Maroc : le Cheikh, le Makhzen et le PJD

Exclu du jeu politique marocain, mais fer de lance du Mouvement du 20 février, avant de s’en dégager le 18 décembre, Al Adl Wal Ihsane voulait incarner l’opposition de la rue face au futur gouvernement dirigé par les islamistes légalistes.

Le très charismatique Cheikh Abdessalam Yassine, sortant de son domicile de Salé, le 19 mai 2000. © AFP

Le très charismatique Cheikh Abdessalam Yassine, sortant de son domicile de Salé, le 19 mai 2000. © AFP

Publié le 19 décembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Mise à jour du 19 décembre 2011

 Al Adl Wal Ihsane vient d’annoncer la suspension de sa participation au mouvement du 20 février. Jusque-là très exposée et principale force dans les cortèges, la Jamaa s’en explique dans un long communiqué publié dimanche 18 février.

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Au lendemain de la victoire du parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), Jeune Afrique analysait, dans les lignes qui suivent (11 décembre) les relations entre Al Adl Wal Ihsane, le pouvoir et le PJD, chargé de former le nouveau gouvernement marocain. Spécialiste de l’islam politique, le chercheur Youssef Belal prévoyait alors que « la victoire du PJD risqu[ait] d’affaiblir le positionnement d’Al Adl Wal Ihsane en suscitant un débat dans le Mouvement du 20 février. »

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Rédigé à la hâte, le 25 novembre au soir, alors que les résultats officiels des élections législatives marocaines n’avaient pas encore été publiés, le communiqué du mouvement Al Adl Wal Ihsane cible un seul résultat, celui du taux de participation, arrêté à 45 % par le ministre de l’Intérieur Taïeb Cherkaoui. « Falsification de la vérité », « mascarade », les adeptes de Cheikh Abdessalam Yassine, 83 ans, n’ont pas de mots assez durs pour qualifier les élections et occulter ainsi la victoire des islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD). Une manière aussi de souligner la justesse de leur choix de boycotter les législatives, tout en renvoyant dos à dos tous ceux qui ont participé. « Nous n’avons aucun problème avec les partis, assure Fathallah Arsalane, porte-parole d’Al Adl. Pas plus avec le PJD qu’avec l’Istiqlal ou l’Union socialiste des forces populaires (USFP). » Ce qui intéresse – et obsède – les adlistes, c’est le Makhzen. « Le niveau de la participation aux élections du 25 novembre apporte un nouveau démenti au taux de participation au référendum constitutionnel [75,5 %, selon le décompte officiel, NDLR] », assène le communiqué publié sur le site du mouvement. Dénoncer les réformes constitutionnelles et la tenue d’élections anticipées comme un simulacre de changement permet surtout de garder une emprise sur le mouvement de contestation dit du 20 février.

Synthèse

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Créée au milieu des années 1980 par Abdessalam Yassine, la Jamaat Al Adl Wal Ihsane est un mouvement non violent issu du soufisme. Son chef est lui-même issu de la confrérie Boutchichiya. Disciple de Cheikh Abbas, Yassine caresse un temps l’ambition de lui succéder à la tête de la Tariqa Qadiriya Boutchichiya, une zawiya aujourd’hui proche du pouvoir. En 1972, le testament désigne Hamza, le fils de Cheikh Abbas. Cette déconvenue signe l’entrée en dissidence d’Abdessalam Yassine, qui élabore un projet de rupture. Mélangeant les apports culturels du soufisme et les thèses politiques des Frères musulmans, Yassine élabore, d’après le chercheur Mohamed Tozy, une « synthèse originale » reposant sur la dénonciation du régime de Hassan II et la contestation de sa légitimité religieuse.

