Le Maroc renforce sa stratégie sur le continent

Au moment où ses débouchés en Europe sont menacés par la crise mondiale, le pays organise ses efforts commerciaux vers le sud. Ses banques ont montré le chemin de la conquête de nouveaux marchés.

Publié le 11 décembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Avec l’arrivée en force d’Attijariwafa Bank, le Maroc dispose désormais d’un dispositif bancaire impressionnant en Afrique subsaharienne. Le numéro un marocain reprend au Crédit agricole français ses filiales africaines (voir J.A. n° 2499), ce qui lui permet d’étendre sa présence à quatre pays (Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon), qui s’ajoutent au Mali et au Sénégal, où il était déjà implanté. Ensemble, ces établissements représentent le quart de son activité soit, sur la base des comptes 2007, quelque 200 millions d’euros.

BMCE Bank, deuxième groupe bancaire privé marocain, en affiche pratiquement autant au sud du Sahara, notamment à travers sa participation de 42,5 % dans Bank of Africa (BOA), groupe présent dans douze pays, dont sept francophones. « Nous étions déjà implantés en propre au Sénégal, au Congo et au Cameroun, rappelle Jaloul Ayed, directeur général de BMCE Bank. Un élan très fort a été insufflé à notre expansion géographique en 2007 avec l’entrée au capital de BOA. » Bien qu’engagés dans une vive concurrence commerciale, les deux groupes, respectivement septième et neuvième banques du continent, ont appliqué une stratégie similaire de développement à l’international, misant à la fois sur l’Europe – BMCE Bank est à Londres via MediCapital Bank, et Attijariwafa Bank se déploie en France – et l’Afrique subsaharienne, où ils emploient environ 2 000 personnes chacun.

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Jusqu’à présent, les développements des entreprises marocaines vers le sud s’étaient plutôt effectués en ordre dispersé et au gré des opportunités. « Je suis allé à Dakar en 2002 et je me suis débrouillé pour rencontrer les autorités sanitaires », se souvient Abdelilah Chebihi, directeur international de Sothema. Premier laboratoire pharmaceutique de fabrication sous licence au Maroc, et l’un des sept sites au monde de production d’insuline, Sothema emploie 700 personnes dans six usines. Et bientôt sept, avec l’entrée en service l’année prochaine de son site en construction près de Dakar.

Il y a six ans aussi et de façon similaire, Youssef Tagmouti, directeur général des Câbleries du Maroc, arrive au Sénégal. Sa société de fabrication de câbles électriques et électroniques a déjà un bureau à Abidjan, ouvert en 2000, mais il veut une base physique d’exportation. Aujourd’hui, le hangar de stockage est devenu une usine qui représente un dixième de la production des Câbleries du Maroc. Le groupe emploie 900 personnes au total. « Et nous allons monter en puissance, explique Youssef Tagmouti. L’objectif de servir le marché sénégalais est atteint. Nous allons exporter dans les pays voisins, à partir de Dakar. »

Dix ans de chiffre d’affaires

Et l’on pourrait multiplier les exemples. Dans l’informatique, les sociétés HPS (monétique) et CBI (services et conseil) se développent en Afrique depuis cinq ans. Dans le BTP, l’homme d’affaires Miloud Chaabi s’adjuge le titre de premier industriel du royaume à avoir investi au sud du Sahara : 50 millions de dirhams (DH, 4,5 millions d’euros) en Côte d’Ivoire en 1997 pour une usine de fabrication de tuyaux en PVC. Son ­groupe, Ynna Holding, compte aujourd’hui plusieurs chantiers au Sénégal, au Gabon, en Mauritanie et au Mali. Son confrère Somagec, dirigé par Roger Sahyoun, est très impliqué en Guinée équatoriale, notamment dans l’extension du port de Malabo. Il vient de remporter de nouveaux contrats, dont le réseau d’adduction d’eau de Bata, la capitale continentale. Selon certaines indiscrétions, son carnet de commandes dépasserait le milliard d’euros, environ dix fois son chiffre d’affaires annuel.

