Mali : croissance au rendez-vous, mais…

Doté d’atouts agricoles et miniers, le Mali, bon élève ouest-africain, affiche une croissance régulière. Mais sans parvenir à éradiquer la pauvreté. Bilan en demi-teinte pour Amadou Toumani Touré, le chef de l’État sortant.   © Jeune Afrique

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 4 août 2011 Lecture : 7 minutes.

Extension et modernisation de l’aéroport de Bamako-Sénou, construction d’échangeurs multiples et de ponts pour fluidifier la circulation et désengorger le centre-ville, renforcement des voies d’accès au district de Bamako… Il n’y a pas de doute, la capitale malienne est l’une de celles qui se sont le plus modernisées en Afrique de l’Ouest au cours des dernières années. À neuf mois de l’élection d’un nouveau président, prévue en avril 2012, l’heure des bilans a sonné pour le chef de l’État sortant, Amadou Toumani Touré (ATT).

Au total, plus de 800 milliards de F CFA (1,3 milliard d’euros) ont été injectés, autant par des groupes chinois que par les investisseurs institutionnels, dans le développement des infrastructures entre 2002, début du mandat d’ATT, et 2010. Mais ce gâteau a surtout été partagé entre entreprises chinoises : China Overseas Engineering Group Company (échangeurs routiers), Sinohydro (aéroport) et China Gezhouba Group Company (troisième pont de Bamako). Rien qu’en 2010, les chantiers mis en œuvre pour marquer la célébration du cinquantenaire de l’indépendance ont permis de doper un peu plus encore les investissements publics, pour les porter à 10,5 % du PIB, contre 7 % un an plus tôt.

Les investisseurs émergents en tête

Dans son dernier rapport, qui vient de paraître, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) estime à 112 millions d’euros le montant des investissements directs étrangers (IDE) au Mali en 2010 (+ 35 % par rapport à 2009). Les principaux investisseurs viennent de plus en plus des pays émergents, parmi lesquels l’Afrique du Sud et l’Inde, très présents dans l’exploitation minière.

L’année dernière, Sahara Mining, filiale de l’indien Sandeep Garg & Company, a ainsi annoncé un investissement de 30 millions d’euros dans le développement de la mine de fer de Tienfala, à une vingtaine de kilomètres de Bamako, pour une production annuelle de 50 000 tonnes. Le sud-africain Illovo, quant à lui, investit dans la construction d’une sucrerie et dans la zone de l’Office du Niger. Outre le secteur minier, c’est en effet l’agro-industrie qui attire les investisseurs privés. L’Office du Niger a ainsi drainé plus de 450 millions d’euros depuis 2008. Parmi les projets phares, la construction d’un canal de 40 km par le libyen Malibya (40 millions d’euros).

Télécoms : une troisième licence

Autre opération pouvant booster cette année les IDE dans le pays et accroître les revenus du pays, l’attribution d’ici à la fin de 2011 d’une troisième licence de téléphonie mobile. Le sud-africain MTN et l’indien Bharti Airtel pourraient être intéressés.

Enfin, en mai, l’homme d’affaires israélien Idan Ofer, classé parmi les 100 premières fortunes du monde par le magazine Forbes, reçu par le président Amadou Toumani Touré, a annoncé son intention d’investir 700 millions d’euros en Afrique de l’Ouest entre 2012 et 2015. Sur ce montant, quelque 100 millions devront être injectés dans les secteurs minier et énergétique au Mali.

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Le climat des affaires s’améliore

L’économie malienne se porte plutôt bien : elle affiche un taux de croissance supérieur à la moyenne des huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Et cette situation ne devrait pas changer en 2011, si les prévisions de la Banque africaine de développement (BAD) se confirment : le PIB malien devrait progresser de 5,4 %, contre à peine 4 % en moyenne pour l’ensemble des pays de la zone, plombés par la crise ivoirienne.

Le climat des affaires s’améliore. Des progrès ont été réalisés en matière de développement du secteur privé, avec la mise en place, en 2009, d’un guichet unique pour la création des entreprises. Selon l’Agence pour la promotion des investissements, plus de 6 000 sociétés ont été créées par ce biais. « Désormais, en vous faisant accompagner par un notaire, vous pouvez créer votre entreprise en une semaine [la moyenne africaine est de quarante-cinq jours, NDLR] », explique Houd Baby, PDG de Houd Investissement, une société présente dans l’hôtellerie et l’agroalimentaire, qui a lancé en 2010 les Moulins du Sahel (9 millions d’euros d’investissement). Dans le dernier classement annuel du rapport « Doing Business » (Banque mondiale), le pays a ainsi progressé de deux places, passant au 153e rang (sur 183 pays) en 2010.

Ce contexte de plus en plus favorable aux affaires a contribué à l’essor de groupes maliens tels qu’Azalaï Hôtels (13,7 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010), bientôt présent dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest. La cession, en juillet 2009, de 51 % de la Sotelma, l’opérateur historique de téléphonie, à Maroc Télécom, pour 275 millions d’euros, a par ailleurs permis de rembourser une partie de la dette intérieure (3 % du PIB en 2009) et de redynamiser le secteur privé.

