Présidentielle RDC 2011 : les têtes d’affiches de l’opposition

Face au président sortant Joseph Kabila, l’opposition en part en ordre dispersé. Zoom sur les principaux challengeurs à la présidence de la RDC.

De g. à d. : E. Tshisekedi, L.K.W. Dondo et V. Kamerhe. © AFP

De g. à d. : E. Tshisekedi, L.K.W. Dondo et V. Kamerhe. © AFP

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Publié le 22 novembre 2011 Lecture : 9 minutes.

Présidentielle et législatives 2011 en RDC
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Présidentielle et législatives 2011 en RDC

Sommaire

Hormis Jean-Pierre Bemba, qui, toujours détenu par la Cour pénale internationale (CPI), a dû se résoudre à jeter l’éponge, tous les ténors de l’opposition en RDC se sont lancés dans la course présidentielle. Quel est leur parcours ? Qui les soutient ? Quelles ambitions peuvent-ils nourrir ? État des forces en présence.

Étienne Tshisekedi, l’ultime bataille

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À 78 ans, Étienne Tshisekedi wa Mulumba livre sans doute son dernier combat politique. Et certainement le plus difficile, car l’homme, surnommé le Sphinx de Limete pour son côté énigmatique, n’a plus l’endurance physique des années 1980-1990, quand il se battait pour l’instauration de la démocratie. Les temps ont changé depuis, mais Tshisekedi est resté égal à lui-même : toujours cette conception quasi messianique du leadership, cette très haute estime de soi, ce discours qui laisse peu de place à la diplomatie et au compromis. Des ingrédients qui, réunis, ont forgé sa légende et lui ont valu l’étiquette de radical. La posture serait due, estiment certains observateurs, à l’importance que ce docteur en droit n’a cessé d’accorder à ce qui, à ses yeux, est fondamental : le respect de la légalité.

Finalement entré dans la campagne après avoir tenu, le 6 novembre, des propos pour le moins troublants alors qu’il se trouvait en Afrique du Sud – il s’était autoproclamé président –, « Tshitshi », dont la popularité est indéniable, a l’occasion de présenter son projet de société. Sa démarche est simple : démontrer l’incapacité du pouvoir en place à résoudre les problèmes des Congolais et sa propension à la corruption. Son programme tient en « 174 propositions en vue de l’alternance pour un Congo nouveau ». Il met l’accent sur le droit à la double nationalité, la construction d’une armée nationale, les fondamentaux de la croissance économique, l’importance du secteur privé, la création d’une banque de développement ainsi que celle de nouvelles caisses sociales et mutuelles de santé.  

Pour qui vote Bemba ?

« Nous sommes en train de choisir, il y aura une consigne claire », explique Fidèle Babala, l’homme de confiance à Kinshasa de Jean-Pierre Bemba. Depuis sa cellule de La Haye (Pays-Bas), ce dernier soupèse les avantages d’une alliance avec le vieux Tshisekedi, qui effectue son dernier tour de piste, ou le jeune Kamerhe, un rival potentiel en 2016 en cas de retour au pays du « chairman ». « Beaucoup de nos militants rechignent à s’engager pour le “líder máximo” ; son soutien il y a cinq ans nous a cruellement fait défaut », ajoute Babala, qui admet ainsi, à demi-mot, que Kamerhe a une longueur d’avance.

Le stock de voix du Mouvement de libération du Congo (MLC) ne laisse personne indifférent. En 2006, Bemba a obtenu 20 % des suffrages au premier tour et 42 % au second. « Jean-Pierre veut préserver le MLC, et cela passe par un accord avec celui qui sera au pouvoir », conclut Babala, sûr qu’un ticket Kamerhe-Bemba pourrait « faire très mal ». À moins que Kabila parvienne à débaucher des barons du MLC. PH.P. 

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Il y a eu, des semaines durant, des tentatives pour que l’opposition se décide à présenter un candidat unique. Tshisekedi pouvait-il, au soir de sa vie, accepter de s’effacer au profit de quelqu’un d’autre ? Non. Comme lors de la Conférence nationale, au début des années 1990, il est resté sur une position inflexible : les autres derrière moi, ou rien. On peut le comprendre, il joue sa dernière carte. Et il ne doute pas un seul instant de battre Joseph Kabila.

Contrairement à 2006 (il avait prôné le boycott), le leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) n’a saisi aucun prétexte pour ne pas aller aux élections. Mais, par rapport au président sortant, il a quelques handicaps. D’abord, le couplage de la présidentielle et des législatives permet aux candidats députés de la majorité – dont un certain nombre se représentent – de faire campagne à la fois pour eux-mêmes et pour Kabila. Ensuite, toute l’administration territoriale est acquise à son principal adversaire. Face à cette situation, Étienne Tshisekedi pourra-t-il démontrer qu’il est le Moïse et l’idéaliste auquel ses partisans vouaient un culte à l’époque de sa résistance ? 

