Alassane Ouattara : « Je ne dois rien à personne, sauf aux Ivoiriens »

Réconciliation nationale après une décennie de violences, reconstruction d’un pays profondément meurtri, relance d’une économie exsangue… Les chantiers sont immenses en Côte d’Ivoire. Dans sa première longue interview, le nouveau président ivoirien Alassane Ouattara présente sa feuille de route.

Alassane Ouattara, à la fondation Houphouët-Boigny, à Yamoussoukro, le 21 mai. © Issouf Sanogo/AFP

Alassane Ouattara, à la fondation Houphouët-Boigny, à Yamoussoukro, le 21 mai. © Issouf Sanogo/AFP

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Publié le 6 juin 2011 Lecture : 17 minutes.

Yamoussoukro, 22 mai. Les flonflons de la fête de l’investiture du nouveau président, Alassane Dramane Ouattara (ADO), se dissipent. La trentaine de chefs d’État, de gouvernement et de représentants officiels (vice-présidents, ministres d’État, etc.) sont remontés dans leurs avions pour un impressionnant ballet aérien. Certains invités, journalistes et participants ivoiriens, eux, tentent de regagner Abidjan par la route. La capitale politique de Côte d’Ivoire, née de la volonté d’Houphouët, se vide petit à petit tandis que le chef de l’État déjeune en petit comité familial, avec son épouse Dominique, ses enfants Dramane, Fanta et leurs conjoints, le secrétaire général de la présidence Amadou Gon Coulibaly, et sa nièce Masséré Touré, responsable de la communication, dans la grande salle à manger du « Giscardium », cette partie de la résidence du père de l’indépendance réservée aux hôtes de marque et construite à l’intention du président français Valéry Giscard d’Estaing, dans laquelle logeait Laurent Gbagbo lors de ses séjours à « Yakro ». Tableaux de maîtres et tapisseries d’Aubusson ornent cet antre du pouvoir. Au loin, on aperçoit la coupole de l’imposante basilique Notre-Dame-de-la-Paix, symbole des années de gloire de la Côte d’Ivoire.

C’est dans le bureau attenant à l’immense salon du Giscardium qu’ADO nous a reçu pour répondre à nos nombreuses questions. La première grande interview accordée à Jeune Afrique depuis son élection. Lors de la précédente, en septembre 2010 dans le cadre d’une série d’entretiens avec les principaux candidats à la présidentielle, il avait déclaré « cette fois, j’y crois » (voir J.A. no 2595). Laurent Gbagbo, lui, avait préféré un tout aussi prémonitoire « J’y suis, j’y reste » (J.A. no 2597)… Plus de vingt ans après son entrée en politique, Ouattara, au cœur de la tempête qui balaie son pays depuis si longtemps, est arrivé au bout d’un long chemin jonché d’épreuves, d’humiliations, de doutes et, surtout, de ténacité. Ses pas empruntent désormais une nouvelle voie, guère moins semée d’embûches. Élu en novembre 2010, il est arrivé au pouvoir dans les pires circonstances, par les armes et avec le soutien militaire des ex-rebelles, de la France et des Nations unies. De quoi nourrir un débat sans fin sur les thèmes de l’ingérence et du néocolonialisme. Sur tout cela, ADO s’explique au cours de l’entretien qui suit. Mais aussi, entre autres, de la tâche ardue qui l’attend, de sa conception du pouvoir, de sa vision de la future armée ivoirienne, des hommes avec qui il travaille, voire compose, de Laurent et Simone Gbagbo et du sort qui leur sera réservé… À sa manière, prudente, pesant chaque mot dans un souci d’apaisement. L’heure est à la réconciliation…

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Jeune Afrique : Après cinq mois de conflit postélectoral et une décennie de crise politico-militaire, vous prenez la tête d’un pays exsangue, divisé et profondément meurtri. Quelles sont vos priorités ?

Alassane Ouattara : La réconciliation et la reconstruction. La Côte d’Ivoire est dévastée, la tâche qui nous attend est immense. J’ai décidé de créer la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, et de nommer à sa tête l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, un homme qui partage notre vision de la Côte d’Ivoire et qui présente toutes les qualités requises. J’ai également souhaité mettre en place un gouvernement d’union nationale, avec les représentants des principales forces politiques du pays, dont le Front populaire ivoirien [FPI, NDLR], et la société civile. En ce qui concerne la reconstruction, ce sera plus facile : cela correspond à ce que je sais faire, compte tenu des fonctions que j’ai occupées par le passé, notamment au FMI [Fonds monétaire international] ou lorsque j’étais Premier ministre.

