Prix Mo Ibrahim : « Pedro Pires personnifie le type de gouvernance que nous entendons distinguer »

L’ancien président du Cap-Vert Pedro Pires a reçu le prix de la fondation du milliardaire soudanais Mo Ibrahim, qui récompense un chef d’État africain ayant quitté le pouvoir démocratiquement. Faute de candidats, il n’était pas attribué depuis deux ans.

Sous la présidence de Pires, le Cap-Vert est sorti de la catégorie des « Pays les moins avancés ». © Seyllou Diallo/AFP/Getty Images

Sous la présidence de Pires, le Cap-Vert est sorti de la catégorie des « Pays les moins avancés ». © Seyllou Diallo/AFP/Getty Images

Publié le 11 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

Enfin ! Après deux années blanches, le comité d’attribution du Prix « pour le leadership d’excellence en Afrique » de la Fondation Mo Ibrahim a finalement trouvé un successeur à Festus Mogae, dernier chef d’État à avoir convaincu, en 2008, le jury très exigeant piloté par l’ancien Premier ministre de Tanzanie, Salim Ahmed Salim.

Réunis à Londres, de 11 heures à 14 heures trente, le dimanche 9 octobre 2011, les sept membres du jury ont décidé à l’unanimité de désigner comme lauréat 2011 l’ancien président de la République du Cap Vert, Pedro Verona Pires, dont le second mandat s’est achevé en août 2011. À 77 ans, l’heureux élu est gratifié d’un chèque de 5 millions de dollars versé sur dix ans, complétée par la suite par une rente annuelle de 200 000 dollars à vie.

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« Après deux ans, nous avons enfin abouti. Mais l’excellence est difficile à trouver. Et en plus, c’est extraordinaire lorsque tous les membres du jury arrivent à la même conclusion », témoigne l’une des sept jurées Aïcha Bah Diallo, ancienne ministre de l’Éducation de Guinée et actuellement, entre autres fonctions, présidente du forum des éducatrices africaines.

Il est vrai que le milliardaire soudanais Mo Ibrahim, qui a fait fortune dans les télécoms, a placé la barre très haut pour son prix. Le cahier des charges imposé au jury est strict : il doit choisir et récompenser un chef d’État africain qui a quitté le pouvoir de manière démocratique et pacifique au cours des trois dernières années. Outre Pedro Pires, un peu plus de cinq chefs d’État pouvaient postuler au prix : John Kufuor (Ghana), Salou Djibo (Niger), Fradique de Menezes (Sao Tomé et Principe), Ahmed Tejan et Kabbah (Sierra Leone) et Sekouba Konaté (Guinée).

Modèle de démocratie

Pedro Pires les a devancé haut la main. « Le Comité d’attribution du Prix a été impressionné par la capacité de vision du président Pedro Pires qui l’a conduit à transformer son pays en modèle de démocratie, de stabilité et de développement. Sous ses dix ans de présidence, le Cap-Vert est devenu l’un des deux seuls pays africain à sortir de la catégorie des pays les moins avancés (en 2007, NDLR) établi par les Nations Unies, tout en acquérant la reconnaissance de la communauté internationale pour les résultats accomplis en matière de droits de l’homme et de gouvernance », a expliqué Salim Ahmed Salim.

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Mo Ibrahim, qui redoutait un nouveau faux bond de son jury, n’a pas masqué sa joie lors de l’annonce de l’identité du nouvel élu au cours d’une conférence de presse au City Hall de Londres : « C’est magnifique de voir un dirigeant africain qui a conduit son pays de l’époque de la domination coloniale à la démocratie multipartite, avec le souci constant des intérêts de ses concitoyens comme principe conducteur. Le fait que le Cap-Vert, avec si peu de ressources naturelles, ait réussi à se hisser au rang de pays à revenu intermédiaire est un exemple non seulement pour le continent, mais pour le monde. Le président Pires personnifie le type de leadership que le Prix entend distinguer. »

Succes story

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L’homme de Praia a fortement contribué à faire du Cap-Vert et de ce chapelet de plus d’une dizaine d’îles une success story aussi bien politique et économique que sociale. Selon le FMI, le PIB du pays a progressé de plus de 6% par an entre 2000 et 2009. Le revenu par habitant a augmenté de 181% sur la même période de la présidence Pires. La liste des avancées est longue, comme le taux d’alphabétisation, supérieur à 80% de la population, et l’espérance de vie qui dépasse les 71 ans.

Et surtout n’oubliez pas que Pedro Pires est un ancien général !

Aïcha Bah Diallo, Membre du jury du Prix Mo Ibrahim

Mais pour le jury du prix Ibrahim, Pedro Pires n’est pas qu’un modèle de bonne gestion économique, c’est aussi un modèle de sagesse politique. « Et surtout n’oubliez pas que c’est un ancien général ! », souligne Aïcha Bah Diallo.

Né en 1934 sur l’île de Fogo, il poursuit des études de sciences au Portugal. En 1961, il quitte le pays colonisateur et embrasse la cause de l’indépendance du Cap Vert. Il adhère au Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC). En 1975, le pays accède à l’indépendance après la révolution des Œillets au Portugal, Pedro Pires est nommé Premier ministre par le Parlement et engage des réformes économiques à partir des années 1980. Il occupera le poste jusqu’en 1991, lorsque son parti perd les élections au profit de son éternel rival Carlos Veiga, leader du parti libéral Mouvement pour la démocratie.

À chaque revers électoral, l’homme accepte le résultat des urnes. En 1991, il perdra aussi la tête de son parti qu’il ne retrouvera qu’en 1997, une fois réélu. En 2000 puis en 2006, il est élu président de la République du Cap-Vert. Son second et dernier mandat s’achève en août 2011. Jusqu’au bout, il résiste aux pressions de son camp qui lui demandent de modifier la Constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat. « Ce n’est pas en violant la Constitution que l’on fait avancer la démocratie », lance-t-il avant de tirer sa révérence.

Une détermination et un engagement sans faille pour la démocratie qui a convaincu le jury. « Un leader sait se remettre en cause régulièrement et résister aux changements institutionnels », souligne Aïcha Bah Diallo. Autre atout de taille, Pedro Pires n’a pas profité de son passage au pouvoir pour s’enrichir. « En 1991, lorsqu’il a quitté le poste de Premier ministre, il n’avait ni voiture personnelle, ni maison. Il est retourné vivre chez sa mère et ses amis de la diaspora se sont cotisés pour lui acheter un véhicule », relate Aïcha Bah Diallo. Un parcours sans faute qui a ravi Mo Ibrahim. Et les Cap-Verdiens.

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Par Jean-Michel Meyer, envoyé spécial à Londres

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