« La Côte d’ivoire doit voter, et vite! »

À une quarantaine de kilomètres au sud-est de Londres, Cobham, petite commune huppée de 10 000 habitants abrite le centre d’entraînement du Chelsea FC. Didier Drogba, l’attaquant des Eléphants, tout juste 31 ans, habite à quelques minutes de là. Pendant plus d’une heure, l’ancien joueur de Marseille nous a parlé football. Mais pas seulement. La politique et l’avenir de son pays sont aussi des sujets qui le passionnent.

Publié le 23 mars 2009 Lecture : 8 minutes.

Aucune date n’a été fixée pour les élections, maintes fois reportées, en Côte d’Ivoire. Comment voyez vous cette situation ?
Le pays est sorti récemment d’une période très difficile et tout n’est pas encore réglé. Actuellement les choses ne bougent pas beaucoup, ce qui peut s’expliquer compte tenu de ce que le pays a vécu. La Côte d’Ivoire traverse une relative période de stabilité, et j’ai l’impression que cette situation d’immobilisme est un peu un mal nécessaire… Mais il faut que les élections puissent avoir lieu assez rapidement.

Que pensez-vous de cet attelage un peu improbable entre les deux anciens ennemis ?
Il y a quelques années, on aurait eu du mal à l’imaginer. Ils ont visiblement mis de l’eau dans leur vin, pour le bien des ivoiriens.

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Et peut-être aussi pour le leur…
Peut-être, mais je ne suis pas assez bien placé pour juger. Ce qui est certain, c’est que grâce à cet accord entre eux, des milliers de gens ont pu rentrer chez eux dans le Nord après avoir été déplacés pendant le conflit. Et pour eux, c’est vraiment le plus important.

Certains prédisent que que si Gbagbo est réélu ou si Ouattara lui succède, le pays sombrera à nouveau dans la crise…
Je ne pense pas que les Ivoiriens aient envie d’un nouveau conflit. Il y aura un président de la République, élu démocratiquement, qui disposera des moyens nécessaires pour faire avancer le pays. Il devra pouvoir accomplir son mandat normalement. Ensuite, on fera son bilan et le peuple tranchera.

 Et si on vous demande le nom de votre candidat favori ?
(Rires) Je ne vous répondrai pas, bien sûr.

Aujourd’hui, un ivoirien sur deux vit sous le seuil de pauvreté. Comment cette situation pourrait-elle s’améliorer ?
Le plus important est d’abord d’organiser les élections. Mais le président Gbagbo a décidé de lutter contre la corruption. C’était nécessaire, et même si certains disent que c’est un peu tardif, je considère qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. La Côte d’Ivoire possède des ressources importantes, et tout doit être entrepris pour qu’elle retrouve des couleurs.

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En Côte d’Ivoire, chrétiens et musulmans cohabitent plutôt bien. Craignez-vous un scénario à la nigériane, où les choses se passent beaucoup moins bien ?
Cela a failli mal se passer il y a quelques années, mais par bonheur, le pays y a échappé parce que les Ivoiriens n’aiment pas faire la guerre et qu’ils ont l’habitude de vivre ensemble. Mais il faut rester vigilant, car certains pourraient un jour être tentés d’utiliser la religion et faire de la récupération politique et ethnique. Ce qui serait très dangereux pour l’équilibre du pays. En sélection nationale, il y a plusieurs ethnies qui sont représentées, et il n’y a jamais eu de problèmes.

On a beaucoup raconté que pendant le conflit, les belligérants avaient multiplié les tentatives de récupération des joueurs de l’équipe nationale…
Sincèrement, nous n’avons jamais ressenti de pression particulière. Bien sûr, tous les joueurs sont libres d’avoir leurs opinions et leurs préférences. Mais quand nous sommes ensemble, une seule chose compte : la Côte d’Ivoire. D’ailleurs, nous nous sommes d’une certaine façon servis de la qualification pour la Coupe du Monde de 2006 en Allemagne pour faire passer un message d’union. Je ne sais pas si cela a influé sur le processus de réconciliation nationale. Même si on a pu un tout petit peu y contribuer, c’est déjà bien.