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Malgré ces avancées, les performances du Mali se révèlent insuffisantes au vu de son potentiel. « Le pays peut faire bien mieux, juge Martin Kleiber, du Fonds monétaire international (FMI). Si sa croissance est au-dessus de la moyenne de l’UEMOA, elle reste inférieure à la moyenne subsaharienne [près de 6 %, NDLR]. Et elle est encore trop faible pour réduire significativement la pauvreté. » Le PIB par habitant, de 740 dollars (environ 558 euros) en 2010, classe le Mali parmi les pays pauvres.

Et pourtant, dans le domaine agricole, le Mali dispose, grâce au fleuve Niger, de la plus grande zone irrigable (plus de 1 million d’hectares) de la sous-région, dont la mise en valeur lui permettrait de devenir le grenier et le premier producteur de coton de l’Afrique de l’Ouest (actuellement deuxième, avec une production de 244 000 tonnes en 2010). La mauvaise gouvernance au sein de l’Office du Niger, organisme chargé de la gestion de cette zone, et le manque d’investissements (même si le pays consacre en moyenne 16 % de son budget à l’agriculture) font que seuls 10 % de la surface irrigable sont aujourd’hui exploités.

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Par ailleurs, le Mali est le troisième producteur d’or du continent, derrière l’Afrique du Sud et le Ghana, avec une production annuelle de plus de 50 t en moyenne. Mais une partie des revenus a tendance à s’évaporer. Début 2011, le rapport commis par le Mali pour devenir membre de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives n’a pas été validé, des écarts de 3,81 % ayant été constatés entre les paiements des sociétés minières et les revenus perçus par l’État. Une déperdition dommageable, quand on sait que depuis 2008, le cours du métal jaune n’a cessé de croître (l’once a dépassé les 1 600 dollars en juillet).

La question des recettes fiscales

Mais d’autres difficultés pénalisent l’économie. Dans le tourisme, qui représente entre 10 % et 15 % de l’activité économique du pays, les menaces d’enlèvement d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), dans le Nord, ont entraîné une baisse de plus de 50 % des visiteurs à Tombouctou et Mopti. Enfin, des carences existent dans la gestion des ressources publiques et l’efficacité de leur allocation. En la matière, le Mali ne brille guère. À titre d’exemple, le Bureau du vérificateur général, organisme anticorruption créé en 2004 par ATT, a dévoilé, au cours de ses sept premières années d’activité, des pertes de ressources financières publiques de plus 500 millions d’euros. Elles sont liées à des dysfonctionnements et à des fraudes dans les structures publiques contrôlées. Ce montant « n’est que la partie visible de l’iceberg », affirme Sidi Sosso Diarra, qui a dirigé cette structure jusqu’à fin mars.

Autre faiblesse : la mobilisation des ressources au niveau interne reste un vrai défi. Selon le FMI, très peu de progrès ont été réalisés dans ce domaine. Le pays parvient à atteindre les montants planchers des recettes fiscales (950 millions d’euros en 2010, + 8,5 %), mais les experts estiment qu’il peut faire nettement mieux en modernisant ses services fiscaux et en accélérant la lutte contre des pratiques frauduleuses. « Nous avons constaté, lors de nos contrôles, que dans certains ministères l’État paie des impôts alors que les opérateurs économiques en sont exonérés », affirme Sidi Sosso Diarra.

Exonérations fiscales, justement : celles appliquées aux produits pétroliers, qui ont coûté 350 millions d’euros à l’État en 2009 (derniers chiffres disponibles), sont pointées du doigt par les institutions de Bretton Woods. Si les autorités affirment qu’un mécanisme visant à instaurer des prix qui se rapprochent de ceux du marché est en cours d’élaboration, Lassine Bouaré, ministre de l’Économie, soutient que les répercussions resteront « raisonnables » et « compatibles » avec le pouvoir d’achat des Maliens, déjà affecté par la crise ivoirienne. Celle-ci a provoqué une poussée inflationniste sur les produits d’importation de ce pays enclavé : le Mali importe 3,5 millions de tonnes de marchandises par an, dont 40 % passent par le port d’Abidjan.

Plus généralement, ce sont les subventions accordées par l’État au secteur énergétique et agroalimentaire, depuis la crise alimentaire de 2007-2008, qui font l’objet de critiques. Par exemple, l’« Initiative riz », lancée en 2008, a mobilisé 50 millions d’euros. Si les autorités affirment qu’elle a été un succès car elle a permis de porter la production à plus de 2 millions de tonnes en 2010, des analystes estiment que ce coup de pouce de l’État n’était pas indispensable, les facteurs (bonne pluviométrie, prix élevés) étant réunis pour encourager la production.

Dans l’absolu, « nous ne sommes pas opposés aux subventions. Nous recommandons juste qu’elles soient transparentes, correctement inscrites au budget et surtout bien ciblées », indique Martin Kleiber, du FMI. Bref, les autorités doivent faire preuve de davantage de discipline budgétaire. Un sujet de débat pour l’élection ?

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