« Sombres bourreaux » : Serge Bilé révèle l’histoire des Noirs collaborationnistes

Serge Bilé ne s’en cache pas : ce qui le passionne, c’est l’histoire des Noirs. Il aime la déterrer, l’explorer, la décrypter…. Après « Noirs dans les camps nazis », le journaliste franco-ivoirien s’est attaqué à l’autre face de la pièce : celle des Noirs collaborationnistes. Ainsi est né « Sombres bourreaux ». Interview.

En 1942, les guadeloupéens L.-J. Eugène et Norbert Désirée, vêtus de leur uniforme allemand. © DR

En 1942, les guadeloupéens L.-J. Eugène et Norbert Désirée, vêtus de leur uniforme allemand. © DR

Publié le 4 décembre 2011 Lecture : 4 minutes.

Intitulé "Sombres bourreaux" et paru aux éditions Pascal Galodé, le nouvel ouvrage de Serge Bilé retrace le chemin tortueux emprunté par des Africains, Antillais, Guadeloupéens, Réunionnais, Surinamiens et autres, aux côtés des Allemands pendant la seconde guerre mondiale. Des recherches longues sur des personnages dont les archives ont gardé peu de traces.

Jeuneafrique.com : Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

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Serge Bilé : C’est en travaillant sur Noirs dans les camps nazis que j’ai découvert les premières allusions à des Noirs qui travaillaient aux côtés des Allemands. Les éléments que j’avais n’étaient pas assez consistants, alors je les ai mis de côté. Ensuite, je suis tombé sur un film de Louis Malle, Lacombe, Lucien dans lequel on voyait apparaître un Noir qui torturait pour la Gestapo. Et bien après, en lisant un livre d’entretien avec Louis Malle, je découvre qu’il y évoque deux Martiniquais qui torturaient pour la Gestapo à Bordeaux. Inutile de dire que ça m’a interpellé, puisque je vis à la Martinique. C’est à partir de ce moment que j’ai intensifié mes recherches.

En 1938, Germaine Lubin s’entretient à Bayreuth avec Adolf Hitler. Ce dernier lui voue une grande
admiration, au point d’oublier le sang noir et kabyle qui coule dans les veines de la cantatrice
dont le père est Guyanais.

Combien d’années de recherches cela représente-t-il ?

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J’ai commencé en 2004 et ça a été très long, tout simplement parce que je faisais fausse route. Je m’en étais tenu à ce que disais Louis Malle, alors que les deux tortionnaires étaient Réunionnais et non Martiniquais. C’est ainsi que peu à peu, en remontant par les noms et non par les couleurs, j’ai fini par retrouver la piste du père et du fils Hoarau, mais aussi d’un homme du même nom, lui aussi Réunionnais et patron de la milice à Montpellier. Il a supervisé des séances de tortures de résistants. C’est à cette époque que je « rencontre » Norbert Désirée [le personnage qui sert de fil conducteur au livre, NDLR], à travers une photo dans un vieux livre français. Il y avait juste son nom, et la mention de son origine, Guadeloupéenne.

Pourquoi cette partie de l’histoire n’a-t-elle jamais été révélée ?

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Il y a plusieurs raison. La première, c’est que les Noirs laissent très peu de traces écrites de leurs aventures. Ensuite, j’ai déjà fait cette réponse ailleurs : l’histoire du lion est toujours faite par le chasseur. Elle aurait été très différente si elle était écrite par le lion lui-même. Pour dire que c’est aux acteurs de s’approprier leur histoire et de la raconter, qu’elle soit glorieuse ou pas. En France, vous trouvez plein de livres sur De Gaulle, sur le combat des résistants, parce que les acteurs ont tenu à raconter cette part d’histoire. Mais celle des autres ne les concerne pas. C’est à nous de nous y  intéresser, de nous en emparer, de creuser, fouiller, pour la révéler au grand jour.

Comment remonter le fil lorsqu’il n’existe presque aucune archive ?

On relit tout ce qui a déjà été écrit sur la Seconde guerre mondiale. Sur les combattants en Russie, en Allemagne et ici et là, on retrouve des bribes d’informations. Ensuite on s’intéresse aux états civils, casiers judiciaires… C’est comme ça que j’ai pu retracer l’itinéraire de Norbert Désirée, depuis la Guadeloupe, jusqu’à son arrivée en Métropole, sa volonté d’aller combattre avec l’Armée en Russie ou son souhait de rentrer dans les Waffen SS…  Tout ça m’a passionné et, naturellement, une fois qu’on a commencé à travailler, on déroule la pelote et on retrouve des choses en Allemagne, en Italie, aux États-Unis, des choses qui m’ont stupéfié à chaque fois.

En 1940, le soldat afro-allemand Ewan Ngando réussit à se faire enrôler dans la
Wehrmacht, alors que l’accès à l’armée allemande est formellement interdit aux Noirs et aux
métis.

Les Nazis n’étaient pas des plus tolérants avec les personnes de couleur. Comment expliquez-vous que des Noirs aient eu quand même envie de combattre à leur côté ?

Je n’ai pas une explication, mais plusieurs. Dans le quotidien, dans la réalité de ces gens-là – et on le voit bien à travers les témoignages des uns et des autres – il n’y avait pas de vrai différence entre le nazisme et le colonialisme, qui avait fait beaucoup de dégâts dans leurs pays. Il y en avait pour qui il s’agissait juste de sauver sa peau, dans une France où de toutes les façons ils n’avaient pas leur place.  Et puis il y en avait d’autres qui, parce qu’ils sont dans l’Humanité avec ce que cela sous-tend de bon et de mauvais, voulaient assouvir la part sombre de leur être. Il y a plein de facteurs qui entrent en ligne de compte et c’est pour ça que le rôle du journaliste c’est de dire, voilà ce qui s’est passé à une époque, et à chacun de voir ce qu’il a envie de voir.

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Propos recueillis par Malika Groga-Bada

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