Présidentielle en RDC : Kinshasa dans tous ses états

Tensions et déclarations enflammées. La violence s’est installée à Kinshasa à l’approche des élections présidentielle et législatives du 28 novembre en RDC. Voyage au cœur d’une ville où le visage du chef de l’État Joseph kabila est omniprésent… mais qui vibre pour l’opposition.

Une affiche en faveur de l’opposant Étienne Tshisekedi, à Kinshasa. © AFP

Une affiche en faveur de l’opposant Étienne Tshisekedi, à Kinshasa. © AFP

Publié le 25 novembre 2011 Lecture : 6 minutes.

Présidentielle et législatives 2011 en RDC
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Présidentielle et législatives 2011 en RDC

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Bâtiments saccagés, bagarres rangées entre partisans de la majorité présidentielle et de l’opposition, batailles d’affichage, dérives verbales, répression policière, interpellations… Depuis plusieurs semaines, la violence s’est installée à Kinshasa, avec son lot de morts et de blessés. Même les appels au calme lancés par les dirigeants politiques et les leaders de la société civile, notamment de l’Église catholique, peinent à calmer le jeu.

Une violence qui va crescendo à l’approche du scrutin présidentiel, prévu le 28 novembre, qui verra notamment s’affronter le ­président sortant, Joseph Kabila, soutenu par le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), et Étienne Tshisekedi, le leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), et qui pourrait dégénérer à l’annonce des résultats. Dans cette configuration, Vital Kamerhe, Léon Kengo wa Dondo ou François-Joseph Nzanga Mobutu, également candidats (ils sont onze au total), risquent fort de jouer les seconds rôles.

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Kulunas et sheges

Tous ont encore en mémoire les affrontements sanglants de l’entre-deux tours de la présidentielle de 2006.

À Kinshasa, tous ont encore en mémoire les affrontements sanglants qui avaient opposé les miliciens de Jean-Pierre Bemba, le leader du Mouvement de libération du Congo (MLC), à la garde de Joseph Kabila entre les deux tours de la présidentielle de 2006. Pour ne rien arranger, les kulunas (« brigands », en lingala) et les sheges (« enfants de la rue »), que certains partis instrumentalisent pour se défendre ou pour attaquer, sont de la partie. « C’est dangereux. La situation peut se retourner contre ceux qui utilisent ces gamins qu’ils pourraient ne plus pouvoir contrôler. On espère que la Monusco [Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC, NDLR] fera bien son travail, car on ne pourra pas compter sur la police pour sécuriser les scrutins », s’inquiète un candidat de l’opposition à la députation (des élections législatives sont également organisées le 28 novembre).

Loin de faire tomber la tension, les propos tenus depuis l’Afrique du Sud, le 6 novembre dernier, par Tshisekedi sur les ondes de la Radio Lisanga Télévision (RLTV, proche de l’UDPS), dont le signal a été coupé, et réitérés pour partie cinq jours plus tard à Kisangani n’ont fait que la raviver. Se déclarant déjà « président », le leader de l’UDPS a exhorté ses militants à « s’organiser pour défoncer les prisons où sont détenus ses partisans, si ces derniers ne sont pas libérés ». Des propos très commentés dans les médias et largement condamnés, tant en RDC qu’à l’étranger. Daniel Ngoy Mulunda, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), réputé proche du chef de l’État, a pour sa part appelé la Cour pénale internationale (CPI) « à venir se saisir de toute personne qui fait ce qui est contraire à la loi ». En réponse, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a averti qu’il engagerait des poursuites contre tous ceux qui se rendraient coupables de violations graves des droits humains.

Électrique

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C’est dans cette atmosphère électrique que se déroule la campagne électorale. À Kinshasa, les affiches du candidat Joseph Kabila sont partout, avec deux slogans principaux : « Tous avec et pour Joseph Kabila. Majorité présidentielle » et « 5 chantiers de la République. Avec Raïs 100 % sûr ! ». Les candidats de la majorité présidentielle aux législatives se font en revanche plus discrets. « Ils se contentent de faire des déclarations à la radio ou à la télévision, mais ils organisent rarement des meetings dans les quartiers pour ne pas avoir à répondre aux questions de la population. Où sont les réalisations – eau, assainissement, électricité et autres – qu’ils avaient promises en 2006 ? » interroge Gabriel, un militant de la Convention des démocrates chrétiens. Rares sont les banderoles qui mentionnent le nom de leur parti ou même leur appartenance à la majorité présidentielle.

