RDC – Sultani Makenga : « Plus de fédéralisme peut aider à résoudre les problèmes du Nord-Kivu »

Le chef militaire de la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23), le général Sultani Makenga, a accordé à « Jeune Afrique » sa première interview depuis la prise de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, le 20 novembre. Cet entretien exclusif a été réalisé dimanche 25 novembre.

Sultani Makenga : « Au départ, nous ne voulions même pas prendre Goma. » © Phil Moore/AFP

Sultani Makenga : « Au départ, nous ne voulions même pas prendre Goma. » © Phil Moore/AFP

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 26 novembre 2012 Lecture : 5 minutes.

Mis à jour le 27/11 à 9h40.

Jeune Afrique : À l’heure où nous parlons, quelle est l’avancée du M23 ?

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Sultani Makenga : Nous sommes à Mushaki sur la route du Masisi et nous sommes à la limite du Nord et du Sud-Kivu. La ville de Minova est toujours aux mains des FARDC [Forces armées de la République démocratique du Congo, armée régulière, NDLR].

Quel est votre objectif ?

Notre but est d’arriver à la paix totale. Le gouvernement de Kinshasa divise et discrimine, surtout les rwandophones, et depuis longtemps. Il ne travaille pas à la réconciliation. Lorsque, en tant que militaires, nous servions le gouvernement, nous étions déconsidérés et harcelés. Nous sommes sortis du rang pour dénoncer ce qui n’allait pas. Plutôt que d’écouter, le gouvernement nous a poursuivis pour nous exterminer.

Est-ce qu’une solution peut-être trouvée ?

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Si la communauté internationale pouvait vraiment comprendre la situation de ce pays, peut-être que les choses pourraient changer. Mais une solution ne peut pas être trouvée avec le gouvernement de Kinshasa comme seul interlocuteur.

Pensez-vous que le président congolais Joseph Kabila doit quitter le pouvoir ?

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Je ne sais pas. S’il se décide à devenir le président de tous les Congolais, nous n’aurions plus de problèmes avec lui. Cela pourrait fonctionner.

Vous avez pris part à toutes les rébellions de l’Est de la RDC. Elles ont toutes fini par reprendre les armes après des négociations. Est-ce que vous croyez vraiment à une solution négociée ?

C’est presque un génocide qui se préparait ici au Congo.

Nous voulons la paix. Nous n’avons pas pris les armes pour prendre les armes. Nous l’avons fait parce que nous avons vu que les autres solutions avaient échoué. Vous pouvez continuer à dialoguer, mais quand vous êtes harcelés, que l’on vous arrête et que l’on vous tue, vous vous réfugiez là où vous pouvez survivre. C’est presque un génocide qui se préparait ici au Congo. Maintenant que nous en sommes arrivés à la situation actuelle, peut-être que nous allons enfin pouvoir trouver une solution.

Êtes-vous toujours proche de Laurent Nkunda ?

J’étais son chef d’état-major adjoint dans le CNDP [Congrès national pour la défense du peuple, rébellion menée par Laurent Nkunda, NDLR]. Il est aujourd’hui au Rwanda. Tout le monde disait qu’il était la cause de l’insécurité dans l’Est du Congo et qu’il fallait donc l’écarter pour permettre un changement. Je pense que tout le monde voit les choses autrement aujourd’hui.

Êtes-vous toujours en contact avec lui ?

Non.

Bosco Ntaganda, l’ancien général devenu rebelle, continue-t-il de jouer un rôle au sein du M23 ?

Le M23 n’est pas avec le général Bosco. C’est un mensonge que d’affirmer le contraire. Il est recherché par la Cour pénale internationale (CPI). Nos revendications ne sont pas liées à lui. La question du général Bosco ne fait pas partie de nos revendications.

Savez-vous où il se trouve aujourd’hui ?

Je n’en suis pas sûr, mais je crois qu’il se trouve dans les montagnes du Masisi [Nord-Kivu, NDLR]. Je ne suis pas en contact avec lui.

Le M23 pourrait-il décider de l’arrêter ?

Nous ne sommes pas la police de la CPI ! Encore que si on nous le demandait…

Le Rwanda soutient-il le M23 ?

Le Rwanda soutient le gouvernement de Kinshasa.

