Maroc : Abdelilah Benkirane, un Premier ministre « normal »

Depuis 2008, Abdelilah Benkirane n’avait qu’une obsession : faire du PJD un parti comme les autres au Maroc. Mission accomplie.

Le roi Mohammed VI (D) et Abdelilah Benkirane, le chef du PJD, le 29 novembre 2011 à Midelt. © Azzouz Boukallouch/AFP

Le roi Mohammed VI (D) et Abdelilah Benkirane, le chef du PJD, le 29 novembre 2011 à Midelt. © Azzouz Boukallouch/AFP

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Publié le 6 décembre 2011 Lecture : 5 minutes.

« Si j’étais un arbre, je serais un oranger. J’aimerais dire que je serais un palmier, ou même un olivier, mais ce sont des arbres trop nobles pour moi », raconte Abdelilah Benkirane, 57 ans, à notre collaborateur Hamid Barrada, lors de l’émission Mais encore ? sur 2M, le 14 janvier dernier.

Chez le vainqueur des législatives marocaines, la modestie n’est pas une coquetterie, mais une arme politique. En trente ans, à force de patience et de pragmatisme, l’homme est passé de la clandestinité à la lumière puis de l’opposition au pouvoir, n’hésitant jamais à réviser ses idées et ses ambitions à l’aune des réalités politiques du pays. Monarchiste convaincu, démocrate revendiqué, le patron du Parti de la justice et du développement (PJD) est devenu le premier chef de gouvernement islamiste de l’histoire du Maroc. Reçu le 29 novembre au palais de Midelt par Mohammed VI, il a même arboré pour la première fois une cravate. Benkirane serait-il un politique comme un autre ?

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C’est pourtant au sein d’une organisation islamiste clandestine et violente, la Chabiba Islamiya, que le jeune Benkirane fait ses premières armes. Né en 1954 à Rabat dans une famille de la classe moyenne, l’étudiant en physique a d’abord approché l’Istiqlal, puis la gauche étudiante. Mais c’est dans l’organisation d’Abdelkrim Moutii qu’il s’engage en 1976. Le mouvement, qui pourfend un régime jugé impie, est à l’origine de l’assassinat, en 1975, d’Omar Benjelloun, l’une des grandes figures socialistes. « Ce meurtre a été un malheur pour la gauche, pour le Maroc et pour la mouvance islamiste. Un hadith dit : “Vous avez encore de l’espoir tant que vous n’avez pas touché au sang” », note Benkirane aujourd’hui.

Bio express

2 avril 1954 Naissance à Rabat

1976 Rejoint la Chabiba Islamiya

1981 Fonde la Jamaa el-Islamiya

1985 Prend la tête du mouvement Réforme et Renouveau

1997 Élu député de Salé

20 juillet 2008 Élu secrétaire général du PJD

29 novembre 2011 Nommé chef du gouvernement

« Dans les années 1980, lui et ceux qui l’ont suivi ont entamé une autocritique. Ils ont revu les fondements idéologiques de leur mouvement et ont mis à jour le logiciel islamiste, reconnaissant la nature islamique de la société et de l’État », explique le chercheur Abdellah Tourabi. Convaincu que la violence et l’opposition à la monarchie sont des voies sans issue, Benkirane quitte la Chabiba et se lance dans une longue bataille pour la légalité.

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Après deux ans de prison, il crée la Jamaa el-Islamiya en 1981 et demande, en vain, sa légalisation. En 1985, il adresse à Hassan II une lettre dans laquelle il donne des gages de bonne volonté. Le courrier reste sans réponse, mais un dialogue avec le pouvoir est entamé. Au début des années 1990, alors que l’Algérie plonge dans la guerre civile, Benkirane négocie sans relâche avec le Makhzen. « Dès 1992, nous avons tout fait pour intégrer la vie politique », rappelle le nouveau chef de gouvernement. À la recherche d’un parti pour l’héberger, lui et ses frères, il se tourne d’abord vers l’Istiqlal, puis vers l’Union nationale des forces populaires (UNFP). Mais c’est finalement chez Abdelkrim Khatib et son Mouvement populaire démocratique et constitutionnel (MPDC) qu’ils trouveront une adresse. « Nous avons subi un véritable examen de passage, ajoute-t-il. Le pouvoir nous a testés. » En 1996, il est autorisé à organiser son premier congrès. En 1997, Benkirane entre au Parlement. Son parti a gagné neuf sièges au cours d’élections peu régulières, mais le député de Salé regarde ailleurs. Le jeu en vaut bien la chandelle.

