Wilson Kipsang : « Le record du monde du marathon n’est pas une fin en soi »

Vainqueur du marathon de Londres dimanche 13 avril, le recordman du monde (2 h 03 ‘ 23) Wilson Kipsang Kiprotich a assis un peu plus sa domination mondiale. Impérial tout au long de la course, le Kényan de 32 ans a dynamité le peloton de tête à 8 kilomètres de l’arrivée pour s’adjuger l’épreuve pour la deuxième fois de sa carrière. Rencontre avec un champion d’exception.

Wilson Kipsang à Berlin, après avoir décroché le record du monde du marathon, en septembre 2013. © Reuters

Wilson Kipsang à Berlin, après avoir décroché le record du monde du marathon, en septembre 2013. © Reuters

Publié le 16 avril 2014 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Malgré votre victoire, n’êtes-vous pas frustré de ne pas avoir battu votre record du monde ?

Wilson Kipsang : Non, je suis complètement heureux du résultat. J’ai fait ce qu’il fallait, je réalise le nouveau record de la course (2h04’27). J’étais vraiment prêt à courir un meilleur chrono, mais je ne pense pas que j’aurais pu aller beaucoup plus vite. Si je me suis tout de suite senti très fort dans les premiers kilomètres, les conditions ne m’auraient pas forcément permis d’approcher mon record. Déjà, les lièvres n’ont pas pu nous emmener aussi loin que prévu, et puis le vent a commencé à se faire sentir après la mi-course.

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Après votre record, en septembre 2013 à Berlin, n’était-ce pas compliqué de retrouver une nouvelle motivation ?

En fait, j’essaye de toujours garder le même état d’esprit, cette passion d’être au top. Ça me donne la motivation de travailler toujours aussi dur. Parce que je sais que détenir le record du monde, ce n’est pas une fin en soi. Je dois encore essayer de l’améliorer maintenant. Et quand je me rends sur des compétitions pour essayer de le faire, je sais qu’il y aura toujours des gars qui essayeront de me battre. Le challenge est énorme, mais ça me donne de la force pour mieux faire.

Au delà de l’amélioration du record, quels seront désormais vos objectifs majeurs  ?

Je veux gagner des médailles d’or dans les grands championnats, ce que je n’ai pas encore réussi à faire. J’en aurai l’occasion l’année prochaine lors des championnats du monde de Pékin, ou à Rio en 2016 pour les Jeux Olympiques. Je sais que j’ai les moyens de réaliser tout ça.

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Wilson Kipsang franchit la ligne d’arrivée du marathon de Londres, le 13 avril. © AFP

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À court terme, avez-vous programmé votre prochaine course ?

Je vais d’abord me laisser le temps de bien récupérer avant de redémarrer un nouveau cycle. Je reprends souvent avec un 10 kilomètres. C’est pourquoi j’irai à Manchester, le mois prochain. En juin, je participerai ensuite à un semi-marathon. Avant mon prochain marathon, que je pense courir en octobre.

Revenons quelques années en arrière… À quel moment avez-vous imaginé que vous pourriez devenir le meilleur performeur mondial ?

Avant, je n’avais jamais vraiment pensé que je pourrais battre le record du monde du marathon dans ma vie. Mais c’est peut être à cause de mon éducation, des règles que je me suis imposées. On m’a toujours dit de penser à travailler avant, et de rester concentré là-dessus. C’est ce qui permet à ce genre de rêve de se concrétiser un jour. D’où je viens au Kenya, on est conscient qu’il y a tellement d’athlètes, tellement de jeunes avec du talent… Mais souvent, certains sous-estiment les sacrifices qu’il faut faire pour devenir un champion, et ils ne réussissent jamais à réaliser leurs objectifs.

Dans votre enfance, à quel point la course faisait-elle partie de votre vie ?

Où j’ai grandi, la course était une grande partie de mon quotidien. Pour aller à l’école par exemple, on courait chaque jour. Mais à cette période, les entraînement et courses auxquelles je participais n’étaient pas forcément très relevés. En fait, ce n’est qu’au moment où j’ai fini mes études que j’ai commencé à vraiment faire de la compétition. En voyant ceux qui s’entraînaient autour de nous à la télévision, on a compris qu’il était possible d’en vivre. À condition de le vouloir et de travailler encore plus dur.

Paul Tergat a été une énorme source de motivation.

Quel athlète vous a le plus inspiré ?

Au début des années 2000, le top niveau mondial se disputait vraiment entre Haïle Gebreselassie et Paul Tergat (athlète kényan majeur des années 90-2000, NDLR). Ce dernier était vraiment l’un des nôtres, il venait du même endroit que nous. Nous le voyions s’entraîner, faire des compétitions, conduire de belles voitures, construire de belles maisons. Paul Tergat a été une énorme source de motivation.

Aujourd’hui, êtes vous devenu un modèle, vous aussi ?

Oui, je pense que certains jeunes ont été motivés en me regardant m’entraîner au milieu d’eux. Ils m’ont vu aller courir tous les matins, avant de me regarder en compétition. Assez pour se dire "moi aussi, je peux m’entraîner dur". Parce qu’ensuite, les deux ou trois qui sont performants à l’école commencent à progresser et s’imaginer qu’ils peuvent être les prochains Wilson Kipsang, ou Emmanuel Mutaï. Avec cette motivation, ils développent une "positive attitude" à travers le sport. Surtout que nous sommes très disponibles. Parfois, nous sommes même invités à rencontrer des enfants dans les écoles. C’est très important qu’ils aient l’opportunité de nous écouter, de savoir d’où l’on vient, et de connaître notre parcours.

>> Lire "Kenya : les secrets des hommes les plus rapides du monde"

Avant de devenir professionnel, vous avez intégré la police kényanne en 2003. Que retenez-vous de cette période ?

C’était une très bonne chose pour moi puisque cela me donnait les capacités d’affronter ce défi d’un point de vue financier. Cela m’apportait un salaire pour financer mon équipement, mes déplacements… Cela m’a permis de m’entraîner au mieux, et d’atteindre mes premiers objectifs, avant de devenir professionnel, quatre ans plus tard.

Vous avez ensuite attendu 2010, à 28 ans, pour participer à votre premier marathon, à Paris. Pourquoi ?

Je ne voulais pas en faire un trop tôt. C’est ce que j’ai appris avec l’expérience de Paul Tergat qui avait pris son temps. Il a d’abord passé de nombreuses années sur cross-country, 5 000m, 10 000m, semi-marathon avant d’en venir aux 42,195 kilomètres sur lesquels il avait réussi à battre le record du monde. Comme lui, je ne voulais pas brûler les étapes.

Au Kenya, depuis combien de temps êtes-vous installé à Iten, où se trouvent les camps d’entraînement des meilleurs coureurs du monde ?

J’y suis arrivé en 2006, et j’y suis toujours installé avec ma famille aujourd’hui. Mais nous allons souvent d’un camp à l’autre dans le coin, en fonction de nos groupes et partenaires de course. Il m’arrive notamment de courir avec Geoffrey Mutaï, Emmanuel Mutaï, Dennis Kimetto, ou encore Wilson Chebet. C’est une bonne chose de nous entraîner ensemble pour progresser.

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Propos recueillis par Bruno Poussard et Quentin Ruaux, à Londres
 

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