À Addis-Abeba, l’UA s’interroge sur le retour de l’État dans l’économie

La conférence des ministres de l’Économie et des Finances de l’Union africaine, qui se tient à Addis-Abeba du 28 au 29 mars, se penche sur l’avenir du continent. Entre satisfaction due au retour de la croissance et inquiétudes sur la situation en Afrique du Nord et en Côte d’Ivoire, une question fondamentale resurgit. Celle du retour de l’État dans l’économie.

Jean Ping et Donald Kaberuka. © AFP/Montage J.A.com

Jean Ping et Donald Kaberuka. © AFP/Montage J.A.com

Publié le 29 mars 2011 Lecture : 4 minutes.

Réunis pour la quatrième fois depuis 2008, les ministres de l’Économie et des Finances de l’Union africaine (UA) se retrouvent à Addis-Abeba, les 28 et 29 mars 2011, au cours d’une rencontre commune avec la Commission économique pour l’Afrique (CEA) des Nations unies, installée elle aussi dans la capitale éthiopienne.

Tour à tour, Abdoulie Janneh, secrétaire exécutif de la CEA, Donald Kaberuka, président de la BAD et Jean Ping, le président de la Commission de l’UA, se sont relayés à la tribune pour saluer les performances économiques du continent dans un monde en crise et témoigner de leur solidarité face aux défis qui attendent l’Afrique.

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« L’économie africaine se porte bien, même si les événements en Côte d’Ivoire et en Afrique du Nord auront un impact sur la performance du continent cette année », à résumé Abdoulie Janneh. Le PIB du continent devrait progresser de 5 % en 2011, contre 4,7 % en 2010, selon les dernières estimations du « rapport économique sur l’Afrique 2011 » de la CEA, publié le 29 mars 2011. Autre signe d’une croissance qui reste au rendez-vous, les Investissements directs étrangers (IDE) sont passés de – 12,3 % en 2009, à + 17 % en 2010.

L’Éthiopie, championne d’Afrique de la croissance

Pour 2011, bien entendu, la situation varie d’un pays à l’autre. Treize bons élèves connaîtront une croissance comprise entre 6 % et près de 11 %. Avec un PIB en progression de 10,9 % cette année, l’Éthiopie devrait faire figure de champion africain. « Et le pays n’a pas de pétrole », a insisté Jean Ping, écartant toute fatalité de la pauvreté.

Toutefois, pas d’optimisme débridé, tant les incertitudes demeurent, notamment au Maghreb. « Les perspectives pour 2011 sont modérément optimistes, note le rapport de la CEA. Les risques sont notamment le rythme et la durée de la croissance chez les partenaires économiques de l’Afrique, notamment les économies émergentes telles que la Chine et l’Inde, qui influent sur la demande et le prix des exportations africaines. »

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Outre les changements et les tensions politiques (Tunisie, Égypte, Libye et Côte d’Ivoire, notamment), le continent recèle d’autres incertitudes. « Des conditions météorologiques défavorables pourraient déprimer la production agricole, faire monter les prix des produits alimentaires et ralentir l’activité dans d’autres secteurs, entravant la croissance économique. La flambée continue des prix alimentaires, le chômage élevé constituent une menace pour la sécurité alimentaire ainsi que pour la stabilité sociale et politique en Afrique », détaille le rapport du CEA. D’autres soulèvements ou révolutions sont à craindre, vraisemblablement.

L’État : le retour et le recours

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Dans ce contexte particulièrement troublé, l’Afrique est à la recherche d’un modèle économique. Et elle pourrait s’inspirer du retour de l’État dans les pays industrialisés, avec les multiples politiques de soutien aux banques ou à l’économie depuis la crise de 2008, des États-Unis à l’Europe.

« Le consensus de Washington qui nous a poussé depuis trente ans à moins d’État s’est effondré avec la crise, a lancé Jean Ping. Durant toute cette période ultra-libérale, les pays africains étaient sous le joug des ajustements structurels, contrairement aux pays asiatiques qui ont refusé. Et on a vu le résultat. Depuis la crise mondiale est intervenue. Et on s’aperçoit que l’on ne peut pas tout abandonner aux marchés. Tout le monde revient à des politiques interventionnistes. L’État doit jouer un rôle central en matière de régulation, de conduite du développement et d’impulsion. Sinon, qui investira dans des pistes agricoles pour amener les produits vers les marchés ? Qui privilégiera l’économie verte, si ce n’est l’État ? »

Un avis partagé par Abdoulie Janneh : « L’État doit jouer un rôle plus actif dans un cadre démocratique. Il doit tenir compte du marché et développer une politique économique saine et souple pour s’adapter et appuyer la croissance. »

La leçon de Tunis

Le débat ne fait que commencer. Que faire par exemple des pays sans État, ou avec un État si faible ou dévoyé qu’il paraît bien improbable qu’il élabore des politiques économiques au profit de l’intérêt général ? Cette remarque et bien d’autres ont été débattues dans les allées du centre de conférences de la CEA d’Addis-Abeba. Les questions sur le rôle des États africains, la redéfinition du périmètre de leur champ d’action par rapport au privé feront encore l’objet de nombreuses rencontres entre la CEA, l’UA et la BAD.

« Chaque pays a sa propre réalité et il n’y a pas un modèle unique de développement, a tempéré Donald Kaberuka, le président de la BAD. Jusqu’en janvier 2011, la Tunisie était citée comme une grande réussite, capable d’attirer des IDE, avec une main d’œuvre bien formée… Mais la croissance ne créait pas d’emplois, les sur-diplômés étaient mal payés. Le problème de la Tunisie ne provenait pas d’un déséquilibre entre l’État et le marché, mais de la nature prédatrice et dynastique de l’État. C’est ce qui a conduit à la révolution. » À suivre…

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Jean-Michel Meyer, envoyé spécial à Addis-Abeba

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