France : l’ascension des églises évangéliques

Comme l’Afrique, le vieux continent connaît une montée en puissance des églises évangéliques. En France, les messes gospel et les prêches enflammés des pasteurs séduisent toujours plus de fidèles, parmi lesquels on trouve de nombreux convertis.

Il ya aujourd’hui 460 000 protestants évangélistes en France. © AFP

Il ya aujourd’hui 460 000 protestants évangélistes en France. © AFP

Publié le 27 janvier 2014 Lecture : 6 minutes.

En ce 29 décembre, au Centre du réveil chrétien (CRC), ils sont au moins deux cents. "Ils" ce sont les fidèles de cette église évangélique, pentecôtiste, établie dans un ancien supermarché, à Saint-Denis, en région parisienne. Accueillis, dès 09h30, par des hôtesses chargées de les débarrasser de leurs manteaux et de les placer dans une salle de culte gardée par deux colosses en uniforme. "Ils" ce sont des Français originaires d’Afrique ou des Antilles pour la grande majorité,  mais aussi, des personnes comme Yoann du Nord-Pas-de-Calais ou Gwen de New York. Venus en famille, en couple, ou seuls, "Ils" ont pour la plupart moins de trente ans et sont sur leur trente et un : costumes pour les hommes, coiffures et maquillages soignés chez les femmes.

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"Au début, ce qui m’a séduite dans cette église, c’est surtout sa chorale, Total praise. Je suis une fan de gospel", admet Anaïs, 26 ans, Française d’origine congolaise, qui vient au CRC depuis 2007.

La Chorale, c’est par elle que tout commence ce matin-là, après une brève introduction du pasteur en guise de "connexion à Dieu". Vêtus d’une tunique turquoise et argentée, les choristes entrent en scène. En cinq secondes à peine, ils réveillent l’auditoire et déroule leur répertoire : de la douce "Ouvre les yeux de ton cœur" à la très reggae "Our God is an awesome God ("Notre dieu est un Dieu génial)" en passant par la presque rapée "No matter what (Qu’importe)" ou la très zouk "En Christ je peux toutes choses". Les paroles sont projetées sur un mur. Pour les néophytes surtout, car la plupart des fidèles les connaissent par cœur… "Est-ce que vous souhaitez louer le nom du seigneur aujourd’hui ? On ne parle pas de Mahomet, ni de Johnny Halliday, mais de Jésus !", s’exclame alors l’un des choristes. Et à la salle de répliquer avec ferveur : "Oui !"

Les églises évangéliques ne sont pas des lieux austères: on y trouve de la chaleur, une communauté.

"On associe généralement les églises à des lieux austères. Les églises évangéliques sont tout le contraire : on y trouve de la chaleur, une communauté, explique Anaïs, à qui il arrive souvent de rester "de 10h à 22 heures" à l’église, car "le temps y file si vite".

Des protestants évangéliques, comme Anaïs, il n’y en a jamais eu autant en France : 460 000 (soit un tiers des 1,7 million de protestants français), rien qu’en métropole. Ils n’étaient que 50 000 en 1950 (soit + 90 % en 60 ans). "L’évangélisme existe en France depuis le 16ème siècle, même s’il a toujours été très minoritaire. Mais à partir des années 70, la multiplication d’églises évangéliques afro-antillaises, lui a donné un nouvel élan", explique Linda Caille, journaliste et auteur de "Soldats de Jésus. Les évangéliques à la conquête de la France"* Si bien que, "dans le paysage religieux français actuel, globalement morne – Islam mis à part – les évangéliques sont les seuls à voir leur effectif croître sensiblement."

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L’Hexagone compte aujourd’hui près de 2 100 églises évangéliques (contre 770 en 1970), selon les chiffres du Conseil national des évangéliques de France (CNEF). "Aujourd’hui, il y a une nouvelle église évangélique tous les dix jours  en France, déclare Daniel Liechti, vice-président du CNEF. Et nous avons lancé des initiatives, comme la formation d’implanteurs d’églises, qui porteront leurs fruits à moyen terme." Formés par "la voie classique, théologique", ces derniers ont la mission de faire passer le ratio actuel d’une église évangélique pour 30 000 habitants à celui d’une pour 10 000.