Comment comptez-vous vous faire accepter par les 45 % d’Ivoiriens qui n’ont pas voté pour vous et dont certains éprouvent toujours un profond ressentiment à votre égard ?

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De tout scrutin démocratique, il ressort une majorité et une minorité. La majorité qui me soutient est large. Quant à tous ceux qui ont voté Laurent Gbagbo, je doute qu’ils aient apprécié son comportement à l’issue du second tour et qu’ils aient tous approuvé sa tentative de maintien au pouvoir, au prix de la vie de milliers d’Ivoiriens. Je peux vous assurer que le soutien dont il bénéficiait s’est totalement effondré. Et les actes que nous sommes en train de poser achèveront de les rassurer. Ce qui m’intéresse, c’est le développement de mon pays pour des citoyens qui ont trop souffert, sans distinction de région, d’ethnie ou de religion. La Côte d’Ivoire a tourné la page, et nous sommes, enfin, dans une nouvelle dynamique.

Nombre de chefs d’État et d’intellectuels africains considèrent que vous êtes arrivé au pouvoir par les armes grâce à la France et à la communauté internationale. Pour eux, c’est une tache indélébile sur votre légitimité, qui conforte le discours anticolonialiste tenu par Gbagbo…

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Je suis choqué par l’incohérence de ce discours : tous les Africains veulent la démocratie, non ? Le peuple ivoirien s’est prononcé et a tranché. Inutile de revenir sur cela, même si les manœuvres dilatoires du camp de mon adversaire ont essayé de semer le doute sur cette élection pourtant reconnue par tous, de la Commission électorale indépendante [CEI] à l’ONU en passant par la Cedeao et l’Union africaine. Il faut quand même rappeler que cette élection a été suivie de près par les Nations unies à la demande de tous les acteurs ivoiriens, y compris Laurent Gbagbo. Ceux qui critiquent l’élection ou l’intervention de la France, sous mandat de l’ONU, ont-ils oublié que Laurent Gbagbo utilisait des armes lourdes pour tuer des Ivoiriens ? Pourquoi ne condamnent-ils pas cela ?

Ces réactions plongent leurs racines dans l’histoire de cette fameuse Françafrique…

Ces intellectuels devraient pouvoir faire la part des choses. La France n’a fait qu’intervenir selon la résolution 1975 des Nations unies, qui a été votée à l’unanimité. Pourquoi ces mêmes personnes n’ont-elles pas critiqué la décision des Nations unies qui a prorogé le mandat de Laurent Gbagbo après son expiration ?

Revenons sur la semaine précédant la chute de Laurent Gbagbo, le 11 avril. Comment a été prise la décision de lancer l’assaut final ?

En décembre déjà, la Cedeao et les Nations unies avaient donné un délai à Laurent Gbagbo pour se retirer et évoqué l’utilisation de la force s’il n’obtempérait pas. Gbagbo a tout tenté, y compris auprès de l’Union africaine, pour les faire revenir sur cette décision. Nous avons fait preuve de patience, mais les choses ont traîné et se sont compliquées. Le 10 mars, tout le monde a confirmé mon élection.

Après cela, Laurent Gbagbo est devenu encore plus violent. Nous avons considéré qu’il allait trop loin, notamment à Abobo, qu’il a fait bombarder par des chars, provoquant ainsi la mort de centaines de citoyens. À partir de ce moment-là, j’ai considéré qu’il fallait rassembler toutes nos forces, aussi bien les ex-Forces nouvelles que les nombreux éléments des forces armées nationales qui nous ont rejoints et qui ne pouvaient plus cautionner ces crimes. C’est ainsi que nous avons créé les Forces républicaines de Côte d’Ivoire [FRCI], qui se sont engagées dans la pacification du pays. Cela a commencé par l’Est, l’Ouest et le Centre. En quatre jours, les FRCI sont arrivées aux portes d’Abidjan, parce qu’en réalité l’armée, les gendarmes et les policiers ne soutenaient pas Laurent Gbagbo. Les Ivoiriens ne pouvaient pas accepter de tuer d’autres Ivoiriens. Restait les miliciens et les mercenaires, qui mettaient tout en œuvre pour maintenir Gbagbo au pouvoir. Nous avons donc décidé, avec le président Henri Konan Bédié et Guillaume Soro, de lancer nous-mêmes l’assaut final sur Abidjan plutôt que d’attendre que la Cedeao le fasse.

