La Tunisie, entre révolte et révolution

Spécialiste de la finance, Michel Henry Bouchet enseigne à la SKEMA Business School de Lille, en France. Il détaille sa vision des enjeux de la révolution tunisienne et analyse les risques auxquels, selon lui, la Tunisie est désormais exposée.

L’avenir de la révolution tunisienne préoccupe beaucoup d’analystes. © Zohra Bensemra/Reuters

L’avenir de la révolution tunisienne préoccupe beaucoup d’analystes. © Zohra Bensemra/Reuters

Publié le 11 mai 2011 Lecture : 2 minutes.

La révolution tunisienne est-elle la première véritable révolution du XXIe siècle ou une des nombreuses révoltes qui agitent le Maghreb et le Moyen-Orient ? Comparée à la violence de l’accouchement révolutionnaire en Libye, au Yémen ou en Syrie, et à l’autisme de certaines dictatures monarchiques, la révolution tunisienne est presque un modèle.

1.    C’est une révolution séculière, sans slogan religieux, qui exige justice et respect de la dignité du peuple, sans spécificité arabo-musulmane.

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2.    La révolution tunisienne n’est pas celle d’une « culture » au sens de Huntington. Elle est encore moins l’expression d’un conflit de civilisations. Elle nous incite à regarder le monde arabe comme notre « prochain », avec la même sympathie enthousiaste de Kant qui observait la révolution française comme l’expression d’une disposition morale du genre humain.

0, 0);">3.    Le rejet de la population tunisienne est tourné vers un clan, brutal, prédateur, et incompétent. Comme en Égypte, en Syrie ou en Libye, la dictature en Tunisie était dépourvue d’idéologie, son seul tropisme était l’accumulation de prébendes. La révolte illustre le rendement décroissant de la répression. Elle est le produit paradoxal de l’audace et du désespoir.

4.    L’exemple tunisien montre à quel point la France a confondu respect de certains droits de la femme avec droits de l’homme. Paris découvrit trop tard qu’il n’y a pas de dilemme islamisme ou dictature.

5.    La révolte de janvier 2011 n’est pas le produit d’une lutte de clans rivaux ni d’un appareil de parti et du travail de sape du pouvoir en place par des « avant-gardes » issues de mouvements organisés clandestins. Cette révolution a été portée par une alliance de classes que la dictature a catalysée, sans doute de manière très temporaire.

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6.    Enfin, cette révolution est un défi à l’appareil de contrôle étatique, contourné par les réseaux internet et des moyens électroniques modernes que la jeunesse a su s’approprier.

Mais entre révolution et élections, la Tunisie confronte aujourd’hui trois risques majeurs :

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–    D’abord, le risque d’une fragmentation des partis candidats aux élections fait le jeu de l’islamisme politique, qui revendique une légitimité issue des années de répression.

–    Ensuite, risque d‘un trou d’air économique malgré les soutiens financiers des bailleurs de fonds officiels bilatéraux et multilatéraux. L’euphorie retombe déjà avec une économie en croissance zéro, la stagnation des exportations et du tourisme, la hausse des prix et l’envolée du chômage.

–    Enfin, la Tunisie découvre la coexistence dangereuse du vide institutionnel et du désordre, qui peut ouvrir à l’intervention d’un pouvoir fort, sans doute en uniforme, que l’on redoute autant qu’on le souhaite voir protéger les fragiles acquis sociaux de la révolution. En Tunisie aujourd’hui, si l’exigence est justifiée, l’impatience est dangereuse.

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