Les candidats du Parti lumumbiste unifié (Palu, rallié à la majorité présidentielle) d’Antoine Gizenga sont également peu actifs sur le terrain. Le Palu avait raflé 22 % des suffrages au premier tour de la présidentielle de 2006 dans la capitale. A-t-il toujours la même popularité ? « Parmi ses supporteurs traditionnels, le mythe Gizenga ne fonctionne plus comme avant depuis que ce dernier a été aux affaires, explique Gabriel. Quant au bilan d’Adolphe Muzito, son successeur à la primature, il n’est guère plus brillant. Un fossé s’est creusé entre la base électorale du Palu, qui vit dans la misère, et ses dirigeants, qui vivent très confortablement. »

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Une élection sous haute surveillance

À scrutin hors normes (32 millions de votants, 11 candidats à la présidentielle, 18 855 candidats à la députation), mesures de sécurité exceptionnelles. Des contingents de la police ont été formés par la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RD Congo (Monusco), la France et l’Afrique du Sud au maintien de l’ordre et à l’usage de moyens non létaux. Les États-Unis ont, quant à eux, fourni à la RD Congo un lot de garnitures destiné à la police d’intervention rapide (PIR). À Mbuji-Mayi, dans le Kasaï-Oriental, c’est une unité sénégalaise qui va prêter main-forte à la police. Pendant la campagne électorale et le scrutin, 25 policiers ont été mis à la disposition de chaque candidat à la présidentielle, tandis que 4 ou 5 autres seront chargés de sécuriser chacun des 63 865 bureaux de vote. Et dans les provinces de l’Est, où opèrent toujours des groupes armés, les autorités congolaises ont déployé 13 régiments de l’armée dans le Sud-Kivu.

Tshitenge Lubabu M.K.

Dans le camp de l’opposition, les candidats à la députation organisent des débats appelés « face au peuple » dans les quartiers, mais c’est bien l’UDPS et ses groupes de soutien, dont le SET (Soutien à Étienne Tshisekedi), que l’on voit le plus. En témoignent les marches de leurs militants et partisans, mais aussi les affiches placardées dans la ville, et ces macarons qui se vendent comme des petits pains, au prix de 1 000 francs congolais (0,77 euro), où l’on peut lire : « Étienne Tshisekedi président, le peuple d’abord ». Sur les banderoles, les candidats ont souvent plaqué la photo de Tshisekedi à côté de la leur.

À l’évidence, Kinshasa n’est guère favorable au régime. La capitale n’avait-elle pas déjà voté à 68 % pour Bemba au second tour de la présidentielle en 2006 ? Depuis, le mécontentement n’a fait qu’augmenter, et ce ne sont pas les discours sur les cinq chantiers qui peuvent inverser la tendance. « À part la réfection des boulevards du 30-Juin et Triomphal et de l’avenue Lumumba, qu’est-ce que le pouvoir a fait pour améliorer nos conditions de vie ? Pour offrir des logements décents et favoriser l’emploi ? Que les dirigeants osent venir dans nos quartiers et ils verront comment nous vivons ! » tempête le jeune Patrick.

Prudence

Si Kinshasa vibre plutôt pour l’opposition, qui a sa faveur ? Léon Kengo wa Dondo, leader de l’Union des forces du changement ? Pas sûr. Vital Kamerhe, le président de l’Union pour la nation congolaise ? Prudence. « On l’observe. N’oublions pas qu’il a été proche de Kabila », déclare Brigitte, qui fustige au passage son impatience. Et de citer un passage de la Bible qui circule dans les milieux chrétiens de la capitale : « Le nouveau membre de la cité ne peut prétendre devenir de suite son président. » Seul le vieil opposant Tshisekedi pourrait-il donc se prévaloir de cette légitimité ?

Tous les Kinois ne partagent sûrement pas cet avis, et la capitale a aussi ses pro-Kabila. Néanmoins, même s’il est jugé sectaire, celui qui a pris, de fait, la place de Bemba à la tête de l’opposition semble cristalliser des valeurs qui ont la faveur de bien des Kinois. « Même s’il ne devait pas rester longtemps au pouvoir s’il était élu, Tshisekedi mettra en place de nouvelles règles de gestion, basées sur la rigueur et l’honnêteté. Après lui, ce sera difficile de revenir en arrière », prétend Gabriel. Reste à voir si la violence qui ne cesse de monter dans chaque camp, au point que des Kinois commencent à faire des réserves de nourriture, et si les récents propos de Tshisekedi ne vont pas bouleverser la donne. Au profit de qui ? Réponse le 28 novembre. 

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