Est-il vrai que le chef de l’État français, Nicolas Sarkozy, vous a personnellement demandé de tout faire pour que Laurent Gbagbo ne soit pas tué ?

Oui, mais c’était de toute façon également mon intention. Je ne suis pas pour le sang ou la violence.

Qu’avez-vous pensé des images de l’arrestation de Laurent Gbagbo et des violences qui l’ont accompagnée ? Désiré Tagro a trouvé la mort, Simone Gbagbo a été molestée…

J’ai vu cela à la télévision, comme vous. Simone et Laurent Gbagbo sont en vie. C’est cela qu’il faut retenir. J’ai demandé que Désiré Tagro soit évacué d’urgence à la Polyclinique Pisam ; il a malheureusement succombé à ses blessures. Tout cela est regrettable.

Avez-vous discuté avec votre adversaire dans les derniers jours qui ont précédé sa chute ?

Non, je n’ai pas eu Laurent Gbagbo depuis le 29 novembre [le lendemain du second tour de l’élection présidentielle], quand je lui ai demandé de lever le couvre-feu pour que la Commission électorale puisse faire son travail. Comme toujours, il m’avait promis de le faire et n’a pas tenu cette promesse. Vous savez, cela ne servait pas à grand-chose de discuter avec lui…

Et depuis son arrestation ?

Non plus.

Pourquoi avoir placé Laurent Gbagbo en résidence surveillée à Korhogo et son épouse Simone à Odienné ?

Pour leur propre sécurité : Korhogo est ma terre paternelle et Odienné ma terre maternelle. Là-bas, je suis sûr que rien ne leur arrivera, comme je l’ai exigé. Et la justice pourra faire son travail en toute sérénité.

Pour quelles raisons les avoir séparés ?

Nous n’avons fait qu’appliquer la volonté de Laurent Gbagbo.

Pensiez-vous, le 28 novembre, que les choses se passeraient ainsi ?

Je me doutais que Laurent Gbagbo ferait des difficultés. Mais jamais je n’aurais imaginé qu’il en arriverait à de telles extrémités.

Parmi les zones d’ombre qui ont entouré votre accession au pouvoir, il y a la mort du sergent-chef Ibrahim Coulibaly, dit IB. Comment en est-on arrivé là ?

J’ai tout fait pour que les miliciens et les combattants déposent les armes sans violence. J’ai lancé un appel en ce sens. Certains l’ont fait, d’autres ont refusé, comme IB. Il y a eu des combats, au cours desquels il a malheureusement trouvé la mort.

Que s’est-il passé exactement lors de ces combats ?

Nous avons fait procéder à une autopsie et sommes en train de mener une enquête pour répondre à ces questions.

Charles Blé Goudé, le leader des Jeunes Patriotes, lui, a disparu…

J’ignore ce que devient M. Blé Goudé.

Avez-vous songé, au plus fort de la crise postélectorale, lorsque vous viviez reclus au Golf Hôtel, à jeter l’éponge ?

Jamais. On ne peut pas mener un aussi long combat politique, être élu par les Ivoiriens et se débiner, passez-moi le terme.

Vous avez demandé à la Cour pénale internationale [CPI] d’enquêter sur les crimes commis pendant cette période, estimant que la justice ivoirienne n’était pas en mesure de le faire. Pour quelles raisons ?

Parce que Gbagbo a aussi détruit la justice. Nous avons la capacité de juger un certain nombre de faits, notamment ce qui a trait à la corruption, aux malversations financières ou à l’usurpation du pouvoir. Mais nous n’avons pas les moyens de juger les crimes de guerre ou les crimes contre l’humanité. La CPI est là pour cela. Nous lui avons donc demandé de s’en charger. Le plus tôt sera le mieux.

Cela signifie que si Laurent Gbagbo était reconnu coupable, vous le livreriez à la CPI ?

C’est évident. Je ferai ce que les tribunaux décideront, en Côte d’Ivoire ou ailleurs.

