Printemps arabe : Erdogan superstar

En tournée en Égypte, en Tunisie et en Libye, le Premier ministre turc a voulu tester sa popularité dans les pays du Printemps arabe et relancer les échanges commerciaux. Pari réussi.

Recep Tayyip Erdogan le 13 septembre, au Caire. © Amr Nabil/Reuters

Recep Tayyip Erdogan le 13 septembre, au Caire. © Amr Nabil/Reuters

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Publié le 21 septembre 2011 Lecture : 5 minutes.

C’est un joli rétablissement. Il y a quelques mois, la Turquie était à la remorque du Printemps arabe. Lorsque les premiers troubles avaient éclaté en Tunisie, le silence d’Ankara avait été assourdissant. Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre, était « prix Kadhafi des droits de l’homme 2010 », et il s’est longtemps dit « l’ami » de Bachar al-Assad. Aujourd’hui, c’est en héros qu’il a été accueilli en Égypte, en Tunisie et en Libye, où il a effectué une tournée entre le 12 et le 16 septembre.

Tel un nouveau Nasser, il est devenu le champion des foules arabo-musulmanes. Son bilan économique, d’abord, les fait pâlir d’envie. Ensuite, la démocratie turque, pour imparfaite qu’elle soit, leur paraît un modèle de pluralisme. Enfin, en se livrant à une critique virulente d’Israël et en se faisant le chantre de la reconnaissance d’un État palestinien, Erdogan a gagné leur cœur. C’est ce rôle qu’il a interprété avec brio au Caire, à Tunis et à Tripoli, furieux toutefois de s’être fait brûler la politesse en Libye par Nicolas Sarkozy et David Cameron.

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Triomphe

Comme à l’accoutumée, Erdogan est venu flanqué d’un aréopage de conseillers, de sept ministres et de 280 hommes d’affaires. S’y ajoutaient Emine, sa très pieuse épouse – qui a des origines arabes –, son fils Bilal et sa fille Sümeyye.

En Égypte, il a eu droit à un triomphe populaire. Et pour cause : c’est le seul pays pour lequel il avait aussitôt pris position en faveur des manifestants, sommant Moubarak – qu’il détestait – de partir, pas fâché de voir ce pays rival affaibli sur la scène moyen-orientale. Plus de 3 000 personnes l’ont accueilli à l’aéroport du Caire, brandissant drapeaux turcs et banderoles à sa gloire. Même enthousiasme à l’opéra, où il s’est écrié : « Vous avez droit à la démocratie et à la liberté comme au pain et à l’eau », entrecoupant son discours de phrases en arabe et de citations du Coran.

Lorsqu’il a évoqué la politique « illégitime et inhumaine d’Israël », on a frôlé la pâmoison. « Si seulement nous pouvions avoir un dirigeant comme lui », soupire Youssef, un ingénieur de 34 ans, qui, à l’instar de ses compatriotes, compare « la fermeté d’Erdogan » à « la mollesse » des autorités égyptiennes. La Turquie exige des excuses d’Israël pour la mort de ses neuf ressortissants tués en mai 2010 au large de Gaza et vient de renvoyer son ambassadeur ; l’Égypte a joué l’apaisement lorsque, le 18 août dernier, six de ses policiers ont été abattus à la frontière…

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Le pouvoir s’est agacé de l’adulation dont Erdogan fait l’objet. Son activisme au Moyen-Orient suscite aussi la méfiance de la vieille garde des Frères musulmans, bien moins enthousiastes que leurs jeunes troupes, surtout après qu’Erdogan, l’ex-islamiste, a appelé les Égyptiens à adopter « une Constitution laïque ». « Nous ne pensons pas que lui ou son pays doivent à eux seuls diriger la région ou dessiner son avenir », a tranché Essam el-Erian, le numéro deux du mouvement.

Outre le général Tantawi, chef du Conseil suprême des forces armées, Essam Charaf, le Premier ministre, et les Frères, Erdogan a pris soin de rencontrer plusieurs candidats déclarés ou potentiels à la présidentielle, dont la date n’est pas encore fixée (Amr Moussa, Mohamed el- Baradei…), des représentants de la jeunesse libérale et le primat de l’Église copte, les exhortant à « s’unir pour l’Égypte ».

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Il a également lancé un appel à l’unité, cette fois en faveur des Palestiniens, devant la Ligue arabe. « Il est temps de hisser le drapeau palestinien à l’ONU », a-t-il déclaré en présence de Mahmoud Abbas. Il a ensuite assisté à un forum des affaires où les Turcs ont décroché pour 853 millions de dollars (environ 620 millions d’euros) de contrats, et affiché son objectif : que le volume des échanges (3,2 milliards de dollars en 2010) atteigne 5 milliards dans deux ans et 10 milliards dans quatre ans.

À Ghannouchi, sa préférence

L’étape tunisienne a été plus politique. À la descente de l’avion, Erdogan était attendu par Béji Caïd Essebsi, le Premier ministre, mais aussi par des centaines de personnes agitant des drapeaux turcs et palestiniens, et par Rached Ghannouchi, le chef d’Ennahdha, qui a eu droit à une accolade. À quelques semaines des élections du 23 octobre, où son parti fait figure de favori, le leader islamiste, qui dit prendre le Premier ministre turc pour exemple, a été récompensé de son zèle. « Islam et démocratie ne sont pas contradictoires.Un musulman peut gérer un pays avec beaucoup de succès », a déclaré Erdogan, marquant implicitement sa préférence.

En Libye, les affaires sont les affaires

À Tripoli, les patrons turcs se sentent à l’aise. Mais ils font profil bas : « Ce n’est pas l’heure de parler affaires, notre soutien est d’abord politique. » Plusieurs milliards de dollars de contrats ont été signés ces dernières années. L’expérience, les contacts noués sous Kadhafi sont des atouts pour revenir au « business as usual », selon ce membre de la délégation, qui laisse entendre que la reconstruction de Misrata est un marché à la portée des sociétés de BTP. Et d’ajouter, un brin orgueilleux, que « les Libyens ne vont rien inventer. Même en politique, ils vont faire un copier-coller de notre modèle ».

Ce qui ne l’a pas empêché de rencontrer les dirigeants des principaux partis, ainsi que le président Fouad Mebazaa. Un traité d’amitié et de coopération a été signé. Il vise à renforcer les échanges commerciaux, qui s’élèvent à plus de 1 milliard de dollars par an. À Tunis, Erdogan a pris soin de fustiger une nouvelle fois Israël qui, a-t-il promis, « ne pourra plus faire ce qu’il veut en Méditerranée », assurant qu’à l’avenir des bâtiments de guerre turcs escorteront les navires d’aide humanitaire afin de les protéger.

Dernière étape, la Libye, où les choses étaient plutôt mal engagées au début de la révolution, la Turquie ayant refusé de participer aux frappes contre le régime et longtemps louvoyé avant de reconnaître le Conseil national de transition. Début avril, son consulat à Benghazi avait même été attaqué par des rebelles en colère. Une fâcherie à laquelle Ahmet Davutoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, a mis un terme, lors de ses visites dans la ville (3 juillet et 23 août), en proposant une aide de 300 millions de dollars, dont le tiers a été payé en cash. Pour Ankara, il était urgent de se réconcilier avec la Libye, où, avant la crise, 200 entreprises turques (avec 30 milliards de dollars de contrats à la clé) et 25 000 expatriés étaient présents. Turkish Airlines annonce déjà la reprise imminente de ses vols.

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