[Rires] Non, le Rwanda soutient le gouvernement de Kinshasa. La preuve : lorsque nous avons pris Rutshuru, nous sommes tombés sur un bataillon des Forces spéciales rwandaises qui étaient avec les FARDC. Lorsqu’un rwandophone fait quelque chose, on l’associe toujours au Rwanda. Mais le gouvernement congolais sait que c’est faux.

Avez-reçu le soutien de Congolais réfugiés au Rwanda ?

Oui. Notre guerre est faite pour eux, pour leur permettre de rentrer au pays. Nos petits frères qui sont dans les camps de réfugiés, pourquoi ne viendraient-ils pas nous appuyer ?

Combien sont-ils ?

Beaucoup, parce que c’est leur guerre ! Vous croyez qu’ils sont contents d’être mendiants dans des camps de réfugiés ?

Au cours de vos opérations, des hommes du M23 ont-ils pénétré au Rwanda ?

Non.

Et vous ?

Non. C’est encore un mensonge de Kinshasa. Lorsque j’ai quitté les FARDC en mai, j’ai quitté Bukavu en bateau. Je suis passé à Nzulu, à 20 kilomètres de Goma. Puis je suis monté vers Nyagongo, Kibumba et enfin Runyoni, en passant par Mikeno.

Le M23 est accusé de recruter de manière forcée, notamment des enfants soldats. Que répondez-vous ?

Ces accusations (de recrutement d’enfants soldats) sont fausses. L’enquêtrice de HRW a été corrompue par Kinshasa.

Ces accusations sont fausses. C’est l’ONG Human rights watch (HRW) qui le prétend. Nous avons demandé à une commission mixte de procéder à des vérifications, parce que nous savons que l’enquêtrice de HRW a été corrompue par Kinshasa. À ce jour, cette commission n’a pas été mise en place.

Les États-Unis vous ont placé sur liste noire, en vous accusant d’exactions et de non-respect de l’embargo sur les armes…

Alors il faut mettre Kabila sur liste noire parce que, d’une certaine manière, c’est lui qui me ravitaille ! Vous avez vu les armes dans le port de Goma ? À chaque fois qu’ils nous attaquent, nous récupérons leurs armes et leurs munitions.

Combien d’hommes avez-vous à votre disposition aujourd’hui ?

C’est un secret militaire mais ils sont nombreux.

Plusieurs milliers ?

Beaucoup.

Joseph Kabila a-t-il essayé de vous dissuader de lancer le M23 ?

Kabila est habitué à corrompre les gens. Il m’a proposé de l’argent, des maisons, des véhicules, des grades, des postes de haut-niveau.

Oui, lorsque j’étais encore du côté de son gouvernement. Il est habitué à corrompre les gens, donc il a essayé. Peut-être voulait-il m’acheter pour me faire oublier les accords du 23 mars [2009, qui a débouché sur l’intégration à l’armée nationale des anciens rebelles du CNDP, NDLR].

Que vous a-t-il proposé ?

De l’argent, des maisons, des véhicules, des grades, des postes de haut-niveau.

Quelle solution voyez-vous à long terme ? Est-ce que vous réclamez l’autonomie ?

Pas l’autonomie. Mais davantage de fédéralisme peut aider à résoudre les problèmes du Nord-Kivu.

Est-ce que vous accepteriez de réintégrer l’armée congolaise ?

Le Congo n’a pas de véritable armée !

Pourriez-vous réintégrer les FARDC ?

Encore une fois, les FARDC ne sont pas une armée. Tout est à reconstruire.

Pourriez-vous y contribuer ?

Oui, à tous les postes où on me sollicitera.

Le président ougandais, Yoweri Museveni, a dit qu’il voulait mener une médiation entre le M23 et Kinshasa. Y êtes-vous favorable ?

Museveni a l’avantage de connaître la réalité du Congo. S’il est médiateur, cela ne nous pose pas de problème.

Samedi, le sommet de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), à Kampala, a redemandé au M23 de quitter Goma avant l’ouverture des négociations. Allez-vous quitter Goma ?

Quitter Goma n’est pas un problème. Au départ, nous ne voulions même pas prendre la ville. Nous sommes ici parce que le gouvernement nous a cherchés. Si c’est ce qui peut amener la paix au Congo, le M23 pourrait accepter de quitter Goma.

Mais l’ultimatum expire ce lundi 26 novembre…

Cette date ne nous engage pas : notre représentant [le pasteur Runiga] n’était pas présent lors des négociations.

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Propos recueillis par Pierre Boisselet, envoyé spécial à Goma (@PierreBoisselet)

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