Et si la CPI reconnaissait également des responsabilités dans vos propres rangs, au sein des FRCI notamment pour les massacres commis dans l’Ouest, lui livrerez-vous les coupables ?

Bien sûr. Quel que soit le statut des personnes reconnues coupables. Tous les Ivoiriens sont égaux devant la justice et le règne de l’impunité est bel et bien terminé.

Ne craignez-vous pas qu’un procès de Laurent Gbagbo à Abidjan soit de nature à perturber l’ordre public ?

Je ne sais pas si son procès se déroulera à Abidjan ou ailleurs en Côte d’Ivoire. Je ne suis pas sûr, pour sa sécurité, que ce soit dans son intérêt que le procès se déroule à Abidjan, en raison des réactions possibles des victimes et de leurs familles.

Comment comptez-vous, après une décennie de conflit, réunifier l’armée ?

Il s’agit là d’une tâche importante mais difficile. L’armée a été divisée, des frères d’armes se sont combattus. Il n’y a pas eu véritablement de formation des soldats pour leur mission première, à savoir assurer la sécurité des Ivoiriens. Les effectifs sont pléthoriques, d’importants recrutements ont été menés sur une base purement ethnique. Mais nous y arriverons avec une armée revenue à ses missions de base, placée sous l’autorité d’un gouvernement démocratique et légitime.

Vous savez que la question de la réintégration des ex-Forces nouvelles a toujours été une pomme de discorde…

Je m’emploierai à appliquer l’accord de Ouagadougou, qui prévoit des solutions idoines pour régler cette question.

Vous vous doutez quand même que les tensions et les rancœurs ne disparaîtront pas comme cela ?

Ces rancœurs existent au sein de la population elle-même. C’est à nous de tout mettre en œuvre pour faire baisser ces tensions et ramener la cohésion sociale.

Que vont devenir les comzones ?

C’est à eux qu’il faut poser cette question : ce sont des militaires comme les autres, ils auront des choix à faire.

Avez-vous identifié le chef d’état-major qui devra mener ce chantier ?

Pas encore. Nous y travaillerons dès que le nouveau gouvernement sera installé.

Le général Philippe Mangou pourrait-il être cet homme-là ?

Je suis ouvert. Mais je veux voir comment les uns et les autres vont se comporter par rapport aux institutions et à la République…

Vous avez été élu par les Ivoiriens mais êtes arrivé au pouvoir par les armes, grâce aux FRCI d’une part et à la communauté internationale d’autre part. Comment préserver votre indépendance et ne pas être contraint de renvoyer éternellement l’ascenseur ?

Je ne dois rien à personne, sauf aux Ivoiriens, qui m’ont élu.

Maintenant que vous êtes à la tête de l’État ivoirien, quel rôle jouera l’ancien président Henri Konan Bédié à vos côtés ?

Il a joué un rôle prépondérant, bien avant la crise et le second tour de l’élection. Il m’a beaucoup apporté par ses conseils et son expérience. Il continuera de le faire, je le consulterai pour chacune des grandes décisions. Nous sommes d’ailleurs en parfaite harmonie.

Et Guillaume Soro ?

Le Premier ministre et ministre de la Défense effectue un travail remarquable, c’est pour cela que j’ai décidé de le reconduire dans ses fonctions. Avec l’accord du président Bédié. Nous avons besoin de son expérience et de sa stature.

La Côte d’Ivoire fonctionne sans Parlement depuis maintenant plus de cinq ans. Quand se dérouleront les élections législatives ?

J’espère avant la fin de l’année. Le président de la CEI, Youssouf Bakayoko, est revenu. Il va remettre la commission au travail et s’assurer que tout est en ordre. Nous devons achever tous les chantiers qui ont été interrompus par Laurent Gbagbo, notamment l’identification et le recensement.

Tout cela peut prendre un peu de temps, mais nous devons tout mettre en œuvre pour que ces élections aient lieu cette année. Je crois aux institutions fortes. Notre Assemblée doit montrer que nous sommes enfin entrés de plain-pied dans la démocratie.

Le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ira-t-il aux élections sous une bannière unique ?

Cette décision appartient à la Conférence des présidents du RHDP. Nous avons demandé à une commission d’étudier cette hypothèse. Mais nous n’avons pas encore pris de décision.

Le PDCI et le RDR sont-ils amenés à fusionner ?

