Rwanda : partenariats à géographie variable

Pour devenir la première plateforme régionale de services, le Rwanda multiplie ses échanges et diversifie ses relations. Avec ses voisins, vers l’est et le sud du continent. Et bien au-delà.

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 7 septembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Marché commun de l’Afrique orientale et l’Afrique australe (Comesa, le plus grand bloc économique régional du continent) en 2004, relance de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) et, surtout, entrée dans la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) en 2007… À défaut de pouvoir faire venir l’océan Indien aux pieds de ses collines, le Rwanda s’ouvre au monde par un impressionnant activisme en matière d’intégration sous-régionale.

De petite taille, enclavé, pourvu d’un relief accidenté, il a longtemps été handicapé par sa géographie, qu’il s’évertue désormais à transformer en avantage. Si ses frontières n’ont pas bougé, le pays, de plus en plus anglophone, les regarde différemment. Il a quasi oublié celles qui le séparent de l’Ouganda, de la Tanzanie, du Burundi et, au-delà, du Kenya, membres comme lui de l’EAC, un marché commun avec libre circulation des biens et services, des personnes et des capitaux, qui prévoit de mettre en place une monnaie unique prochainement.

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Frontaliers

Pour autant, le Rwanda n’oublie pas qu’il conserve une frontière avec la République démocratique du Congo (RDC), les nombreux rwandophones qui y vivent et ses immenses ressources. Entre Gisenyi (au Rwanda) et Goma (en RDC), nombreux sont les frontaliers à faire le trajet quotidiennement pour travailler. Et les échanges de marchandises se portent encore mieux : produits pétroliers en provenance des ports de l’océan Indien, ou minerais congolais à destination du reste du monde, même si les nouvelles exigences en matière de traçabilité ont beaucoup ralenti ce dernier commerce.

Mais le Rwanda veut aussi survoler la RDC – littéralement – pour se rapprocher d’autres pays francophones. Depuis mars, la compagnie nationale Rwandair a ouvert des liaisons vers le Congo-Brazzaville et le Gabon. « Le vol vers Libreville a enregistré des réservations plus importantes que toutes les autres destinations lancées dans un passé récent », indiquait Rwandair peu après l’ouverture de la liaison. Brazzaville a quant à elle accueilli une délégation d’hommes d’affaires rwandais au mois de juin. « Le ministre s’est déplacé, et nous avons constaté que le pays importait de France de nombreux produits sur lesquels nous voulons nous positionner », indique Jean-Louis Uwitonze, directeur de la planification du ministère rwandais du Commerce et de l’Industrie.

Le statut de langues officielles du français et de l’anglais, en plus du kinyarwanda, se révèle donc un atout pour le Rwanda dans son ambition de devenir le Singapour de l’Afrique. Kigali veut s’imposer comme une plaque tournante des services (finance, commerce, technologies de l’information et de la communication, transport aérien, tourisme…) entre l’Atlantique et l’océan Indien.

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Mais il lorgne aussi du côté des pays émergents, comme l’Inde, la Thaïlande et, en particulier, la Chine. Les échanges avec cette dernière explosent (+ 89 % entre 2008 et 2010), et elle est devenue un partenaire indispensable pour construire ses infrastructures. Pour la seule année 2009, les entreprises chinoises ont réalisé des projets pour près de 500 millions de dollars (345 millions d’euros). Avec l’Inde, les échanges sont davantage tournés vers la formation, le Rwanda espérant bénéficier de son expertise dans les nouvelles technologies : elle y envoie des étudiants et y recrute des professeurs.

Déséquilibres

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Cette ouverture n’est pas sans conséquences. Depuis son adhésion à l’EAC, en 2007, les exportations rwandaises ont sensiblement augmenté, mais les importations ont littéralement explosé. Du coup, le déficit de la balance commerciale a dépassé le milliard de dollars en 2010 (contre moins de 500 millions en 2005). « Les autres pays membres de l’EAC sont plus avancés que nous, donc nous savions qu’il y aurait des pertes au début, assure Jean-Louis Uwitonze. C’est une stratégie de long terme : nous espérons qu’il y aura convergence des technologies et de la connaissance. »

Un déséquilibre que l’on retrouve dans ses relations avec les États-Unis. Éligible dès octobre 2000 à l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), qui exonère de droits de douane des produits venant d’une quarantaine de pays subsahariens, le Rwanda a exporté 7,4 millions de dollars de marchandises vers les États-Unis en 2010… pour des importations de 42,9 millions de dollars. Quant au Canada, s’il ne figure pas parmi les vingt premiers partenaires commerciaux du Rwanda, il a noué avec lui de solides relations, notamment en matière universitaire.

Double culture

Le pays se tourne de plus en plus vers le monde anglophone. Un choix qui n’est pas sans conséquences sur la vie quotidienne.

« Hello, I would like a coffee, please. – Sorry? – Vous préférez parler français ? – Je le comprends mieux. – Alors, un café s’il vous plaît. – Okay. Do you need anything else? » La scène peut paraître incongrue, mais, à Kigali, rien de plus banal. Alors que le français reste très parlé au Rwanda, dans la capitale, presque tout le monde s’évertue à s’exprimer dans la langue de Shakespeare. Y compris face à des francophones. Dans l’administration, c’est encore plus frappant. Du management intermédiaire au sommet, il n’y a quasiment que des anglophones, souvent trentenaires, qui ont grandi et étudié à l’étranger. Le constat se vérifie particulièrement au Rwanda Development Board – comme son nom l’indique -, où sont centralisés tous les guichets nécessaires pour créer une entreprise. Dans ce temple du capitalisme à la rwandaise, il n’y en a que pour l’anglais. « Bien sûr, c’est la langue du business ! » lance Dianne, une jeune employée, formée au Canada.

Le Français supplanté

Autrefois bastion de la francophonie, et longtemps soutenu comme tel par Paris, le Rwanda a amorcé son virage vers le monde anglophone au lendemain du génocide. De nombreuses familles réfugiées dans les pays anglophones voisins (Ouganda, Tanzanie…), parfois depuis les premiers pogroms anti-Tutsis des années 1960, sont revenues. Les liens tissés avec ces pays ont évidemment subsisté. La rupture diplomatique avec la France, entre 2006 et 2009, n’a fait qu’accélérer le processus. Kigali a successivement adhéré à la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), majoritairement anglophone, en 2007, décidé que l’anglais remplacerait le français dans ses écoles publiques et intégré le Commonwealth en novembre 2009 (tout en restant, à l’instar du Cameroun, membre de l’Organisation internationale de la Francophonie). Pas étonnant, dès lors, que l’on retrouve les traits du monde anglo-saxon dans la gestion du pays. Ainsi, de l’énergie aux transports, en passant par le logement et les télécoms, le gouvernement fait systématiquement appel aux investisseurs privés pour développer les infrastructures et les services. L’organisation et le fonctionnement mêmes de l’État ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ceux d’une entreprise, avec pour principal souci celui d’être performant et d’évaluer ses employés. « Chaque année, tous les ministères mettent en place un plan d’action, avec des objectifs chiffrés, validé par les services du Premier ministre, explique un haut fonctionnaire rwandais. À la fin de l’exercice, nous présentons nos résultats point par point. Mais ça ne s’arrête pas là : la primature et la présidence se chargent de vérifier ce que nous déclarons. » Bref : si, de passage à Kigali, vous entendez parler du chief ou du boss, il y a de fortes chances qu’il s’agisse du président. P.B.

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