Palestine, Tchétchénie, Nigeria… : quand les femmes se transforment en kamikazes

Plusieurs femmes kamikazes ont commis des attentats suicides ces derniers jours dans le nord du Nigeria. Inédit dans ce pays et en Afrique, le phénomène n’est pas nouveau dans le reste du monde. De la Tchétchénie au Sri Lanka en passant par la Palestine, de nombreuses femmes ont donné leur vie pour des causes nationalistes ou religieuses.

Mirvat Massoud, 18 ans, s’est fait exploser contre les troupes israéliennes en 2006. © AFP

Mirvat Massoud, 18 ans, s’est fait exploser contre les troupes israéliennes en 2006. © AFP

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Publié le 31 juillet 2014 Lecture : 5 minutes.

Dimanche 8 juin 2014, aux alentours de Gombe, ville moyenne du nord-est du Nigeria. Les militaires sont sur les dents, à la recherche d’une femme. Selon un rapport des services de renseignement, celle-ci est membre d’un groupe lié à Boko Haram et chercherait à perpétrer un attentat contre une caserne militaire. Un groupe de soldats finit par la localiser. Au moment où ils s’approchent pour l’interpeller, une violente explosion retentit. Sous ses vêtements, la suspecte portait une ceinture d’explosifs, qu’elle a actionné plutôt que de se rendre.

Cette femme est la première kamikaze connue depuis le début de l’insurrection islamiste menée par Boko Haram dans le nord-est du pays, en 2009. Si les disciples d’Abubakar Shekau mènent (très) régulièrement des attentats-suicides contre les forces de sécurité ou les civils, jamais une femme n’avait jusqu’ici perpétré un tel acte.

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Une fillette de 10 ans avec une ceinture d’explosifs

Ce qui aurait pu rester un cas isolé s’est dangereusement intensifié un mois et demi plus tard. Entre le 27 et le 30 juillet, quatre nouvelles kamikazes – des adolescentes, ou à peine plus âgées selon des témoins – se font exploser à Kano et ses environs, visant un centre commercial, une station essence et des centres universitaires. Le bilan est lourd : une dizaine de morts et de nombreux blessés. Plus inquiétant encore, une fillette de 10 ans a été arrêtée par les services de sécurité avec une ceinture d’explosif autour de sa maigre taille…

"Il est tout à fait possible qu’elles soient d’anciennes otages, droguées pour ensuite en faire des kamikazes, décrypte Khalifa Dikwa, politologue de l’université de Maiduguri spécialiste de Boko Haram. Les femmes sont moins fouillées et passent plus facilement les contrôles de sécurité, elles ont donc potentiellement plus de facilités à dissimuler des explosifs sous leurs habits." Ce détail n’a pas échappé aux terroristes de Boko Haram, certains s’étant parfois déguisés en femmes pour commettre des attentats-suicides au cours des années passées.

Tout récent en Afrique, ce phénomène des femmes kamikazes n’est pas nouveau dans le reste du monde. La première fut la désormais célèbre Sana Khyadali, une jeune Libanaise de 16 ans, qui s’est fait exploser le 9 avril 1985 au volant d’un véhicule piégé près d’un convoi militaire israélien, tuant deux soldats de Tsahal. Depuis, elles sont des centaines à avoir, de la Palestine au Sri Lanka en passant par la Tchétchénie, mené des attaques suicides pour défendre leurs causes nationalistes ou religieuses.

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Palestine

Une Palestinienne tenant un fusil d’assaut lors d’une manifestation dans la bande de Gaza, le 4 juillet 2014. © AFP

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Le 27 janvier 2002, Wafa Idriss, infirmière palestinienne de 27 ans, déclenche sa bombe dans une artère fréquentée de Jérusalem, tuant un soldat israélien et blessant plusieurs passants. Bien que ses motivations semblent plus personnelles que nationalistes ou religieuses, la jeune femme, première à donner sa vie dans la lutte contre Israël, est rapidement désignée comme une héroïne au Proche-Orient. Depuis, les femmes kamikazes, les shahidates ("martyres", en Arabe) sont nombreuses à s’être sacrifiées pour la cause palestinienne. Selon Yoram Schweitzer, du Jaffee Center for Strategic Studies de Tel Aviv, soixante-sept Palestiniennes ont ainsi tenté de mener des attaques suicides contre les intérêts israéliens entre 2002 et 2006.