En 2011, contrairement aux islamistes du PJD – partisans du jeu parlementaire –, Al Adl Wal Ihsane fait le choix de la rue en joignant ses bataillons aux marcheurs du printemps marocain sous le mot d’ordre rassembleur « liberté, dignité, justice sociale ». La dénonciation de la corruption (fassad, en arabe) prend une coloration morale pour les adlistes. Lesquels font de l’entrisme au sein d’une coalition hétéroclite composée d’altermondialistes, de gauchistes – Parti socialiste unifié (PSU), Parti de l’avant-garde démocratique et sociale (PADS), Annahj Addimocrati – et d’associations de défense des droits de l’homme. Une stratégie consistant à intégrer les coordinations locales, sans chercher à peser dans les décisions, qui réussit à dédiaboliser Al Adl Wal Ihsane, devenu ainsi une force contestataire parmi d’autres, même si les inévitables frictions avec les autres composantes du Mouvement du 20 février ont été soulignées par un grand nombre d’observateurs et servent d’argument pour le délégitimer.

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Pour le politologue Youssef Belal, auteur d’une sociologie religieuse de l’islam politique marocain sous le titre Le Cheikh et le Calife (Éditions de l’ENS, Lyon, 2011), « la victoire du PJD risque d’affaiblir le positionnement d’Al Adl Wal Ihsane en suscitant un débat dans le Mouvement du 20 février ». Gouvernement islamiste, opposition parlementaire variée (dont l’USFP, parti historique de la gauche), la nouvelle donne politique laisse ouvertes toutes les recompositions possibles pour l’opposition févriériste.

Niet

Après avoir hésité à soutenir le Mouvement du 20 février, l’USFP ne s’interdit plus de tendre la main aux autres composantes de la gauche pour rebâtir une opposition aux islamistes. Dans un premier temps, le nouveau chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, a appelé au dialogue avec toutes les composantes du Mouvement du 20 février. Du côté d’Al Adl, la réponse s’apparente à un niet poli. « Nous ne refusons jamais le dialogue, mais les dossiers politiques et sécuritaires échappent de toute façon au gouvernement. Benkirane ne sera même pas consulté », se désole Arsalane.

Mohamed Fizazi (Copyright @AIC Press)

L’équation monarchie-islamisme paraissait simple : un jeune roi associant la gauche au gouvernement, une opposition conservatrice contenue. Depuis les résultats des législatives, cette image simpliste a volé en éclats. Face à un gouvernement d’islamistes légalistes, l’opposition au gouvernement est polymorphe. D’abord royale, par le biais des leviers exécutifs du souverain, constitutionnalisés pour la première fois. Ensuite de gauche, avec l’USFP dans l’opposition parlementaire. Enfin dans la rue, où la défiance à l’égard des camarades de Benkirane viendra des adlistes. « Pour l’instant, Al Adl Wal Ihsane devrait revoir ses prétentions à la baisse et réduire les tensions avec les autres composantes du Mouvement du 20 février », pronostique Youssef Belal. En attendant, les marcheurs du dimanche ne baissent pas les bras et préparent déjà de nouveaux slogans. À côté de Fouad Ali El Himma, nommé conseiller du roi le 7 décembre, le nom de Benkirane apparaît déjà dans les slogans rageurs. « Qu’ils dégagent tous » ?

Extrémistes repentis

Les autorités religieuses du pays le répètent à l’envi : l’islam officiel marocain est tolérant, « attaché au rite malékite », érigé en socle de la sécurité spirituelle de l’État et de ses sujets. Avant le 11 Septembre, Rabat avait pris le risque d’encourager l’islam rigoriste contre la gauche et surtout contre les mouvements se réclamant de l’islamisme. C’­était le temps où l’argent saoudien finançait les madrasas et les séjours dans les universités de théologie. La diffusion des ouvrages répandant la doctrine wahhabite est libre. Ultraconservateur mais quiétiste, ce salafisme ne dérange pas Hassan II. Mais le 16 mai 2003, le pouvoir découvre, avec les attentats de Casablanca, la salafiya djihadiya et ses idéologues, qui ont depuis renoncé à la violence, Mohamed Fizazi (photo), emprisonné puis libéré, et Abou Hafs, toujours détenu.

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