Cissé, Wade, Banda… Les bons perdants des élections en Afrique

Reconnaître sa défaite à la présidentielle comme l’a fait le Malien Soumaïla Cissé, le 12 août, n’est pas un exercice facile dans les démocraties africaines. Si certains candidats malheureux sur le continent ont souvent provoqué des violences post-électorales, d’autres, rares, sont restés beaux joueurs. Tour d’horizon.

Bulletin du second tour de la présidentielle malienne du 11 août 2013. © AFP

Bulletin du second tour de la présidentielle malienne du 11 août 2013. © AFP

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Publié le 16 août 2013 Lecture : 4 minutes.

En Afrique, les élections ne sont pas toujours libres, démocratiques ni transparentes. Ici et là, on rapporte souvent des "fraudes massives" ou, avec un peu de chance, des  "irrégularités" qui ne sont pas de nature à inverser l’ordre des résultats proclamés par les commissions électorales dites indépendantes.

Dans ces conditions, la suite des événements dépend souvent du comportement du candidat malheureux. "Ou il assume sa défaite et tente de préserver la paix sociale – cela n’exclue pas des recours légaux ; ou il conteste la victoire de son rival et appelle à des manifestations dans les rues et le pays peut basculer dans les violences post-électorales [RDC en 2006, Kenya en 2007 ou encore Côte d’Ivoire en 2010, ndr]", explique Mwayila Tshiyembe, directeur de l’Institut panafricain de géopolitique de Nancy.

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"Esprit républicain" malien

Dans un continent où l’on ne jure souvent que par "j’y suis, j’y reste", l’histoire des démocraties africaines ne compte pas un grand nombre de bons perdants. Ils sont rares ceux qui reconnaissent leur défaite, à l’instar de Soumaïla Cissé, le 12 août, qui a même été jusqu’à se rendre au domicile de son rival, Ibrahim Boubakar Keïta (IBK), pour le "féliciter de sa victoire", avant même la publication des résultats du second tour de la présidentielle malienne. "Un geste splendide et républicain que toute le monde a salué", souligne le chercheur.

Ce n’est pas une première pour ce technocrate issu de l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain (Adema). Déjà en 2002, face à Amadou Toumani Touré (ATT) au second tour du scrutin présidentiel, "Soumi" avait pris son téléphone pour appeler son adversaire et le féliciter. Un "esprit républicain" suivi cinq ans plus tard, en 2007,  par IBK lorsque ce dernier échoue lui aussi devant ATT.  Nous sommes "convaincus qu’il s’est passé des choses anormales, injustes, à l’occasion de la présidentielle (…)", pourtant "nous n’allons pas dire ‘monsieur Amadou Toumani Touré, mais ‘monsieur le président de la République’", déclare alors celui qui va devenir le nouveau chef d’État du Mali dans quelques semaines, appelant ses électeurs à reconnaître le président réélu.

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Ces autres dignes perdants

Les politiques maliens ne sont pas pour autant les seuls à s’être distingués dans ce domaine. "Ils sont plutôt sur les traces des démocraties cap-verdienne et botswanaise où les élections sont perçues comme une compétition que l’on peut gagner ou perdre, sans entraîner des violences", souligne Mwayila Tshiyembe. C’est d’ailleurs pour "sa détermination et son engagement sans faille pour la démocratie" que l’ancien président du Cap-Vert, Pedro Pires, a reçu en 2011 le dernier prix Mo Ibrahim.

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Sur le continent, quelques candidats malheureux ont eu également, ces dernières années, l’élégance de reconnaître leur défaite, malgré certaines imperfections du processus électoral. On peut citer entre autres le Ghanéen Nana Akufo-Addo qui l’a fait en 2008. Pas pour la dernière présidentielle de 2012 en revanche, dont il conteste les résultats devant la Cour suprême. Au Niger, l’ancien Premier ministre Seïni Oumarou a, lui, fait preuve de fair-play lorsque, battu en 2011 par l’opposant historique Mahamadou Issoufou, il présente "[ses] sincères félicitations ainsi que [ses] vœux de bonne chance et de succès" au futur président, dès la publication des résultats provisoires par la Commission électorale nationale indépendante.

Abdoulaye Wade était déjà secoué comme un cocotier par les pressions internes.

Il en est de même du président sortant zambien Rupiah Banda qui avait appelé au calme, après sa défaite, le 23 septembre 2011, face au chef de l’opposition, Michael Sata dit "le roi Cobra". Idem pour le Sénégalais Aboudalaye Wade qui n’avait pas hésité, le 25 mars 2012, à décrocher son téléphone pour appeler son rival, Macky Sall, arrivé largement en tête du second tour de la présidentielle. Une sortie honorable tout de même pour le "Vieux" qui avait pourtant tenté de s’accrocher au pouvoir. Du coup, "son geste n’égale pas celui de Soumaïla Cissé, nuance Mwayila Tshiyembe. Wade était déjà secoué comme un cocotier par les pressions internes, alors que Cissé, lui, n’a subi aucune pression pour poser son geste".

Fin décembre 2012, Julius Maada Bio, candidat du Parti du peuple de Sierra Leone (Slpp), principal parti d’opposition, n’avait, lui, pas longtemps tergiversé pour reconnaître la réélection d’Ernest Koroma. Malgré ses réserves émises sur les résultats publiés – 37,4% pour lui contre 57,7% pour son adversaire -, l’ex-militaire avait affirmé que "la position du président Koroma n’était pas sujette à discussion". Une déclaration visant à apaiser les esprits "dans l’intérêt du développement, du progrès, de la démocratie et de la paix en Sierra-Leone", avait-il indiqué.

"Une autre époque"

L’Histoire retiendra également les cas Mathieu Kérékou au Bénin, Denis Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville et Kenneth Kaunda en Zambie. Ces trois dirigeants africains d’après les indépendances ont un point en commun : tous ont reconnu leur défaite aux scrutins présidentiels dans les années 1990.

"Nous sommes là à une autre époque. Le vent de la démocratie souffle et les régimes construits sur le modèle du parti-unique s’effondrent. Ces véritables animaux politiques n’avaient donc pas d’autre choix que celui de laisser passer la vague et de tenter de rebondir au bon moment", décrypte notre chercheur. Battu en 1991, Mathieu Kérékou se retire mais revient en 1995 pour remporter la présidentielle et être réélu en 2001. Même parcours (ou presque) pour Denis Sassou Nguesso, arrivé troisième au scrutin de 1992, qui accepte de rendre le tablier, avant de revenir aux affaires cinq années plus tard… par les armes.

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Par Trésor Kibangula

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