Notre objectif, avant ou après les élections, est que tous les partis qui composent le RHDP, dont le PDCI, le RDR, le MFA et l’UDPCI, puissent effectivement fusionner.

Craignez-vous des opérations de dé­stabilisation ou des tentatives de coups d’État menées par des membres de l’ancien régime désireux de revanche ?

J’apprends en tout cas que certains en ont la volonté. Mais nous sommes organisés et confiants.

Votre épouse, Dominique, est très présente à vos côtés. Quel rôle jouera-t-elle désormais ?

Dominique m’a beaucoup aidé et elle continuera de le faire. Elle est désormais première dame et se consacrera à ce rôle. Elle tient d’ailleurs à continuer à œuvrer en faveur de l’enfance, à travers sa fondation Children for Africa.

Lors de la campagne, vous aviez estimé le coût de votre programme à 12 000 milliards de F CFA (18,3 milliards d’euros). Après cinq mois de conflit, à combien s’élève ce montant ?

Je n’ai pas encore d’estimations précises mais ce sera à l’évidence beaucoup plus. Les dégâts sont considérables, des sommes inouïes ont été gaspillées par mon adversaire dans l’achat d’armes et le recrutement de mercenaires. Et nous avons perdu beaucoup de temps… Je reste cependant confiant en notre capacité à mobiliser les ressources nécessaires.

Selon vous, combien de temps faudra-t-il pour retrouver le chemin de la croissance et du développement ?

Le FMI prévoit un taux de régression de 5 % à 7 % pour 2011. L’année prochaine, nous misons sur une croissance de 3 %. Cela signifie que le conflit postélectoral aura coûté près de 10 % de son PIB à la Côte d’Ivoire ! Nous allons travailler dur pour récupérer le temps perdu, et j’espère qu’à la fin de mon mandat la croissance de la Côte d’Ivoire sera proche de 10 %.

Quelles sont vos priorités économiques ?

La plus importante de toutes, c’est l’amélioration rapide et importante du quotidien des Ivoiriens : eau, électricité, école, santé, infrastructures… L’objectif global, c’est la création d’emplois, notamment pour les jeunes.

Avez-vous des pays modèles en matière de développement ?

Bien sûr. Nombre de pays ont fait beaucoup de bonnes choses. J’ai eu, lors de mon passage au FMI, à en suivre certains de près. Mais vous savez, les temps ont changé… Disons, pour en citer quelques-uns, que la Malaisie, la Corée du Sud et, plus près de nous, le Botswana, ont parcouru un long et beau chemin.

Comptez-vous poursuivre les grands chantiers lancés par votre prédécesseur, notamment à Yamoussoukro par exemple ?

Nous allons lancer un audit de tout ce qui a été initié sous Laurent Gbagbo. C’est à l’issue de celui-ci que nous prendrons des décisions.

Vous souhaitez toujours vous installer à Yamoussoukro ?

Oui, évidemment. Je l’avais annoncé il y a longtemps déjà et je le ferai. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si j’ai tenu à ce que la cérémonie d’investiture se déroule ici. Mais cela se fera de manière progressive, évidemment, puisque les infrastructures ne permettent pas encore le transfert définitif des institutions vers la capitale.

Vous venez d’évoquer un audit sur ce qui a été lancé ou signé par Laurent Gbagbo. Cela concerne-t-il également les contrats pétroliers, le port d’Abidjan ?

Cela concerne tous les contrats, dans tous les secteurs.

Plus rien ne semble s’opposer au retour de la Banque africaine de développement (BAD) à Abidjan. En avez-vous parlé avec son président, Donald Kaberuka ?

Nous avons effectivement abordé cette question lors de mon investiture. Je lui ai dit que la situation en Côte d’Ivoire était stabilisée et qu’il pouvait poursuivre les travaux de réhabilitation du siège dans la capitale économique. Je lui ai également proposé de mettre à leur disposition un second immeuble. Je souhaite que la BAD revienne avant la fin de l’année, et je crois que le président Kaberuka, que je connais depuis longtemps, est déterminé à aller en ce sens.

Un certain nombre de vos pairs ont soutenu de manière plus ou moins directe Laurent Gbagbo. Leur en voulez-vous ?

Lesquels ?

