancien président et de son fils comme une volonté d’influencer la justice et l’opinion alors que la CREI fait par ailleurs l’objet de multiples critiques –, la question se pose de savoir si la voie ouverte par l’IGE ne serait pas plus conforme aux principes d’une saine justice que les errements évidents de la CREI.

Si des manquements à la loi, des détournements et des cas d’"enrichissement sans cause" ont été constatés, il revient désormais aux autorités de transmettre les découvertes de l’IGE à la justice afin que les auteurs de ces délits soient identifiés et jugés. Car pour l’heure, la procédure engagée contre Karim Wade et ses présumés complices pour enrichissement illicite ne rapporte pas la preuve, au terme d’une instruction d’un an, que ces derniers auraient effectivement détourné les deniers de l’État.
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Mehdi Ba, à Dakar

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