Majida Khattari : la provocation douce

La Marocaine Majida Khattari s’est fait connaître avec des défilés de mode mettant en scène le voile islamique. Aujourd’hui, elle s’interroge sur les divers avatars de l’orientalisme.

Majida Khattari, artiste plasticienne marocaine. © Véronique Besnard pour J.A

Majida Khattari, artiste plasticienne marocaine. © Véronique Besnard pour J.A

ProfilAuteur_NicolasMichel

Publié le 8 décembre 2011 Lecture : 4 minutes.

La scène se déroule en 1989, à Paris, où la Marocaine Majida Khattari vient de débarquer. Ne la voyant pas rentrer, son frère s’inquiète tant qu’il finit par se rendre au commissariat pour déclarer sa disparition. Le mystère sera vite levé : elle était au Centre Pompidou, hypnotisée par les œuvres. « Ma première émotion artistique forte est antérieure à mon arrivée en France : je la dois à un numéro de Beaux-Arts Magazine que j’avais pu récupérer, se souvient la plasticienne. Après, il y a eu la découverte des Quatre Saisons du peintre français Nicolas Poussin, dans un dictionnaire de la peinture offert par ma sœur. » Née à Erfoud (Maroc), non loin de Meknès, Majida Khattari a montré très tôt un talent particulier pour le dessin. « Au collège, un professeur a repéré que je dessinais bien. Il m’a orientée vers les arts plastiques. » Même si une telle activité est alors considérée « comme un passe-temps », ses parents – son père est expert-comptable, sa mère femme au foyer – l’encouragent à persévérer. Au lycée, elle étudie l’histoire de l’art, pratique la terre cuite, se familiarise avec les matériaux, dans la perspective de devenir graphiste ou publicitaire… À 18 ans, elle entre aux Beaux-Arts de Casablanca, où l’on apprend le dessin avec des plâtres pour modèle. « Je savais que j’allais poursuivre mes études ailleurs, dit-elle. Je venais en France en vacances pour voir mes sœurs. Au Maroc, vous savez, on paie tout aux filles ! »

À Paris, elle prépare le concours de l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) et y entre pour devenir peintre. La première fois qu’elle se retrouve face à un modèle nu, elle est intimidée : « Je ne savais pas comment regarder, ni par où commencer… » Plus tard, peu désireuse de suivre le chemin de certains camarades qui « font du sous-maître », elle va chercher l’inspiration dans les cours théoriques et au Louvre, à Orsay, Beaubourg… Soutenue par sa famille, elle travaille un peu dans un restaurant iranien tout en dessinant les fenêtres et les toits de Paris… « C’est l’actualité sur le voile islamique et la violence en Algérie qui m’ont poussée à travailler sur l’idée de culture et d’identité, raconte-t-elle. J’ai cherché la forme juste permettant un dialogue entre les Occidentaux et les Orientaux, et, au bout d’un an de discussions avec l’artiste polonais Krzystof Wodiczko, j’ai opté pour le défilé de mode. » Elle crée alors plusieurs vêtements-sculptures, dont une sorte de burqa en feutre cousu avec du fil de fer, la robe Kacha. Le jury des Beaux-Arts – nous sommes en 1995 – ne comprend pas sa démarche. Vêtement ? Performance ? « Ils ne voulaient pas voir le débat posé autrement ; ils ne connaissaient quasiment que des artistes occidentaux. » Son défilé sera néanmoins accueilli par la Maison des cultures du monde, à Paris, et aux Rencontres photographiques d’Arles, dans le sud de la France, en 1998. « J’ai été éduquée dans une liberté totale au Maroc. Je respecte chacun, mais je ne comprends pas la régression totale que l’on constate concernant le voile », précise-t-elle.

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Après cinq années de pause pour s’occuper de son enfant, l’artiste a repris son idée de défilé de mode avec VIP (voile islamique parisien), pour « désacraliser le voile et le pousser vers la mode ». C’est à ce moment qu’elle a opté pour la photographie, détournant des œuvres orientalistes et intégrant dans ses images des objets provenant de ses défilés – dont un fameux sac en forme de grenade… « L’Occident était autrefois fasciné par la beauté de cette culture, il est maintenant fasciné par l’angoisse et l’horreur. » Une démarche bien entendu politique : « Pour moi, tout art est politique. Les artistes doivent être engagés. Il faut prendre le pouvoir aux politiciens. Il faut aborder les problèmes de manière artistique et poétique. Les discours, les images agressives nous fatiguent, on veut être invités à réfléchir autrement, notamment sur le monde arabe. » Avec l’installation La Prière de l’absent, qu’elle présente actuellement à l’Institut des cultures d’Islam (ICI), Majida Khattari relève ce défi. Véronique Rieffel, directrice de l’ICI : « Son œuvre sur le 11 Septembre est une sorte de chapelle où chacun peut prier pour ses morts. Il n’est pas anecdotique de savoir que l’artiste l’a réalisée après la mort de sa grand-mère et l’a recouverte des roses du Maroc, est enterrée son aïeule. Le choix de la calligraphie arabe pour écrire des prières juives, musulmanes et chrétiennes évite le choix gentillet du dialogue interreligieux qui associerait les trois écritures. C’est une façon subtile de dissocier l’écriture arabe, langue du Coran, du langage de la violence meurtrière. Et la présence discrète et inquiétante de deux hommes en prière dans la salle trouble la contemplation et empêche une lecture trop consensuelle… » Majida Khattari aime bousculer les ­certitudes.

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Véronique Rieffel, directrice de l’Institut des cultures d’Islam, à Paris. © Vincent Fournier/J.A

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