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Vous êtes originaire de la même région que Charles Blé Goudé, leader des Jeunes patriotes ivoiriens, un homme très proche de Laurent Gbagbo. Quelles sont vos relations avec lui ?
Nous avons eu l’occasion de nous croiser de temps en temps. Mais nos échanges se sont limités à de simples échanges de politesse.

En juin 2007, vous avez très largement contribué à organiser à Bouaké un match entre la Côte d’Ivoire et Madagascar comptant pour les éliminatoires de la CAN 2008…
Oui, et je le referais s’il fallait! Vous ne pouvez pas imaginer à quels points les gens étaient heureux de voir les Eléphants jouer à Bouaké ! Ce match a eu un impact énorme sur place.

Que pensez vous du sentiment anti-français qui s’est développé en Côte d’Ivoire?
Il y a eu, c’est vrai, un sentiment anti-français, notamment après les événements de novembre 2004 à Abidjan (NDLR : l’armée française avait tiré sur des manifestants massés devant l’hôtel Ivoire, faisant une cinquantaine de morts). La politique française en Côte d’Ivoire n’était sans doute pas la bonne. Mais depuis, cela s’est atténué. Des Français, installés à Abidjan depuis quinze, vingt ou trente ans et qui étaient rentrés en France pendant cette période difficile sont revenus, parce qu’ils s’y sentent chez eux. La France et la Côte d’Ivoire ont des liens très étroits, la Côte d’Ivoire ayant été une colonie française. D’ailleurs, la colonisation a eu aussi des vertus. La France a besoin de la Côte d’Ivoire pour des raisons économiques et startégiques, et la Côte d’Ivoire a également besoin de l’aide de la France. La répartition des intérêts doit simplement être plus juste. La Côte d’Ivoire, pour sa part, doit avoir le droit de travailler avec qui elle le souhaite…
 

Dans votre pays, vous êtes populaire aussi grâce à votre engagement humanitaire. On vous prête plusieurs projets d’envergure…
J’ai l’intention de financer grâce à ma fondation l’ouverture d’un hôpital à Abidjan, où les besoins sont importants. Dans cette ville, il y a de plus en plus d’enfants qui errent dans  les rues. Je suis également ambassadeur auprès des Nations Unies pour lutter contre les mines antipersonnel qui ont fait beaucoup de ravages en Côte d’Ivoire. Mais je ne veux pas concentrer mon action uniquement sur mon pays.

L’Union africaine à un nouveau président, le colonel Kadhafi. Est-ce que cela vous choque de le voir occuper cette fonction ?
Il n’a pas fait que de bonnes choses dans sa vie. Mais il a droit à une seconde chance. Attendons de voir son bilan à la fin de son mandat pour le juger.

Comment avez-vous vécu l’élection de Barack Obama à la présidence américaine ?
J’ai beaucoup de respect pour les Etats-Unis. Que ce pays, qui a longtemps pratiqué l’esclavage puisse élire un Black, je trouve cela extraordinaire. Mais attention: Obama n’a pas été élu seulement parce qu’il est noir, mais aussi pour ses compétences.

Et en France, pensez-vous qu’une telle élection soit possible ?
Je crois que cette question des minorités visibles dans les partis politiques et les médias ne sera pas facile à résoudre en France. C’est pour cela que des gens comme Harry Roselmack, Pape Diouf, qui est président de l’Olympique de Marseille ou Antoine Kombouaré (NDLR : l’entraîneur calédonien de Valenciennes) doivent montrer la voie. Si Obama a pu êre élu aux Etats-Unis, un président noir en France, ce n’est pas près d’arriver. Et cela me choque, oui !

Quelles sont vos relations avec Vahid Halilhodzic, le sélectionneur bosniaque des Eléphants, que l’on présente volontiers comme un homme d’une très grande rigueur ?
C’est un homme passionné, donc parfois excessif, mais le courant passe très bien entre nous. Il a une image dans les médias qui ne correspond pas forcément à la réalité. On travaille dans la bonne humeur mais aussi dans la rigueur, sans laquelle on ne peut arriver à rien.

