Aqmi : pourquoi Bamako refuse d’y aller

Bamako est souvent accusé de laxisme, par Alger notamment. Mais la réalité est un peu plus compliquée. Si Bamako laisse agir la Mauritanie au nord de son territoire, c’est en partie par crainte de voir resurgir la rébellion touarègue.

Des soldats maliens prennent position à Kidal après une rébellion touarègue, le 28 mai 2006. © AFP

Des soldats maliens prennent position à Kidal après une rébellion touarègue, le 28 mai 2006. © AFP

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 24 septembre 2010 Lecture : 4 minutes.

De nombreux Maliens se demandent : mais que fait l’armée nationale contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), alors que Nouakchott est intervenu de manière musclée ces dernières jours ? La réponse réside dans le leitmotiv de la politique du président malien Amadou Toumani Touré (ATT) depuis 2007. Le Mali ne doit pas s’engager seul dans la lutte contre Aqmi pour de nombreuses raisons : le manque de moyens militaires, la nécessité d’accompagner la répression par une politique de développement audacieuse vis à vis des populations, l’absence de volonté des autres pays de la sous-région de s’associer dans une riposte commune… Mais toutes ces explications ne sont que partiellement satisfaisantes.

Car la passivité relative de Bamako devant les djihadistes d’Aqmi dans le nord du Mali, où l’armée mauritanienne semble beaucoup plus active, est aussi en partie liée à la crainte de voir resurgir la rébellion touarègue dans la  région.

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Les faits sont éloquents : l’armée mauritanienne est intervenue à deux reprises dans le nord du Mali en deux mois, alors que la dernière sortie connue de l’armée malienne contre Aqmi remonte à plus d’un an. Raison pour laquelle ATT est souvent accusé de « laxisme » dans la lutte anti-Aqmi par l’Algérie, surtout, et par la Mauritanie – dans une moindre mesure. Ces deux pays, on s’en souvient, avaient rappelé quelques mois en début d’année leurs ambassadeurs à Bamako pour protester contre la libération par le Mali de prisonniers islamistes, en échange de la libération d’un otage français, Pierre Camatte.

« Un grand risque pour ATT »

À Bamako, on réplique qu’Aqmi est un problème qui est d’abord algérien puisque sa matrice est issue des ex-Groupes salafistes pour la prédication et le combat (GSPC) des « années de braise ». Et on ne voit pas comment un pays comme le Mali pourrait éliminer un problème auquel l’armée algérienne n’a pas trouvé de solution depuis près de 20 ans. On précise également que le territoire malien est ouvert aux interventions algériennes, mais que pour l’instant il ne s’est pas passé grand chose… Comme si Alger, qui a déjà du mal à sécuriser son territoire, redoutait le piège qui lui était tendu dans les immensités du grand sud.

« La politique d’ATT remonte à la rébellion touarègue […]. Depuis, il [Amadou Toumani Touré, NDLR] essaye de ne pas braquer les gens du Nord contre lui et donc son armée ne s’aventure pas trop dans cette zone », explique Alain Antil, de l’Institut français de relations internationales (Ifri).

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Comptant environ 1,5 million de personnes réparties entre Niger, Mali, Algérie, Libye et Burkina Faso, les Touaregs ont posé ces dernières années de sérieux défis sécuritaires, surtout à Bamako et Niamey. Le Mali a été confronté dans les années 1990 et 2000 à des rébellions touarègues qui ont pris fin en 2009. Mais la paix reste fragile et une reprise de la rébellion « est un grand risque » pour ATT, souligne Alain Antil.

En clair, cette paix, obtenue en échange d’une démilitarisation partielle du nord du Mali, signifie que Bamako donne carte blanche à toute la contrebande qui se déroulent dans le Nord, et sur laquelle Aqmi prélève ses taxes. Cela signifie également que les quelques soldats et officiers présents sont très vulnérables à la corruption. Tout cela formant une sorte de sauce anti-sécuritaire qui sera difficile à digérer par les autorités maliennes si elles tentent d’épicer le plat, en envoyant du renfort à l’armée mauritanienne par exemple.

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Remilitariser le Nord

D’autant que la rébellion touarègue « est en veilleuse », souligne Moussa Samba Sy, politologue mauritanien, directeur du Quotidien de Nouakchott. Par crainte de la raviver, « le Mali ne souhaite pas être impliqué de manière trop directe dans la lutte contre Aqmi », ajoute-t-il. Car on sait qu’une des principales forces d’Aqmi est d’entretenir de nombreux liens matrimoniaux avec les tribus du Nord, dont les Touaregs et les Bérabiches.

Mais si les actions d’Aqmi sont moins nombreuses qu’en Mauritanie ou en Algérie, il serait erroné de croire que le Mali serait totalement épargné, en raison d’un quelconque pacte de non-agression. L’armée malienne, bien que ses effectifs soient moins élevés que celle de la Mauritanie (environ 7 000 hommes contre quelque 20 000), « a porté de gros coups à Aqmi », assure Samba Sy.

Le 17 juin 2009, deux mois après l’exécution de l’otage britannique Edwin Dyer, elle avait pour la première fois attaqué une base d’Al-Qaïda sur son territoire, à Garn-Akassa, près de la frontière algérienne. Bilan, 26 « combattants islamistes » tués, selon Bamako. Trois semaines plus tard, de violents combats l’opposaient encore à Aqmi dans le nord malien, faisant des dizaines de morts dans les deux camps, selon l’armée, 28 soldats maliens tués, selon Aqmi. Plus récemment encore, fin août, Aqmi revendiquait l’exécution d’un douanier malien capturé quelques jours auparavant.

« On a cru percevoir une espèce de modus vivendi » entre Aqmi et le Mali, « mais il existe dans ce pays une nouvelle volonté de combattre Aqmi », souligne Moussa Samba Sy. Une source militaire malienne affirme d’ailleurs que son pays entend remilitariser à court terme le nord de son territoire. Dès que la coopération entre les armées de la sous-région sera effective ? (Avec AFP)

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