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Léon Kengo Wa Dondo, une candidature en question

Il se présente comme le candidat du rassemblement, de la rupture avec une gestion marquée par la gabegie, la corruption et l’oisiveté ; il affiche haut et fort sa volonté de refonder l’État pour en faire un instrument au service du peuple. Saura-t-il convaincre les Congolais ? Réputé pour sa rigueur et son sens de l’ordre, Léon Kengo wa Dondo, qui aime se définir comme libéral, fait autorité. Mais principalement dans certains milieux occidentaux et au sein de ses réseaux, composés d’hommes d’affaires et de cadres congolais.

Pour preuve, élu sénateur indépendant du Nord-Ubangui, il remporte en mai 2007 contre toute attente la présidence du Sénat en battant le candidat du pouvoir, l’ex-directeur de cabinet du chef de l’État, Léonard She Okitundu.

Reste que le deuxième personnage de l’État, qui a appelé à voter Jean-Pierre Bemba en 2006, a une assise populaire limitée, notamment chez les jeunes électeurs. D’abord parce que ce docteur en droit maritime et aérien, ancien pilier du régime de Mobutu, a longtemps été perçu comme un baron distant et inaccessible. En outre, s’il s’est parfois exprimé au Sénat sur les grandes questions du pays, il s’est jeté tardivement dans la bataille électorale, son parti, l’Union des forces du changement (UFC), n’ayant été lancé que le 24 juillet dernier. Bien qu’il ait le soutien d’une trentaine de partis politiques et d’associations de la société civile regroupés dans les Forces de l’opposition réunies au Congo, rien n’indique que la population a radicalement changé d’opinion à son égard et qu’elle votera massivement pour lui. Kengo ne peut l’ignorer.

Ambitions d’outsiders

À 57 ans, le professeur de médecine Oscar Kashala est définitivement revenu au pays. « C’était déjà ma volonté en 2006 [3,46 % des voix, NDLR], mais la maladie de mon fils, qui est décédé [depuis], m’a contraint à retourner aux États-Unis », explique le candidat. Il est entré en politique « pour agir avec efficacité » dans un pays où la mortalité des nourrissons de moins de 1 an est, selon lui, de 20 %. « C’est un scandale, avec les politiciens nous perdons du temps », assure ce cancérologue et expert en maladies infectieuses, apparemment sincère dans sa volonté de changer les choses. Ses projets (centre médical et de recherche à Kinshasa) plaident pour lui.

Peut-on en dire autant d’Antipas Mbusa Nyamwisi et de François-Joseph Nzanga Mobutu ? Après avoir été membre de la majorité, le premier envisage à présent un retrait au profit d’Étienne Tshisekedi. Quant au second, « licencié » du gouvernement Muzito pour absentéisme prolongé, il cherche surtout à ne pas disparaître de l’échiquier. Son patronyme peut l’y aider. PH.P. 

Mais en l’absence, pour l’instant, d’une candidature commune de l’opposition, il maintient la sienne. Si son parti, qui présente 344 candidats aux législatives, obtient un bon score, briguera-t-il le poste de Premier ministre ? « Dans le cas de figure où l’opposition ne s’est pas accordée sur une candidature commune, ce ne pourrait être que de la cohabitation », explique Franck Mwe di Malila, un proche de Kengo wa Dondo. Autre option, un second mandat à la tête du Sénat, en 2012 ? En tout cas, ces élections sont pour lui celles de la dernière chance. Né à Libenge (dans l’actuelle province de l’Équateur) d’un père polonais, il a eu 76 ans en mai dernier.

Vital Kamerhe, attaquant à son compte

« Moi, je fonce », expliquait, le 4 novembre, Vital Kamerhe, qui n’oubliait pas au passage de rappeler que les deux autres poids lourds de l’opposition, Étienne Tshisekedi et Léon Kengo wa Dondo, se trouvaient au même moment en Afrique du Sud, loin des tribunes. Le candidat de l’Union pour la nation congolaise (UNC) prévoit de tenir soixante-quinze meetings dans l’ensemble du pays.

Ses slogans : « le souffle nouveau » et « un grand Congo prospère et stable ». Sa stratégie : « l’encerclement de Kabila » par tous les candidats de l’opposition, qui ont chacun leur fief et leur réserve de voix. Son ambition : « être devant ».

L’est du Congo représente 46 % de l’électorat, l’ouest avec Kinshasa 38 % et les deux Kasaïs 16 %, explique le natif du Sud-Kivu (Nord-Est). Persuadé de faire le plein dans la partie orientale du pays, il pense aussi prélever son dû dans l’Ouest grâce au soutien attendu et espéré de Jean-Pierre Bemba (lire encadré p. 27). « Avec seulement trois candidats [Kabila, Mbusa Nyamwisi et lui-même, NDLR], l’Est offre l’assiette la plus large, contrairement au Centre et à l’Ouest, qui en comptent quatre chacun et où la déperdition des voix sera plus importante », ajoute-t-il.