Carlo Ancelotti, l’entraîneur du Milan AC a déclaré qu’il accepterait d’entraîner gratuitement la Côte d’Ivoire si elle se qualifiait pour la Coupe du Monde 2010…
C’est flatteur. Cela prouve que notre statut a évolué. La Côte d’Ivoire fait partie des meilleures équipes africaines, et elle doit être capable d’assumer la pression qui pèse sur elle. Cette pression, tous ceux qui composent ou qui composeront la sélection devront l’assumer. Et on va tout faire pour obtenir la qualification pour la Coupe du Monde de 2010.
 

Il paraît que le climat du vestiaire de la sélection serait pollué par une lutte entre deux clans, celui de Kader Keita et celui de Kolo Touré…
C’est faux ! Il y a des gens qui font courir cette rumeur alors qu’ils ne sont que très rarement avec nous. Peut-être aimeraient-ils l’être plus souvent d’ailleurs… J’ai remarqué que quand on gagnait, il n’y avait pas de clans. Mais quand on perdait, il y en avait… Ce sont des tentatives de déstabilisation. Il n’y a pas de clans chez les Eléphants !

Faites vous confiance à l’Afrique du Sud, confronté à des problèmes de sécurité et à de sérieux retards dans sa préparation, pour organiser la prochaine Coupe du Monde ?
L’insécurité existe, c’est un problème, mais le Brésil, qui doit organiser la Coupe du Monde 2014, n’est pas épargné non plus. On parle aussi de certains stades qui ne seraient pas dans les temps… mais la crise est partout, et pas seulement en Afrique ! Regardez la Pologne et l’Ukraine, qui doivent organiser l’Euro 2012. Elles aussi rencontrent des difficultés ! A partir du moment où l’Afrique du Sud a été désignée, c’est que sa candidature tenait la route. Maintenant, il faut aller jusqu’au bout et aider ce pays. C’est une chose formidable pour le continent africain d’organiser un tel événement. J’espère qu’en tant qu’Africain je pourrais y participer. Mais je sais aussi que rien n’est gagné d’avance.

Vous avez gagné quelques titres nationaux avec Chelsea, mais au niveau international, votre palmarès est encore vierge. Avez-vous un sentiment d’inachevé, même si votre carrière est loin d’être terminée ?
Matériellement, il me manque quelque chose : une Coupe d’Afrique avec la Côte d’Ivoire, ou une Ligue des Champions. Maintenant, si ma carrière devait s’arrêter là, je ne serais pas triste, car j’ai pu vivre des moments extraordinaires. Quaand j’évoluais à Guingamp (2001-2003), j’étais loin de me douter que je jouerais un jour à Chelsea.

Quel est votre meilleur souvenir de footballeur ?
Notre qualification pour la Coupe du Monde 2006, lors d’un match gagné au Soudan. Nous venions de l’emporter 3 à 1, et on attendait le résultat du Cameroun face à l’Egypte. Quand nous avons compris que nous étions qualifiés, on a improvisé une danse sur la pelouse de Khartoum. Et les deux jours qui ont suivi à Abidjan furent mémorables.

Et votre plus mauvais ?
Le décès de Mama Ouattara, notre sélectionneur adjoint, en 2004 alors que nous étions en train de préparer une rencontre avec l’Egypte.

Vous n’avez joué qu’une saison à Marseille, où votre popularité est restée intacte. Aimeriez-vous y retourner un jour ?
Oui, je ne m’en suis jamais caché. J’ai toujours aimé l’OM, avant même d’y jouer. Mais entre ce que je veux et ce qui est réalisable, il y a un fossé…
 

Justement, être footballeur à Londres est paraît-il beaucoup plus facile à vivre qu’à Marseille…
Disons que les gens ont plus de retenue quand ils vous abordent, ce qui est apréciable, surout quand on est en famille. Et puis, il ne faut pas oublier qu’à Londres, il y a plusieurs clubs de haut niveau. A Marseille ou à Abidjan, cela part toujours d’un bon sentiment quand les supporters veulent un autographe ou juste vous serrer la mai, ce qu’on ne peut pas refuser. C’est plus exhubérant, plus chaleureux, et en tant qu’africain, j’apprécie aussi…

 

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