Disons les chefs d’État de l’Angola, du Ghana, de la Gambie

En dehors de la Gambie, qui s’est exprimée officiellement, ce n’est pas ce que mes homologues m’ont dit, et je ne dispose pas de faits tangibles qui étayent vos propos.

Le Ghana, par exemple, a refusé d’envoyer des troupes dans le cadre de la Cedeao…

Mais ce refus ne signifie pas pour autant soutenir Gbagbo. Le Ghana a envoyé des troupes un peu partout sur les scènes de conflits en Afrique, y compris en Côte d’Ivoire. Leur niveau d’engagement est déjà très élevé et ils ont désormais un déficit de troupes. Il ne faut pas voir le mal partout : j’ai de très bonnes relations avec le président Atta-Mills. Nous nous téléphonons pratiquement toutes les semaines.

Et le fait qu’un certain nombre de proches de Laurent Gbagbo se soient réfugiés au Ghana ?

Ce n’est pas un problème : dans le cadre de la Cedeao, les citoyens sont libres de circuler d’un pays à un autre. Certains sont dans d’autres pays voisins. Et je ne doute pas une seule seconde que s’il est établi que ces personnes sont des criminels – nous émettrions alors des mandats d’arrêt – elles nous seront remises.

Comment envisagez-vous l’avenir des relations avec la France ?

Elles sont aujourd’hui excellentes, comme vous avez pu le voir lors de l’arrivée de Nicolas Sarkozy, et le resteront. Laurent Gbagbo a essayé, pour sauver son pouvoir, de semer la discorde et de jeter un voile trouble sur ces relations.

L’intervention française laissera tout de même des traces…

Nous en avons déjà parlé : elle était rendue nécessaire par le comportement criminel d’un seul homme. Et encore une fois, en dehors de ceux qui veulent utiliser cela par malice, la majorité des Ivoiriens est reconnaissante à la France de les avoir libérés du joug meurtrier de l’ancien pouvoir.

Avez-vous des nouvelles du dirigeant de Sifca, ainsi que du directeur général du Novotel, du Malaisien et du Béninois enlevés le 4 avril dernier à Abidjan par des miliciens pro-Gbagbo ?

Nous suivons le dossier de très près. Nous avons interrogé des miliciens qui ont avoué avoir participé à cet enlèvement et disposons de pistes sur lesquelles nous travaillons en ce moment. Mais vous comprendrez que je ne puisse pour l’instant pas vous en dire plus.

Et à propos de la disparation de Guy-André Kieffer ?

Nous avons accepté que le juge français Patrick Ramaël puisse auditionner toutes les personnes auxquelles il n’avait pu avoir accès par le passé. Nous souhaitons que lumière soit enfin faite.

Comme dans le cas de la Côte d’Ivoire, l’intervention de la communauté internationale en Libye divise. Quelle est votre position personnelle ?

Ce sont les Libyens qui doivent décider de l’avenir de leur pays. Cela signifie donc qu’il faut un dialogue, à condition qu’il soit accepté par les deux parties. Et là encore, l’intervention militaire a été rendue nécessaire par l’utilisation d’armes lourdes contre des populations civiles.

Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris l’arrestation de votre ami Dominique Strauss-Kahn à New York ?

C’est effectivement mon ami. Vous imaginez donc que j’ai été très peiné.

Les faits qui lui sont reprochés sont d’une extrême gravité…

S’ils sont avérés, c’est évidemment très grave. Mais ayons la décence d’attendre que la justice se prononce.

Les images de son arrestation vous ont-elles choquées ?

C’est la loi américaine et elle s’applique à tous.

Dernière question, monsieur le président : que diriez-vous à un militant pro-Gbagbo pour le convaincre de vous faire confiance ?

Que je suis un homme de paix et le président de tous les Ivoiriens. Je ne ferai aucune distinction entre les citoyens, quelles que soient leur obédience politique, leur ethnie, leur région ou leur religion. La Côte d’Ivoire a besoin de cohésion et doit retrouver ce qui a fait sa fierté : la fraternité et son hospitalité. Je ne doute pas une seule seconde de pouvoir mener les chantiers qui nous attendent car les Ivoiriens sont généreux, c’est un peuple discipliné et qui a le sens du pardon.

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Propos recueillis à Yamoussoukro par Marwane Ben Yahmed.

Interview publiée dans J.A. n° 2629, du 29 mai au 4 juin 2011.

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