Tchétchénie

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Capture d’écran de la chaîne russe NTV montrant des séparatistes tchétchènes tuées lors d’une prise d’otages au théâtre de la Doubrovka. © AFP

Désignées en russe par le terme chakidki (l’équivalent de shahida en arabe), les kamikazes tchétchènes se sont fait connaître dans le reste du monde le 26 octobre 2002, premier jour de la vaste prise d’otages du théâtre Doubrovka, à Moscou. Parmi le commando d’une cinquantaine d’indépendantistes tchétchènes, 19 femmes, voilées, vêtues en habits de deuil noirs et harnachées d’explosifs. Toutes périront dans cette attaque sanglante, qui se solde par la mort de 169 personnes. Elles sont rapidement surnommées les "Veuves noires", la plupart ayant agi pour venger la mort d’hommes de leurs familles (maris, fils, ou frères) s’étant battus contre la tutelle russe. En une douzaine d’années, ces femmes kamikazes, au nom d’une idéologie jihadiste wahhabite utilisée par les rebelles tchétchènes, ont commis plusieurs attentats dans le Caucase ou à Moscou.

Afghanistan et Pakistan

Des femmes afghanes dans une rue de Kaboul. © AFP

Des femmes kamikazes sont aussi présentes en Afghanistan et au Pakistan. Depuis 2011, le Tehrik-e-Taliban Pakistan, l’organisation des talibans pakistanais, a revendiqué plusieurs attentats commis par des femmes en burqa. À l’époque, Omar Khalid, un des chefs talibans des zones tribales pakistanaises, affirmait qu’utiliser des femmes kamikazes relevait "d’une nouvelle stratégie". Leurs "frères" afghans du Hezb-e-Islami ont aussi recours à la gente féminine pour mener des attaques suicides. Une des plus marquantes fut celle perpétrée par une kamikaze en septembre 2012, sur la route de l’aéroport de Kaboul. Douze personnes avaient été tuées dans cet attentat organisé, selon les Talibans, en représailles au film islamophobe qui avait enflammé le monde musulman.

Sri Lanka

Des combattantes des Tigres tamouls, le 12 juillet 2007. © Reuters

Les femmes kamikazes ne sont pas que jihadistes, loin de là. Elles peuvent aussi être parfaitement laïques. C’est le cas au Sri Lanka, où les Tigres tamouls, organisation indépendantiste marxiste, ont largement intégré les femmes à leur lutte armée. Comme leurs compagnons d’armes masculins, certaines ont perpétré des attentats suicides. La première opération réussie d’une "Tigre tamoule" fut l’assassinat du Premier ministre indien Rajiv Gandhi, le 21 mai 1991, en Inde. Comme l’écrit la chercheuse Fatima Lahnait, dans un article publié sur le site du Centre français de recherche sur le renseignement, les femmes membres des Tigres tamouls recevaient "la même formation que les hommes et devaient se montrer aussi performantes". "Leur sacrifice était presque un prolongement de l’idée de la maternité dans la culture tamoule, poursuit la chercheuse. Agir en tant que bombe humaine symbolisait une offrande, comprise et acceptée pour une femme qui ne sera jamais une mère."

Kurdistan

Une femme combattante du PKK. © AFP

Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation indépendantiste kurde implantée en Turquie, Syrie, Irak et Iran, a lui aussi encouragé la participation des femmes au combat armé. Outre ses revendications nationalistes, le PKK défend aussi l’émancipation féminine dans une société traditionnellement féodale. De nombreuses combattantes ont donc grossi les rangs du PKK, certaines n’hésitant pas à mener des attentats suicides au nom de la cause kurde.

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Benjamin Roger

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