Burkina Faso : Zongo et Sankara, les fantômes chahuteurs de Compaoré

Au moment où le régime du président burkinabè, Blaise Compaoré, est fragilisé, deux assassinats officiellement non élucidés remontent à la surface : ceux de Thomas Sankara et de Norbert Zongo. La justice du Burkina Faso va-t-elle convaincre de sa bonne foi ?

Blaise Compaoré ne doit pas beaucoup fermer l’œil ces derniers temps. © Glez/J.A.

Blaise Compaoré ne doit pas beaucoup fermer l’œil ces derniers temps. © Glez/J.A.

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Publié le 31 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

Bien qu’il se mure dans un silence de comateux, Blaise Compaoré ne doit pas beaucoup fermer l’œil. Après 26 ans de pouvoir, le sommeil du président burkinabè est sans doute perturbé par une défiance politique tout à fait inédite. À l’heure où le principal parti qui le soutient – le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) – souffre d’une hémorragie de militants de premier plan, deux dossiers judiciaires se rappellent au mauvais souvenir du premier magistrat du Faso. Et réveillent concomitamment deux fantômes : celui d’une plume-à-gratter et celui d’un frère d’arme iconique qui viennent chatouiller les orteils du “beau Blaise”.

28 mars 2014, 15 ans après l’assassinat de l’homme de presse burkinabè Norbert Zongo, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples évoque "un certain nombre de carences dans le traitement de cette affaire par la justice nationale". Saisie par les avocats des héritiers du journaliste d’investigation, elle vient de rendre un long arrêt. Le juge Gérard Niyungeko indiquait vendredi 28 mars que la justice burkinabè n’avait pas fait ce qu’il fallait pour identifier et présenter devant la justice les auteurs de l’assassinat, ce qui pourrait être considéré comme une violation des traités internationaux qui garantissent la protection des droits de tout citoyen. En cause : des problèmes de timing dans les procédures et un manque d’empressement à explorer plusieurs pistes tracées, à l’époque, par la Commission d’enquête indépendante. Norbert Zongo enquêtait sur l’assassinat du chauffeur du frère du président Compaoré. Est-il dans l’intérêt du régime burkinabè de laissait penser que ceci pourrait expliquer cela ?

En avril 2006, déjà, le Comité des droits de l’homme de l’ONU demandait à l’État burkinabè de garantir aux familles une justice impartiale.

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Hasard du calendrier, une autre juridiction doit s’exprimer ce 2 avril. La Chambre civile du tribunal de grande instance de Ouagadougou doit annoncer son verdict sur une demande d’exhumation du corps de Thomas Sankara, président du Burkina Faso disparu lors d’un coup d’État qui porta au pouvoir l’actuel locataire du palais. Le 15 octobre 1987, quinze responsables de la "Révolution démocratique et populaire"  – dont son président – auraient été enterrés au cimetière de Dagnoën, sans que leurs familles puissent les identifier. Les ayants droit de Sankara souhaitent que leurs dépouilles soient expertisées, afin que l’on connaisse avec certitude leurs identités et que l’on infirme éventuellement la "mort naturelle" officiellement évoquée sur les actes de décès. En avril 2006, déjà, le Comité des droits de l’homme de l’ONU demandait à l’État burkinabè de garantir aux familles une justice impartiale. Celle-ci commence par la preuve des enterrements…

Portée symbolique

Bien sûr, les militants qui commémorent, chaque 13 décembre, l’assassinat de Norbert Zongo se font peu d’illusion sur la possibilité d’une issue judiciaire, quelques années après le décès du seul inculpé dans cette affaire, l’ancien responsable de la garde présidentielle, Marcel Kafando. Bien sûr, peu d’hypothèses accréditent la thèse selon laquelle le corps de Thomas Sankara ne se trouverait pas à Dagnoën. Mais les deux rebondissements de cette semaine ont une portée symbolique certaine. Zongo et Sankara sont les deux icônes de la jeunesse burkinabè, majoritaire dans le pays. La reconnaissance du mauvais traitement judiciaire de la disparition de l’un et la puissance dramaturgique de l’exhumation de l’autre galvaniseraient une population qui se surprend, depuis une année, à imaginer la fin du régime actuel.

>> Lire aussi : Les fantômes de Thomas Sankara

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Blaise Compaoré n’est plus éligible, si l’on s’en tient au verrou constitutionnel justement élaboré suit à l’émotion suscitée par la mort de Zongo. Le président est pris dans un étau, oppressé entre la loi fondamentale qui lui indique la sortie et la pression d’une opposition requinquée, capable de compromettre sa modification. Il n’avait vraiment pas besoin qu’on ressuscite des fantômes ; ni Sankara, le chantre de l’intégrité burkinabè, ni Zongo, le porte-voix des sans-voix. Ultime énigme : des perspectives judiciaires dans le ciel de Compaoré sont-elles de nature à lui faire lâcher le pouvoir, comme convenu, ou à s’accrocher à son immunité présidentielle ?

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Damien Glez

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