Biens mal acquis : à qui profite l’ingérence ?

Gaston Kelman est écrivain et président de l’association Simbaa, pour la dignité de l’Afrique.

Publié le 23 juillet 2012 Lecture : 3 minutes.

« Bien mal acquis, trésors accumulés par les dictateurs africains au détriment de leurs peuples ». C’est par cet exorde comminatoire que le journaliste de TF1 a entamé dans le Journal télévisé de 20 heures du 17 juillet 2012, le sujet sur… Le prix Unesco-Guinée Equatoriale pour la recherche en sciences de la vie, financé à hauteur de 3 millions de dollars par la république de Guinée équatoriale. Cette palabre rejoint toutes celles initiées chaque fois qu’une nation africaine contemporaine a voulu s’insérer dans l’histoire de l’humanité par une œuvre universelle.

Il en a été de même pour la Basilique de Yamoussoukro et le monument de la renaissance africaine à Dakar. Le pays serait trop pauvre pour se permettre des œuvres gigantesques alors que le seuil de pauvreté, la santé, l’éducation… L’on pourrait se demander dans quelles conditions sanitaires et sociales des populations, les édifices aujourd’hui patrimoines de l’humanité – pyramides d’Égypte, Taj-Mahal, château de Versailles, tombeau des Askia, l’Acropole – ont été édifiés.

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L’affaire est encore plus passionnante pour les biens mal acquis. Pierre Péan, fin connaisseur de l’Afrique dont la liberté de ton et la pertinence des analyses sont indéniables, s’offusque de voir que l’évolution de l’Afrique ne semble pouvoir être analysée par les observateurs extérieurs que sous la lorgnette de la corruption. Plus grave encore, les nouveaux missionnaires si préoccupés du salut de l’Afrique, dénient aux populations toute capacité à s’occuper d’eux-mêmes, à gérer leurs intérêts. Et s’ils trouvent sur place des thuriféraires prêts à faire « la voix de son maître », ils ignorent avec suffisance la lame de fond qui déborde de la jeunesse outrée par l’interventionnisme et les ingérences tous azimuts de la société française à tous les niveaux.

Le grand soutien persistant à Laurent Gbagbo en est l’une des manifestations les plus puissantes. Toute la jeunesse africaine – le Cameroun en tête – a condamné ce qu’elle a jugé être une incursion dans les affaires ivoiriennes, au mépris des Ivoiriens. C’est encore du Cameroun que part l’association des Juristes africains pour la bonne gouvernance. Qui prend fait et cause contre le procès dit des biens mal acquis et pour sa première victime, Teodoro Obiang Nguema. Ils dénoncent le mandat d’arrêt international lancé contre lui. Les arguments juridiques semblent solides. Je ne m’engage pas dans leur interprétation, tout en partageant pleinement leur lutte contre les ingérences. Ils exigent une bonne gouvernance de l’Afrique, mais condamnent l’ingérence dans les affaires africaines. Leur credo, que martèle son jeune président, Simon Serges Kack Kack : « contribuer au rétablissement de la dignité de notre continent ». En clair, laissez-nous nous occuper de nos problèmes

L’Afrique de papa, faite de l’arrogance et du paternalisme français – gestion de la crise ivoirienne, ingérence missionnaire et salvatrice des ONG, Arche de Zoé – vit ses derniers instants.

Jean-Michel Severino a écrit Le temps de l’Afrique. Pour Hervé Bourges, L’Afrique n’attend pas ceux qui ne comprennent pas que les choses changent et que la jeunesse exige que les nations du Golfe de Guinée soient traitées comme celles du Golfe persique. Et l’on repense à Stephen Smith qui nous expliquait Comment la France a perdu l’Afrique, la crise ivoirienne étant « à la présence française en Afrique, ce que la prise de la Bastille fut à l’ancien régime : la fin ».

Le citoyen français originaire de l’Afrique que je suis, ne saurait se résoudre à accepter cette fin. L’Afrique de papa, faite de l’arrogance et du paternalisme français – gestion de la crise ivoirienne, ingérence missionnaire et salvatrice des ONG, Arche de Zoé – vit ses derniers instants. Et nous nous en félicitons. Un autre type de relation est possible, basé sur un héritage commun, faite de respect mutuel. La francophonie créée par Senghor, en est le socle.

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Mais un grand préalable est indispensable pour museler ceux qui pensent que leur ingérence est légitimée par la sempiternelle main tendue de l’Afrique pour le moindre puits sahélien, le plus petit dispensaire rural ou la minuscule électrification photovoltaïque villageoise. Afrique, ta dignité passe par la fin de cette dépendance de type postcolonial.

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