48% de convertis

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Selon un sondage Ifop de juillet 2012, 48 % des évangéliques français sont des convertis, en majorité des anciens catholiques et des personnes sans religion. Mais les évangéliques séduisent aussi chez les musulmans… Saïd Oujibou, pasteur franco-marocain converti au christianisme depuis vingt-trois ans, dont la paroisse, la Casbah, se trouve dans le très cossu 16e arrondissement de Paris, constate : "Les anciens musulmans que je reçois se sont convertis tout seul et ils sont de plus en plus nombreux." Et d’ajouter : "Ils ont eu une révélation, à travers un songe, une apparition, une crise mystique ou une lecture de la Bible." Pour Saïd Oujibou, ce qui plait particulièrement dans l’évangélisme, c’est avant tout "la relation de proximité qu’il permet avec Dieu" et "l’importance accordée à la vie de Jésus".

Retour, à Saint-Denis. L’évangéliste Bob Bengama est sur scène et exhorte les croyants à faire "la différence entre la réalité et la vérité". Entre lecture de la bible, exemples de la vie quotidienne et petites blagues, il tient en haleine l’assistance. Certains l’enregistrent sur leur portable, d’autres vont à la pêche aux versets sur leur Ipad. Il rappelle aussi l’importance de participer financièrement à la vie du CRC, avec une logique quelque peu surprenante… "Dans ta réalité, quand tu regardes tes finances, tu te dis parfois que si tu donnes, tu vas être mal (rires dans la salle) ! A ce sujet, je donne souvent un exemple à mon épouse : quand tu es en train de te noyer, si on te rajoute un peu d’eau, cela ne va pas plus te noyer !"

Le pasteur Michel lui succède, pour un long prêche consacré à la différence entre chrétiens tièdes et vrais chrétiens. "Les chrétiens sont trop souvent dans le compromis, dit-il. Soyez simples ! Si vous voulez servir Dieu, servez-le franchement ! L’évangile s’expérimente au quotidien, se vit." Histoire de rappeler que sous son apparence cool, festive, moderne, l’église évangélique reste foncièrement rattachée aux écrits millénaires. "Chez les évangéliques français, qui sont très influencés par leurs homologues américains, les convictions sont vissées, explique Linda Caille. On ne plaisante pas sur l’éthique, la famille, la sexualité hors mariage etc… Il y a un réel conservatisme."

Et pourtant, ce conservatisme séduit au sein de la jeunesse – la moitié des évangéliques français a moins de 35 ans –, toutes catégories sociales confondues. Même si une forte proportion des églises évangéliques se trouvent, dans le département le plus pauvre de France, en Seine-Saint-Denis, et que leur percée dans les milieux Roms et Tsiganes est édifiante.

"C’est dans l’ADN des évangéliques de se développer, car nous trouvons anormal que des gens n’aient pas accès au Christ, qui est seul sauveur", expliquait récemment Daniel Liechti. Les évangéliques français, très pratiquants – ils sont 60 % à assister à un culte chaque semaine et 74 % à lire la Bible quotidiennement – parlent volontiers de leur foi et ont fait du prosélytisme une spécialité.

"Seigneur agit sur nos finances !"

Nombre d’entre eux mettent aussi la main à la poche. Au CRC d’ailleurs, le culte touche à sa fin. Une des responsables, chargé de passer les annonces du jour rappelle aux fidèles qu’ils doivent payer leur place pour le dîner de la Saint-Sylvestre (50 euros par personne) et respecter leurs promesses de dimes. "Nous étions partis sur une base de 500 euros par personne, mais si vous ne pouvez pas donner cette somme et que vous ne pouvez donner, par exemple, que 100 euros, il faut le faire et respecter votre parole. Cela nous aidera, à payer ce lieu, jusqu’en juin prochain et à rester dans la dignité, pour pas être mis dehors comme de vulgaires marchands de tapis." Sur fond de prière, "Seigneur, c’est toi qui agit sur les cœurs, Seigneur agit sur nos finances !", ils seront ainsi nombreux à se lever et à aller tour à tour déposer leur contribution dans des corbeilles placées au milieu de la salle. Le paiement est possible par chèque, espèces ou carte bleue.

Pour les spécialistes, les églises évangéliques qui abordent aussi ouvertement l’argent sont "minoritaires" en France, mais elles existent, indéniablement. Anaïs, la jeune assistante juridique, donne chaque mois 10 % de son salaire au CRC. Pour elle "c’est une participation. Il s’agit simplement d’ajouter sa pierre à un mouvement auquel on adhère", dit-elle, même si elle trouve cela, "un peu usant parfois".

* Editions Fayard, 2013.

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