Ses moyens : « faibles, mais des arrangements avec des opérateurs de Kinshasa et du Kivu me permettent de sillonner le pays ». Celui qui a dirigé la bataille présidentielle de Joseph Kabila en 2006 estime à 30 millions de dollars (22 millions d’euros) le coût d’une bonne campagne. Pour sa part, il espère pouvoir en mobiliser 6 millions. Et Kabila ? « Ce sera beaucoup plus, ses moyens sont illimités », assure celui qui sait bien ce qu’il est possible de faire quand on est chef de l’État.

Son ancienne proximité avec le président sortant est justement le point faible de ce tribun hors pair surnommé « l’attaquant de base et de pointe » du candidat Kabila il y a cinq ans. Depuis, la gouvernance et l’affairisme du Palais, le deal avec les Chinois en 2007 et l’opération militaire conjointe avec le Rwanda dans l’est du pays en 2009 ont, officiellement, provoqué le divorce. Mais il n’est pas interdit de penser que l’ambition, certaine, de l’ancien président de l’Assemblée nationale l’a convaincu de voler de ses propres ailes pour laisser libre cours à son destin. De ce point de vue, pour lui qui n’a que 52 ans, 2011 est une étape.

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Muriel Devey, Philippe Perdrix et Tshitenge Lubabu M.K.

Barons et faiseurs de rois

Issus de la majorité, les gouverneurs des onze provinces du pays font campagne pour le président sortant. Leur rôle sera déterminant le jour du vote.

Ils ne s’en cachent pas. Au risque d’irriter les tenants du principe de neutralité de l’État, les gouverneurs de provinces ont choisi de soutenir le candidat de la majorité, Joseph Kabila. Attitude stratégique pour assurer leurs arrières ou foi en une victoire inéluctable ? « Ils auraient dû rester neutres, et la Ceni [Commission électorale nationale indépendante, NDLR] aurait dû l’imposer, relève un observateur. Mais Kabila compte sur eux, et ils savent ce qu’ils lui doivent. Embarqués sur un même bateau, ils n’ont qu’un choix : ça passe ou ça casse. »

Comme en 2006, le Katangais Moïse Katumbi Chapwe, le plus riche, le plus puissant et également le plus populaire des gouverneurs (grâce notamment à son équipe de football, le Tout-Puissant Mazembe), est aux premières loges : il a mis ses avions personnels au service du candidat Kabila. Il n’est pas exclu qu’il l’accompagne, comme en 2006, dans certains déplacements. Pourtant, il est régulièrement question d’une rupture entre les deux hommes. « Il n’en est rien. Certains proches de Kabila, jaloux du succès de Katumbi, cherchent à les diviser. Ils ont même poussé un des frères du président à se positionner comme potentiel gouverneur du Katanga. D’où, à un moment, la décision de Katumbi – sur laquelle il est revenu – de se retirer de la vie politique. Mais il ne se présentera jamais contre Kabila », confie un proche de Katumbi, qui évoque à demi-mot un deal entre les deux hommes. En 2006, Kabila a obtenu près de 94 % des voix dans le Katanga. 

Transfuges. Dans le Nord-Kivu, où il avait recueilli plus de 96 % des suffrages, il y a cette fois de la confusion. Le principal artisan du raz-de-marée de 2006, Antipas Mbusa Nyamwisi, leader du Rassemblement congolais pour la démocratie/Kisangani-Mouvement de libération (RCD/K-ML), a, depuis, démissionné du gouvernement et rejoint l’opposition. Or son poulain Julien Paluku Kahongya, gouverneur du Nord-Kivu – et ancien militant de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Étienne Tshisekedi –, est, lui, resté dans la majorité et mène campagne pour Kabila. En même temps, il est candidat à un siège de député sur une liste du… RCD/K-ML.

Dans le Sud-Kivu, où, logiquement, la bataille sera dure entre Vital Kamerhe, natif de la région, et le président sortant (plus de 98 % des voix en 2006), la situation est loin d’être claire. Selon un candidat de la majorité à la députation, « rien n’est encore gagné parce qu’aucun parti de la majorité n’a reçu de financement ; la campagne est morne ». Pourtant, Kabila a porté en 2010 l’un de ses proches conseillers, Marcellin Cishambo, à la tête de la province. Selon ses détracteurs, ce dernier, « qui a été imposé », « n’est pas assez connu pour convaincre la population : il a vécu très longtemps à l’étranger ».

D’autres gouverneurs sont à l’œuvre : André Kimbuta (Kinshasa) ; Alphonse Ngoyi Kasanji (Kasaï-Oriental) ; Simon Mbatshi Batshia (Bas-Congo) ; Médard Autsai Asenga (Province-Orientale) ou encore Jean-Claude Baende (Équateur), transfuge du Mouvement de libération du Congo (MLC), le parti de Jean-Pierre Bemba. Un maillage parfait. T.L.M.K.

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