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À tout cela, il faut ajouter des groupes phares comme Maroc Télécom, qui a pris le contrôle des opérateurs historiques du Burkina et du Gabon il y a deux ans. Depuis 2001, date de son association avec Air Sénégal international, Royal Air Maroc (RAM) multiplie les liaisons sur le continent, qui représente aujourd’hui pratiquement un sixième de son trafic passagers. RAM dessert 24 destinations (bientôt 27 avec l’Angola, le Burundi et la Gambie). Citons encore l’Office national de l’électricité (ONE), qui gère l’électrification rurale de trois régions sénégalaises. Et l’Office national de l’eau potable (Onep), qui a remporté à la fin de 2007 la privatisation de la Société nationale des eaux du Cameroun (Snec), préféré au groupe français Veolia Water. Progressivement, la présence marocaine s’est renforcée en Afrique, dans le sillage des relations d’amitié tissées par le roi Mohammed VI, le Burkina, le Gabon et le Sénégal arrivant en tête, ce dernier bénéficiant en outre de la proximité géographique. En deux ans, les investissements marocains en Afrique subsaharienne ont été multipliés par neuf, pour atteindre 374 millions de DH en 2007, tandis que les exportations affichent une croissance annuelle moyenne de 15 % depuis cinq ans, avec une nette accélération au début de 2008 : + 52 % à la fin d’août, selon les dernières statistiques du Commerce extérieur.

Est-il possible d’intégrer ces opérations menées isolément dans une stratégie déterminée, à l’image de celle qu’ont mise en place les banques marocaines ? Les pouvoirs publics semblent prendre conscience de sa nécessité. Au ministère des Affaires étrangères, le directeur des affaires africaines, Abdellatif Bendahane, annonce « la nomination de nouveaux conseillers économiques dans les ambassades : Burkina, Cameroun, Centrafrique, Kenya et Madagascar ». Au total, le réseau africain du Maroc comptera une vingtaine de conseillers économiques, points de contact des entreprises avec les marchés locaux. Au ministère du Commerce extérieur, le ministre Abdellatif Maazouz, jusqu’à présent discret, fait entendre sa voix dans les milieux d’affaires, révèle la signature d’accords commerciaux avec plusieurs pays (lire l’interview) et met la dernière main à son plan de promotion des exportations.

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« Les pays africains sont stratégiques dans notre approche », soutient Saâd Benabdallah, directeur général du Centre marocain de promotion des exportations (CMPE), chargé de la mise en application des principaux aspects opérationnels de ce plan. Il peut puiser dans son budget propre (80 millions de DH cette année), ainsi que dans un fonds spécial de promotion des exportations, de 500 millions de DH pour les deux années à venir. Nommé en juillet dernier, Saâd Benabdallah, 35 ans, était conseiller économique à l’ambassade du Maroc en France depuis cinq ans. Diplômé en commerce international, il a auparavant travaillé aux États-Unis pour Merrill Lynch. « Je suis un outil de marketing », affirme-t-il, en ajoutant qu’il compte mobiliser le patronat et les fédérations professionnelles pour multiplier les salons et les missions d’entrepreneurs sur le terrain.

Le déficit commercial se creuse

« Cela va dans le bon sens », ­commente Youssef Tagmouti, des Câbleries du Maroc, également vice-président de la Fédération nationale de l’électricité et de l’électronique (Fénélec). « Nous-mêmes avons conduit une dizaine de missions d’hommes d’affaires sur le continent cette année. » Puis il ajoute : « Il nous faut aussi des références. En l’occurrence, nos banques ont une stratégie claire et une forte présence. Elles peuvent nous être utiles pour connaître la solvabilité des clients, peut-être même nous aider à faire de la prospection. »

Entendront-elles son appel ? En cette fin d’année, les nuages s’accumulent sur l’économie marocaine. Les perspectives de croissance sont en berne pour 2008 et 2009, affirme le Centre marocain de conjoncture (CMC), un think-tank dirigé par l’ancien ministre de l’Éducation Habib El Malki, dans une étude rendue publique le 26 novembre. La crise mondiale coûterait 1,5 à 2 points de croissance au pays, selon le CMC, qui annonce 5,1 % de croissance du PIB cette année – bien en deçà des 6,5 % que défend le gouvernement.

Autre mauvaise nouvelle, la balance commerciale reste lourdement déficitaire, les importations dépassant les exportations de 54 % à la fin d’août, selon les dernières statistiques. La facture pétrolière pèse certes très lourd – le baril a atteint son plus haut le 11 juillet, à 147 dollars –, mais ce mauvais chiffre traduit une cruelle vérité. Les exportations marocaines sont en panne. Et les menaces de récession en Europe, principale destination de ses produits, ne vont rien améliorer. Voilà pourquoi tous les politiques s’accordent pour affirmer que « l’Afrique est stratégique ». Reste à passer des déclarations à l’action. Comme l’ont fait les banques. 

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