Dans les années 2000, les Marocains apprennent à connaître ce personnage haut en couleur. La barbe bien taillée et le regard fougueux, ce père de six enfants qui se dit proche du peuple devient l’incarnation du conservateur populiste et antisystème. Tribun, parfois colérique, il s’en prend aux homosexuels, aux festivals ou aux films « indécents ». II pourfend l’élite occidentalisée, et mène une croisade contre la réforme du statut de la femme. Mais les attentats de mai 2003 à Casablanca viennent mettre un frein à cette véhémence. S’il veut survivre, le PJD doit rassurer et faire profil bas. C’est d’ailleurs le psychiatre Saadeddine El Othmani, jugé plus conciliant, qui succède, en 2004, au docteur Khatib à la tête du parti. « Au sein du PJD, Benkirane n’a pas toujours fait consensus. On lui a reproché de vouloir tirer la couverture à lui. Tantôt on le juge trop radical, tantôt on lui reproche ses compromis, le soupçonnant d’être un agent du Makhzen », raconte un militant.

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Obsession

En 2007, le PJD conforte son rôle de premier parti d’opposition, avec 47 sièges au Parlement. Élu secrétaire général en 2008, Benkirane n’a alors qu’une obsession : faire du PJD un parti comme les autres. « Il a continué à provoquer, commente un journaliste, mais ses messages étaient rarement suivis d’effet et servaient surtout à rassurer les plus radicaux. C’est un animal politique qui sait se montrer à la fois brut de décoffrage et extrêmement courtois. » Benkirane ne craint pas la contradiction. Lui qui a fait du PAM son ennemi juré raconte pourtant avoir reçu chez lui en 2009, pendant près de trois heures, Fouad Ali El Himma. « Nous avons bu du café, mangé des gâteaux. Il sera toujours le bienvenu chez moi », assure-t-il.

À l’approche des législatives de 2011, l’entreprise de banalisation est de plus en plus claire. Alors que les révolutions arabes ont contribué à dédiaboliser les mouvements islamistes, Benkirane se lance dans une opération séduction tous azimuts. Il rencontre la bourgeoisie de Casablanca et de Rabat, rassure les femmes, les élites économiques et les chancelleries. À la Bourse, il tient une conférence dans un bon français et multiplie les traits d’humour. Quand on argue que le roi n’aime pas les islamistes, il répond, tout sourire : « Plus il nous connaîtra, plus il nous aimera ! » S’il multiplie les références au Prophète et au Coran, la religion n’est pas au centre de son programme, qui insiste surtout sur la justice sociale, la lutte anticorruption et la bonne gouvernance. « Si je viens au gouvernement, a-t-il déclaré au Parisien, ce n’est pas pour décider du nombre de centimètres des jupes des demoiselles. Ce n’est pas mon affaire. Le religieux est du ressort du roi. À nous de nous occuper de la corruption, de l’habitat, de l’enseignement. On se bat pour plus de démocratie, pour que l’entourage du roi lève la main sur les affaires, le business et la politique. »

Le 29 novembre, face à un Mohammed VI souriant, Benkirane n’a pas fait le baisemain traditionnel, préférant embrasser l’épaule du souverain. Raide, intimidé et solennel, il a paru endosser son nouveau rôle avec gravité. Car le plus dur est devant lui. Les espérances qu’il a soulevées sont énormes et seront difficiles à contenter. La démocratie l’a amené au pouvoir, elle pourrait aussi l’en chasser. Benkirane prétend que les Turcs de l’AKP se sont inspirés du nom de son parti et qu’ils ont même repris le sigle de la lampe. « Même si la leur est plus moderne et la nôtre plus proche de celle d’Aladin », ajoute-t-il.

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